D’un challenge à l’autre
Depuis dimanche 3 mars, le podium de l’Arkea Ultim Challenge est au complet à Brest. Derrière Charles Caudrelier, Thomas Coville et Armel Le Cléac’h ont partagé le récit de leur épopée planétaire. Comme le skipper du Maxi Edmond de Rothschild, les marins qui fêtent – et fêteront – leur arrivée à Brest cet hiver ont en commun leur immense capacité de résilience. Et comme lui, ils vont ouvrir de nouvelles portes pour l’avenir de la course au large. Pour le vainqueur de ce tour du monde en solitaire, ce futur se conjugue avec une tentative de record l’hiver prochain sur le Trophée Jules Verne. Et le développement d’un nouvel Ultim, Gitana 18.
« C’est dix fois plus dur qu’un Vendée Globe », a déclaré Armel Le Cléac’h à son arrivée quai Malbert. Charles Caudrelier n’a pas d’élément de comparaison, lui qui n’a jamais fait le tour du monde en IMOCA mais la petite phrase de son concurrent, vainqueur du Vendée Globe, lève pourtant le voile sur la somme de défis quotidiens qu’il a fallu relever pour naviguer de Brest à Brest, via le tour de l’antarctique.
Retranché derrière sa pudeur, le skipper du Maxi Edmond de Rothschild reste discret sur les difficultés endurées pendant la course. Pourtant, sa première circumnavigation en solitaire n’a pas été un long fleuve tranquille. Au contraire, il a pu vérifier la véracité des propos de Michel Desjoyeaux sur les problèmes quotidiens que l’on rencontre sur un tel exercice planétaire.
Deux avaries importantes auraient pu ruiner ses chances de victoire et l’obliger à s’arrêter : la casse du carénage du bras avant, entraînant une exposition de ce dernier, quatre jours après le départ, puis la déchirure de sa grand-voile après son passage du cap Horn, au large des Malouines. Un troisième incident – nacelle de barre arrachée le 5 février – a sonné comme un rappel à l’ordre, lorsqu’il est tombé par mégarde à travers le trou formé dans le cockpit, jambes dans le vide, à quelques centimètres d’une eau défilant à 50 km/h sous ses pieds.
La liste exhaustive des pépins techniques subis par le Maxi Edmond de Rothschild est longue comme un jour sans vent. « Nous aurons quatre mois de chantier », révèle Sébastien Sainson, directeur du bureau d’études du Gitana Team. Ces avaries, Charles Caudrelier les a pratiquement toutes solutionnées à bord, sans jamais se départir d’une peur constante, celle de casser à nouveau. Son escale stratégique de trois jours aux Açores, pour éviter des conditions météorologiques impraticables dans le golfe de Gascogne du fait du passage de la tempête Louis, n’a pas été vécue comme une parenthèse confortable. Au contraire, l’homme est resté dans ses vêtements, connecté à son bateau, sous tension, impatient de repartir et de ramener enfin le maxi-trimaran aux cinq flèches à bon port.
Au bout du compte, le marin du Gitana Team a été le premier à prouver qu’une folle ronde autour du globe en bateau volant était désormais possible. À condition d’être sacrément armé, techniquement, physiquement, mentalement, et d’être parfaitement accompagné par une équipe d’hommes et de femmes tournés vers un même objectif. Derrière la mécanique collective, derrière un skipper transformé en machine à gagner, il y a beaucoup d’humain, de volonté, de savoir-faire et de temps de préparation.
Sa victoire est le fruit d’un long processus de création, de travail, d’échecs et de recommencements.
Son architecte Guillaume Verdier, engagé chez Team New Zealand pour l’America’s Cup 2013, a contribué à l’éclosion des grands multicoques volants à très haute vitesse. Pour ce bateau, avec son équipe et le bureau d’études du Gitana Team, il va mettre son expérience à contribution et tenter le pari : faire voler un grand trimaran en haute mer. « D’emblée, l’idée était de faire un bateau raide en torsion, de miser sur des systèmes mécaniques costauds, capables de faire bouger les appendices en charge et d’opter pour cette aile de raie (plan porteur sur la dérive) qui permettait d’acquérir plus de stabilité en vol, malgré la traînée. On a aussi été les premiers à imaginer des safrans en T relevables verticalement, raconte Guillaume Verdier. « C’est la ‘maquette du MOD 70’ qui nous a permis de faire ce premier pas en 2014, poursuit-il. Le ‘step’ était cependant énorme pour passer à un multi de 32 mètres. Le parcours n’a pas toujours été facile mais dès les premiers milles le bateau était bien né et nous avions saisi le potentiel ».
Avec cette nouvelle victoire, certainement la plus belle de son palmarès, le Maxi Edmond de Rothschild entre un peu plus dans la légende et a encore de belles heures devant lui. Au programme, un Trophée Jules Verne pour l’hiver 2024-2025. Charles Caudrelier sera naturellement à nouveau aux commandes, en équipage cette fois.
Parallèlement, il participe au développement du nouveau Maxi Edmond de Rothschild, Gitana 18. Sa mise à l’eau est prévue dans un an et demi, en septembre 2025. Ce nouveau voilier perpétue la grande saga des Gitana et représente un nouveau challenge pour l’écurie fondée par Ariane et Benjamin de Rothschild.
« On passe à la page suivante qui doit être un autre bond en architecture. On s’inspire de l’existant, tout en travaillant sur de nouveaux axes d’innovations. On ne fait pas un nouveau bateau pour faire une réplique du précédent ! », promet Guillaume Verdier.
En attendant, Charles Caudrelier et son équipe relâchent la pression en profitant d’une pause de quelques semaines loin du bureau. « Le rêve, maintenant, c’est d’être tous les soirs à la maison » confiait le marin quelques heures après son arrivée à Brest. La suite de son programme s’annonce aussi prenante que passionnante.