Comment sont nés les ULTIM ?

© Christophe Launay

Bateaux de course au large les plus rapides de la planète, capables d’en faire le tour en volant. Voilà ce que pourrait être la définition littérale des ULTIM. Fruit d’un long processus intellectuel, technologique et sportif, ces formidables machines à raccourcir les distances ont mis une quinzaine d’années à émerger et arrivent aujourd’hui à maturité. Petit retour en arrière sur la genèse des trimarans de 32 mètres par 23.

« Personne n’avait imaginé le concept de A à Z. C’est une histoire qui a fini par accoucher. Celle d’un bateau génial, de la technologie de la Coupe et aussi de bonhommes qui veulent déplacer leur terrain de jeu autour du monde… » Ainsi résume Thomas Coville l’histoire des ULTIM, qui anime sa vie et celle d’une poignée de skippers hors normes depuis près de 15 ans.

Le bateau génial, c’est Groupama 3, lancé en 2006. A l’époque, les trimarans de course au large font tous 60 pieds (les ORMA), et les grands multicoques de record qui mesurent entre 30 et 40 mètres sont plutôt des catamarans. Exemplaire unique dans ce paysage, Groupama 3 ressemble à un trimaran ORMA passé à l’agrandisseur. Sa taille est bizarrement fixée à 31,50 mètres. « Le but était de faire un bateau pas trop cher, mais le plus grand possible avec l’équipement existant », raconte Stéphane Guilbaud, aujourd’hui secrétaire général de la classe ULTIM et team manager à l’époque de Groupama. « On a pris le plus gros winch dans le catalogue Harken et il a déterminé la surface de la voile d’avant qu’on pouvait border. Ça nous a donné la taille du bateau ! »

Groupama 3 donne le tempo et fixe le cadre

Le skipper s’appelle alors Franck Cammas et après avoir décroché le Trophée Jules Verne en 2010 (48 jours, 7 heures, 44 minutes et 52 secondes), il s’attaque à la Route du Rhum qu’il remporte la même année « C’est vrai que l’enchaînement a marqué les esprits » dit Franck avec le recul. « On avait fait un bateau puissant par sa largeur mais qui restait léger. La référence de l’époque c’était Orange 2 qui pesait 30 tonnes. Groupama 3 en pesait 15 ! »

Le premier enseignement de Groupama 3 est d’avoir montré qu’à puissance égale, un trimaran pouvait être très léger et beaucoup plus polyvalent. Exit donc les catamarans ! Son skipper a aussi démontré que ce que l’on croyait impossible – mener en solitaire un trimaran de 100 pieds conçu pour l’équipage – ne l’était pas. Loïck Peyron et Francis Joyon confirmeront sur les Route du Rhum 2014 et 2018, à la barre de ce bateau, qu’il était bien né et que l’homme avait d’étonnantes capacités d’adaptation… Groupama 3 est une telle évidence qu’il servira à déterminer le cadre des ULTIM arrondi à 32 m x 23 m.

En 2013, la Coupe de l’America qui se dispute à San Francisco est le second point de bascule pour ce que vont devenir les ULTIM. L’idée de voler sur l’eau n’est certes pas nouvelle – Eric Tabarly l’avait déjà caressée en imaginant Paul Ricard en 1979 ! – mais c’est la première fois que des bateaux capables de faire du près, du vent arrière, de virer et d’empanner sans toucher l’eau et à des vitesses vertigineuses, font le spectacle. C’est un changement de paradigme et dans le petit monde de la course au large, c’est l’emballement général. Tout le monde se met au vol. François Gabart s’essaie au Class A, ces petits catamarans de sport ultra légers équipés de foils, Franck Cammas remporte sur un classe C volant la Petite Coupe de l’America avant de partir à l’assaut de la « grande »…

Le vol, un changement de paradigme

Mais au moment de lancer des machines de course au large, une certaine prudence reste de mise. D’autant qu’il ne s’agit plus seulement de traverser l’Atlantique mais de tourner autour du monde. « Dès 2008, je savais que le terrain de jeu serait la planète. C’est pourquoi avec Christian Dumard, nous avons proposé à Sodebo de construire un multicoque de record » raconte Thomas Coville. A un premier plan Irens-Cabaret, dont Francis Joyon fait construire un quasi-sistership avec lequel il bat une nouvelle fois le record du tour du monde en solitaire, succède en 2013 un engin beaucoup plus puissant mais encore archimédien. Thomas Coville désosse le vieux Geronimo d’Olivier de Kersauson qu’il transforme en un trimaran au maximum de la jauge ULTIM. Rebaptisé Adagio, il sera d’ailleurs au départ de l’ARKEA ULTIM CHALLENGE – Brest aux mains d’Eric Péron. De son côté, François Gabart lance son trimaran Macif en 2015. Il fait un pas vers le vol avec des foils et des plans porteurs sous les safrans mais la dérive reste classique, sans volet : « La Coupe était passée par là mais on ne savait pas si on serait capable de faire des foils capables d’encaisser les efforts pour du vol total » dit le vainqueur du Vendée Globe 2012. N’empêche, sur son plan VPLP, qui ricoche de vague en vague plus qu’il ne vole, il explose littéralement le record du Tour du monde en solitaire sans escale baptisé Trophée Saint Exupéry, détenu jusqu’alors par Thomas Coville. 42 jours 16 heures 40 minutes et 35 secondes, le record de Macif établi en 2017 reste le deuxième meilleur chrono établi encore aujourd’hui.

Entre-temps, Gitana teste des plans porteurs sur les safrans d’un MOD 70 qui remporte la Transat Jacques Vabre 2015. L’équipe de feu Benjamin de Rothschild a l’intuition qu’un bateau entièrement volant peut accomplir un tour du monde. L’étude de Edmond de Rothschild est commandée à Guillaume Verdier, l’architecte de Team New Zealand. Le cahier des charges est multi programmes : Solo, équipage, courses, record… « Nous n’avons pas adhéré à la Classe ULTIM qui venait de naître (en 2016 NDLR), mais nous avons veillé à nous mettre dans le cadre physique fixé par le règlement » dit Cyril Dardashti le team manager. Et de poursuivre : « Au départ, on ne montrait que des photos du bateau et pas de vidéos. Souvent les commentateurs disaient qu’elles étaient truquées ! »

Edmond de Rothschild créé un nouveau standard et le plateau s’étoffe

Elles ne le sont pas. Le plan Verdier mené à l’époque par Sébastien Josse vole à 100% sur quatre appuis : foil, safrans de flotteur et de coque centrale et dérive équipée d’une aile de raie (plan porteur). Les débuts sont chaotiques (rupture de foils dans la Route du Café 2019, flotteur cassé lors de la Route du Rhum-Destination Guadeloupe 2018), mais Edmond de Rothschild impose un nouveau standard de performances. Banque Populaire embraye avec d’abord Banque Populaire IX qui chavire sur la Route du Rhum – Destination Guadeloupe 2018 puis l’actuel Banque Populaire XI. Thomas Coville lance son nouveau Sodebo Ultim 3. Et François Gabart complète le plateau avec SVR – Lazartigue mis à l’eau en 2021, entièrement volant cette fois-ci. Nul doute que Edmond de Rothschild a changé la donne.

Plus loin, plus vite, n’est-ce pas l’histoire de la course au large résumée ? Force est de reconnaître que l’accélération, depuis quinze ans, a quelque chose de vertigineux. « Les ULTIM sont le prolongement de tout ce qu’on a appris sur les trimarans ORMA et sur la coupe de l’America, conclue Franck Cammas. C’est presqu’un aboutissement naturel. L’étape suivante, ce sera sans doute les monocoques volants. Car les ULTIM ne sont peut-être pas l’ultime étape ! » L’histoire est en marche et l’ARKEA ULTIM CHALLENGE – Brest en sera l’un des chapitres les plus marquants.

Source

OC Sport Pen Duick

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