L’étape décisive !

© Alexis Courcoux

Le départ de la 3e étape de la 51e édition de La Solitaire du Figaro sera donné demain samedi, à 16 heures (au lieu de 17 heures initialement prévues), devant l’entrée du port de Dunkerque. 492 milles à parcourir sur la route théorique qui sépare la ville des Flandres de l’arrivée en Loire Atlantique. Et rarement l’analogie entre le Tour de France cycliste actuellement en cours, et la configuration d’une étape de La Solitaire du Figaro n’aura été si bien justifiée. La Manche, de la Mer du Nord à l’Atlantique, est en effet scandée de difficultés apparentées à autant de cols hors catégorie. Du Cap Gris Nez à Portsall et jusqu’à Saint-Nazaire, en passant par la Baie de Somme, les falaises Dieppoises et le raz Blanchard, les solitaires vont en permanence jouer de la calculette et se torturer les neurones pour envisager, en fonction des vitesses intrinsèques de leurs montures, et d’un vent annoncé très aléatoire, le bon placement au moment de l’inversion des courants. Etape certes clémente sur le plan météorologique, mais de tous les dangers sur l’aspect sportif, de par sa configuration, et de par les enjeux relatifs à un classement général remarquable par les faibles écarts entre les concurrents.

Toutes les difficultés naturelles de la Manche !

Francis Le Goff, Directeur de course de La Solitaire du Figaro, se défend de toute malice dans l’accumulation des difficultés parsemées tout au long du parcours de l’étape majuscule programmée pour demain à 16 heures.

« Le parcours pour relier Dunkerque à Saint-Nazaire passe en effet en revue toutes les difficultés naturelles de la Manche » décrit-il. « On s’attend à des conditions de vent très maniables. Le jeu est très ouvert et c’est la topologie, la physionomie de la Manche qui va arbitrer les débats. Il y a énormément de possibilités d’attaque. Après deux étapes, on trouve en lice des coureurs qui ont déjà perdu la course et qui voudront se refaire, et d’autres qui ont un classement à préserver… donc c’est l’étape de tous les dangers car longer les côtes des Hauts de France, de Normandie et de Bretagne recèle une immense variété de difficultés, et parce que la physionomie du classement général la rend absolument décisive. Certains vont « tirer dans les coins », pousser des options extrêmes, jouer leur va-tout. On a un premier passage délicat dès le départ, sous les falaises de la côte d’Opale, où ça va jouer physique, contre le vent et le courant, à tirer des bords et enchaîner les virements, dans le couloir le long du Dispositif de Séparation du Trafic du Pas-de-Calais. Puis on arrive très vite en Baie de Somme avec la bouée de Dieppe à négocier, à moins de 4 milles de la côte, et un risque de gros trou de vent, consécutif au passage de la dorsale où on va basculer d’un régime d’Ouest à du Sud Est, donc au portant. La traversée sous spi dans 10 à 15 nœuds de vent de la Baie de Seine verra les concurrents décider d’aller loin au large pour passer les rails du Cotentin, ou se placer sur une route plus Sud, avec le jeu des courants qui forcent à serrer la côte. Puis on remet ça à Portsall, avec un gros risque de pétole, dans les courants ! »

Les 33 solitaires, depuis les abandons de Robin Marais (Ma Chance Moi Aussi) et de Corentin Douguet (NF Habitat), savent ce qui les attend et se préparent tous à jouer crânement leurs chances. De nombreuses interrogations planent au dessus du bassin de la marine à Dunkerque, home des Figaro Bénéteau 3 jusqu’à demain. Quelle sera l’attitude du leader Armel Le Cléac’h (Banque Populaire), si déterminé à l’emporter et capable de tous les coups de force ? Quelle sera la posture de Yann Eliès (Quéguiner Matériaux – Leucémie Espoir) ? Jouera-t-il la gagne ou placé ? Et quid de l’anglais Sam Goodchild (Leyton), en position d’entrer dans l’histoire comme le premier navigateur britannique à s’adjuger un podium sur La Solitaire du Figaro ? Autant de passionnantes questions dont les réponses ne tomberont qu’en milieu de semaine prochaine, mercredi probablement en Loire-Atlantique.

Une étape très cérébrale !

Alexis Loison (Région Normandie), qui arbore fièrement et jusqu’à son masque chirurgical, les Léopards des Plantagenêt, est, avec Fred Duthil (natif de Carentan) et Fabien Delahaye (né comme Alexis à Rouen), l’un des familiers de ces rivages Normands de toutes les chausse trappes. Il s’accorde comme beaucoup à qualifier cette troisième étape de décisive ! « On va partir en tirant des bords sous les falaises du Cap Gris Nez, dans du vent clair. On connait moins ces coins-là. Les falaises peuvent bloquer le vent. La Baie de Somme nous attend avec son trafic, ses courants, ses bancs de sable et ses algues. Il faudra laisser à tribord la bouée Daffodils à 4 milles devant Dieppe, et revenir à terre. Puis viendra la longue diagonale en travers de la Baie de Seine cette fois, en passant au large de Barfleur. On sera en capacité de s’en approcher si le courant est favorable au moment de notre passage. Le vent sera incertain et le bateau se comporte complètement différemment à trois ou quatre nœuds près. Le courant lui ne varie pas. L’heure c’est l’heure. Tout va être dans le timing. A une heure près, on pourra s’échapper, ou se prendre 6 heures dans la vue. Il faudra dès le passage à Dieppe réajuster le timing de passage à Blanchard, afin de se présenter dans les conditions de courant optimales. Le DST des Casquets nous empêche d’aller très loin au large. On va partir avec un schéma météo en tête, qui risque de beaucoup évoluer et de chambouler nos belles estimations. Il va falloir rester à l’affût, prêt à ajuster en permanence la stratégie de route. On retrouvera à Portsall le même schéma, courant contre vent. Dès l’Ile de Batz, on va trouver de forts courants, avec le choix d’aller jouer dans les cailloux ou de choisir le large.

C’est le parcours le plus difficile sur le papier ! On a déjà deux étapes dans les pattes et la fatigue se fait sentir. On va enchaîner tous les « cols » d’un seul coup. L’étape sera décisive car tout le monde se tient en quelques minutes au classement général. Même sans option, une renverse de marée peut faire le tri, à quelques milles près. Cette étape est très cérébrale. Il ne faut pas douter, à l’image d’un Armel qui est venu pour jouer la gagne, en franc tireur. Il ne faudra pas trop regarder les autres. Je connais peu les parages de l’estuaire de la Loire. C’est un coin piégeux. Jusqu’au bout il faudra demeurer en alerte maximale. »

Phil Sharp (Oceanslab) : La troisième étape sera décisive !

Le natif de Jersey Phil Sharp a dominé de la tête et des épaules ses années en Class40. Il revient en Figaro pour affronter les meilleurs navigateurs solitaires. De son propre aveu, il est servi !

« Le Figaro Bénéteau 3 représente un grand changement par rapport aux courses au très grand large, en Class40, que j’ai pratiquées ces dernières années. Il s’agit là de courses au contact, près des côtes, avec une flotte très compacte. La stratégie inshore, au plus près des rivages, est fondamentale, ainsi que la tactique sur l’eau, ce qui existe moins quand vous traversez l’Atlantique. Les courses sont plus courtes, mais tout le monde est à la limite de sa résistance. Le niveau est élevé et les différences entre les coureurs, minimes. Cela exige le meilleur de ce que vous avez dans le ventre. Cela vous pousse à être au maximum en permanence. J’apprends. J’apprends vite. Je ré-apprends beaucoup en définitive. C’est un vrai cours de décrassage. C’est vraiment le camp de formation, « boot camp », de la voile. J’aime l’idée de naviguer ainsi au plus haut niveau avec les meilleurs. C’est aussi pour cela que j’ai voulu refaire du Figaro, pour me frotter aux meilleurs et m’élever à leur niveau. C’est difficile d’arriver et de prétendre réussir tout de suite. Il y a beaucoup de préparations et d’entraînements à réaliser. Je n’ai pas eu beaucoup la possibilité de m’entraîner. J’ai l’impression de juste commencer à comprendre le bateau. C’est super de se frotter à de grands navigateurs et de les titiller. Il y a au moins 20 coureurs avec de grandes expériences. Je suis content de ma deuxième partie de course lors de la deuxième étape. J’étais bien concentré. J’ai repris quelques places. J’ai hâte d’être au départ de la troisième manche. Elle sera décisive. Tactique, longue, avec des écarts qui pourraient être énormes, à cause des phénomènes de côte, de courants, d’arrêt buffet et de mise à l’ancre pour ne pas reculer… »

Robin Marais (Ma Chance Moi Aussi), retour sur un échouage

Il était 9 heures 40 lundi dernier, sous les côtes anglaises. Robin Marais alerte la direction de course de La Solitaire du Figaro. Il s’est endormi et son bateau s’est échoué. Récit :

« C’est un accident bête, un endormissement. Je venais de faire une petite sieste et je voulais en reprendre un peu. J’étais en charge moteur, et je n’ai pas entendu mon réveil. J’étais plongé dans un sommeil profond. Je suis réveillé par le choc de ma quille qui heurte un rocher. Je suis sous spi, à plus de 7 nœuds. C’est violent. Le bateau est monté sur le caillou et y est resté coincé. Peu de mer mais suffisamment de brassage pour abimer le bateau. J’ai tout de suite affalé le spi. Tout autour, il y a des cailloux, dont un gros qui affleure sur tribord, et beaucoup de roches à fleur d’eau. J’enclenche le moteur et je bourrine en marche arrière. Rien ne bouge. J’essaie de le faire pivoter en jouant avec la barre. Rien ne bouge. Je connais un petit moment de panique. J’envoie un message d’alerte à la direction de course via la VHF, car je vois que je ne vais pas m’en sortir seul. Je prends le temps de me calmer. Je regarde sur mon ordi l’état de la marée. Elle à 80% descendante. Tout s’accélère et je comprends qu’en quelques minutes, mon bateau va rester coincé par la marée. Les pires scenarii se dessinent dans ma tête, avec cette Angleterre proche mais interdite par le Covid. Je me dis qu’il faut méthodiquement tout tenter pour sortir le bateau au plus vite. Un anglais est arrivé sur zone avec un gros semi-rigide. Il a refusé de me tirer, de peur peut-être d’abimer son bateau ou le mien. Je regarde dans l’eau par l’arrière du bateau pour voir comment le bulbe est encarté dans le rocher, et définir une stratégie et un chemin de sortie de cette zone de roches. Une voie existe par l’avant gauche. Je tente de nouveau de sortir au moteur en tentant toutes les combinaisons de barre, puis avec l’aide de la grand voile et du foil tribord qui est appuyé sur les cailloux. En vain. Je suis impressionné par la solidité du foil. Je m’attends à ce qu’il se brise d’un instant à l’autre. Je décide alors de me jeter à l’eau, près du foil, en botte et guêtre. J’ai de l’eau jusqu’à la taille et j’essaie de pousser dans tous les sens. Rien ne marche et je me résous à rester là. C’est alors que j’avise mon gros pare battage du bord. Je pense qu’il faut que j’anticipe l’échouage à venir. Mais en glissant le pare bat entre la coque et les cailloux, je constate que le bateau bouge. Je rajoute un plus petit pare bat et je pousse de toutes mes forces sur le foil. Le bateau pivote de 90 degrés. Je saute à bord et je lance le bateau en marche avant. Un dernier choc et je sors de cette zone. Je suis demeuré longtemps sur la déception et la culpabilité. Je me suis assuré de l’état du bateau, avec Wilfrid Clerton de la direction de course venu vérifier la capacité du bateau à traverser. J’ai décidé de ramener le bateau à Dunkerque, persuadé alors que je serai en mesure de réparer et de poursuivre cette solitaire. Tanguy Le Turquais (Groupe Quéguiner – Innoveo), qui a connu une mésaventure similaire est arrivé sur zone. Nous avons beaucoup échangé et cela m’a aidé à stopper la gamberge et la culpabilité pour rallier Dunkerque. »

Corentin Douguet, blessé, abandonne la course

Fracture de l’apophyse transversale de la deuxième lombaire. Le diagnostic consécutif à la visite mercredi du skipper de NF Habitat à l’hôpital de Lille vient de tomber. La douleur qui handicape le skipper Nantais depuis le départ de La Solitaire du Figaro porte désormais un nom. Poursuivre en l’état, avec la douleur et des moyens physiques diminués n’est plus du domaine du raisonnable, et Corentin, suivant en cela tous les avis autorisés, choisit de se retirer.

« Partir sous médoc ne serait pas un geste marin » explique-t-il. « La navigation en solitaire et l’étape qui nous attend exigent une attention de tous les instants incompatibles avec un traitement antidouleur efficace. Je dois me reposer, tout arrêter car ce type de blessure ne requiert aucun traitement autre que l’immobilisation totale. C’est une déception. La Solitaire est un investissement total, et il est très difficile de la quitter, même blessé. En 2010, après un podium d’étape, j’avais navigué malade, victime d’une pneumonie. Mais cette fracture est vraiment handicapante. »

Source

Rivacom

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