Huit bizuths entre rêve et appréhension

© Alexis Courcoux

Ils sont cette année huit skippers à faire leurs grands débuts sur La Solitaire URGO Le Figaro et à concourir au très convoité classement des bizuths. Agés de 22 à 40 ans, ils viennent d’horizons différents mais partagent une même passion pour le large. A quelques jours du départ de la première étape entre Le Havre et la Baie de Saint-Brieuc, ils confient leurs attentes mais aussi leurs appréhensions…

« Chez nous, on dit que la pression, c’est pour les pneus ». Même pas peur, Tom Dolan, au moment d’attaquer sa première Solitaire URGO Le Figaro ! Il faut dire qu’en un an, l’Irlandais de 31 ans a eu sa dose de milles, entre la dernière Mini-Transat en solo, terminée au 6e rang, et la Transat AG2R La Mondiale en double en mai, dont il a pris la 11e place avec Tanguy Bouroullec. C’est donc sans complexe que le skipper de Smurfit Kappa s’élancera dimanche du Havre, mais avec le sentiment de vivre un rêve éveillé : « J’ai grandi dans la campagne, pas loin de la frontière avec l’Irlande du Nord, le seul endroit pour naviguer était un lac, où j’ai commencé lorsque mon père a acheté un bateau en bois. Je me suis alors mis à regarder des vidéos sur Internet et je me souviens du Figaro, je me demandais comment les mecs arrivaient à faire avancer leur bateau tout seul, ça me faisait rêver. Le fait d’être là est l’aboutissement d’un rêve d’enfant, c’est dingue ».

Un rêve d’enfant, c’est également ce que s’apprête à réaliser Sébastien Petithuguenin, bizuth au profil atypique, Directeur Général côté terre de Paprec Group, entreprise reprise en 1994 par son père, passionné de régates côté mer : « J’ai eu 40 ans cette année, mon objectif était pour mes 40 ans de réaliser un rêve d’enfant, en l’occurrence courir la Solitaire URGO Le Figaro, une épreuve mythique qui a révélé tous les skippers ayant marqué la voile en France, les Peyron, Bourgnon, Desjoyeaux, Cammas… La Solitaire est pour moi une référence en termes de compétition sportive, j’avais envie de découvrir de l’intérieur à quel niveau sportif évoluent ces cracks qui, demain, feront le Vendée Globe, ça me fascine », confie celui qui ne se fixe qu’un objectif prioritaire : « finir ».

Un objectif forcément différent de celui de Tom Dolan qui, fort de ses premières expériences au large, explique : « J’ai très envie de faire un podium, voire de gagner en bizuth, mais ça ne va pas être facile, il y a quelques cadors comme Loïs, qui fait vraiment peur, Thomas Cardrin et Calliste Antoine ». Loïs, c’est Loïs Berrehar, lui aussi passé en début de saison par la Transat AG2R La Mondiale (12e avec Erwan Le Draoulec) et propulsé à la barre de Bretagne CMB Espoir suite au retrait du précédent skipper, Aymeric Belloir. Une expérience qu’il voit comme un atout au moment de débuter dans la cour des grands : « J’ai bien vu comment se déroule un événement comme la Solitaire en courant la Transat AG2R qui est aussi assez médiatisée. C’est un honneur d’être face à cette élite de la course au large », se réjouit le jeune skipper de 24 ans, qui confie avoir plusieurs modèles : « Charlie Dalin avec ses quatre podiums d’affilée, Erwan Tabarly et Thierry Chabagny qui ont une expérience de malade au large en solo. Courir à armes égales avec ces gars-là, c’est génial ».

« C’est très impressionnant d’arriver là »

Génial mais forcément un peu stressant pour ces novices qui ne savent pas trop à quelle sauce ils vont être mangés, à l’instar de Romain Baggio (Maison Meneau-Les Marins de la Lune), 39 ans, architecte de métier, donc amateur : « J’ai fait pas mal de Tours de France et du match-race, j’avais envie de solitaire et de large, et de participer à La Solitaire avant le passage au Figaro 3, tant que les budgets sont maîtrisables. C’est très impressionnant d’arriver là. Il y a une masse d’informations énorme à ingurgiter. J’ai un peu d’appréhension avant ce départ, surtout de casser, j’ai beaucoup de mal à me jauger, on verra bien », explique celui qui s’est préparé avec le Team Vendée Formation, tout comme Thomas Cardrin, 30 ans, qui porte justement les couleurs du team basé à Saint-Gilles-Croix-de-Vie et qui ajoute : « C’est une course importante, donc j’ai bien sûr un peu l’appréhension de ne pas être à la hauteur, même si en avant-saison, j’ai vu que je pouvais être dans le bon paquet. On s’est entraînés avec une bonne équipe et des têtes d’affiches au Team Vendée Formation. Ça permet de bien s’étalonner, de trouver les bons réglages et d’arriver confiant ».

Quant à Joan Mulloy, 31 ans, fille d’un conchyliculteur de Westport et première femme irlandaise à courir La Solitaire sur Taste the Atlantic-A seafood journey, elle voit cette première comme « un gros challenge », elle qui confie avoir été inspirée par « Dame » Ellen MacArthur : « C’est un modèle pour moi, j’ai lu un de ses livres quand j’étais jeune, c’est une femme, de petit gabarit, je me suis dit que si elle y arrivait, je pouvais aussi peut-être le faire ! Mon objectif est de trouver ma place au sein de la flotte, surtout avec les bizuths. Je n’ai pas forcément d’appréhension parce que j’aime le large, j’ai juste peur de faire une grosse erreur et d’être dernière ! ». Un qui aura au moins été une fois devant, c’est le jeune Granvillais (23 ans) Calliste Antoine (ImmoNew) – ils sont deux débutants à s’être entraînés à Granville avec Pierre-Louis Atwell (Laboratoires Mayoly-Spindler – MSD France), 22 ans – puisqu’il a remporté mercredi en bizuth le prologue URGO. « Si ça marche comme ça sur la course, ça sera sympa ! », s’est exclamé l’intéressé. Un rêve de bizuth parmi d’autres…

Ils se souviennent de leur première…

Ils sont 4 sur 36 sur cette 49e édition à compter plus de dix participations à La Solitaire URGO Le Figaro, ils racontent leur première…

Thierry Chabagny (Gedimat), 16 participations :

« C’était en 2001, en Figaro 1, je me battais contre des gens que j’admirais depuis longtemps, comme Michel Desjoyeaux, Vincent Riou et autres. Je me souviens notamment de l’étape la plus longue de l’histoire de La Solitaire, Dingle-Hendaye, une espèce de diagonale des fous de 650 milles, j’avais fini premier bizuth et 14e de l’étape, on avait fait un grand bord de largue serré qui avait duré 48 heures, ce qui, sur le Figaro 1, était très technique parce que le bateau était très dur à garder à plat, c’était vraiment l’enfer. C’était un parcours initiatique, la découverte de l’endurance. Quand tu es bizuth, le plus dur, c’est de tenir le rythme, souvent tu es très fort au début mais ensuite, tu t‘écroules, parce que tu ne gères pas bien ton sommeil et tu perds de la lucidité. Si j’avais un conseil à donner aux bizuths cette année, c’est celui que Michel Desjoyeaux m’avait donné : il faut accepter d’aller dormir. Au début, c’est dur à intégrer, parce que tu te dis que ça va se jouer à tous les moments et qu’il ne faut pas lâcher, alors que c’est le contraire : sur La Solitaire du Figaro, il faut accepter de lâcher prise de temps en temps ».

Erwan Tabarly (Armor-Lux), 15 participations :

« C’était en 2000, je sortais de la Mini, j’étais content d’attaquer sur cette série-là et j’y suis toujours. Je n’ai pas de souvenir d’appréhension ou de pression, j’étais surtout content d’être à côté de marins exceptionnels qui me faisaient rêver, Philippe Poupon par exemple qui était toujours là. Je me souviens de quelques moments insolites, par exemple quand j’ai croisé un bateau qui naviguait en sens inverse du mien ! En fait, il s’était endormi, mais j’ai douté un petit moment. A l’époque, c’était toujours le stress au lever du jour pour savoir qui était à côté. Le premier geste du matin, c’était de sortir la paire de jumelles et souvent, on avait pris un bateau pour un autre, ça a complètement disparu aujourd’hui avec l’A.I.S. Ce n’est quand même pas simple de démarrer, tu navigues contre des coureurs de talent et toi, il te manque un peu tout : la gestion du sommeil, la vitesse et la maîtrise du bateau aussi, surtout dans la brise. »

Alexis Loison (Custo Pol), 12 participations :

« Ma première était en 2006, je me souviens de façon précise de toutes les étapes, c’était un rêve qui se réalisait, nous étions partis de Cherbourg, ma ville fétiche, j’étais sorti dernier de la Rade, ça faisait plaisir (rires). J’avais 21 ans, c’était une année où nous étions 16 ou 17 bizuths, il y avait Corentin Douguet, Jean-Pierre Dick, Thomas Rouxel, Ronan Treussart, Gildas Mahé, Robert Nagy, Christopher Pratt, Damien Seguin… ça avait été une belle bagarre et une édition marquée par la première des « Troussellerie » sur la deuxième étape : je me souviens qu’au classement, j’entendais que Nico Troussel était dernier en distance au but, je me disais qu’il ne fallait surtout pas aller dans l’ouest et qu’il était perdu, et le lendemain, il était devant, ça m’avait vraiment marqué. Un conseil aux bizuths ? Il faut faire simple, bien s’écouter, ne pas croire qu’on ne dort pas, au contraire, il faut dormir pour avoir plus de lucidité ».

Frédéric Duthil (Technique Voile), 10 participations :

« Quand j’ai démarré en 2004, il y avait pas mal de gros bras : Le Cléac’h, Eliès, Desjoyeaux… Lorsqu’ on débarque avec peu d’expérience et de vécu – j’ai commencé par deux préparations olympiques en planche à voile – on a nécessairement beaucoup d’appréhension, mais se confronter à des gens comme ça incite à être curieux et c’est aussi très motivant pour montrer ce qu’on est capable de faire. En 2004, le Figaro 2 avait moins d’un an, il était encore en phase de développement : réglages de mât, de safrans, coupe des voiles. J’ai tout de suite décidé de travailler avec un voilier différent et il s’avère que dès les premiers mois, j’ai trouvé la vitesse et ça a suscité l’intérêt des bons de la classe, c’était rigolo. Malgré ça, je termine à la 22e place au général. J’avais l’impression d’obtenir un résultat bien en-deçà de mes espérances. En fait, tu comprends vraiment à la fin de ta première Solitaire que c’est une course d’expérience. La première, tu n’es pas assez régulier, tu tentes des coups qui n’ont pas lieu d’être. C’est une course où il faut être patient, savoir temporiser. Dès la deuxième année, on est dans une attitude plus réaliste. Finalement, c’est une super école de la vie. Il faut faire des choix tout le temps, on y apprend à bien se connaître ».

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Rivacom

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