Les héritiers

© Eloi Stichelbaut

La Transat Québec Saint-Malo est née en 1984. C’était à l’époque l’âge d’or des premiers multicoques, quand l’imagination des skippers et des designers ne connaissaient pour seule limite que ce que la technologie des matériaux composites avait alors à offrir. Si les monocoques de la Class40 se taillent dans l’édition 2016 la part du lion avec 19 unités présentes dans le bassin Louise à Québec, les multicoques des classes Ultime et Multi50 portent avec panache et une certaine fierté l’héritage de la course. Spindrift2 et le MOD Musandam Oman Sail évoquent les disparités de taille observées lors des éditions fondatrices de la course, et la Classe Multi50 apporte une touche d’homogénéité et de cohérence sportive qui laisse grande ouverte la porte des spéculations quant à l’ordre d’arrivée finale à Saint-Malo.

Puissance et performance

Précédant les deux grands trimarans Ultime de la flotte, les quatre Multi50 engagés à Québec perpétuent la tradition et rappellent l’image puissante des grands multicoques qui ont construit la légende de la course. Charge à eux dimanche d’animer le plan d’eau de leurs silhouettes caractéristiques, grandes libellules glissant sur l’eau bouillonnante du fleuve. À la quantité, les quatre trimarans présents opposent leur cohérence dans un range de performances très similaires, qui ouvre toutes les supputations sur l’ordre d’arrivée en Bretagne. Intégré au pied levé au sein du Team Spindrift, Erwan Le Roux, vainqueur et recordman de l’épreuve en 2012, et qui a dû, à grands regrets, laisser en chantier son FenêtréA Cardinal, se souvient de l’étonnant comportement des Multi50 non seulement lors des phases côtières du parcours, mais aussi en Atlantique, à l’attaque en avant des dépressions. « Il nous avait fallu lever le pied à cause de l’état de la mer » souligne-t-il, « Mais nos routages nous mettaient à seulement quelques heures du chrono record de Loïck Peyron et son trimaran de 60 pieds Fujicolor II. » Karine Fauconnier (Arkema), vainqueur en trimaran Orma de 60 pieds (Sergio Tacchini) en 2004, Yvan Bourgnon (French Tech Rennes Saint-Malo), familier de la course en catamaran et trimaran de 60 pieds, replongent avec bonheur dans l’aventure à bord de Multi50 capables de reproduire à l’identique les sensations procurées jadis par des unités plus puissantes.

Une course d’observation

Course exigeante, nerveusement et physiquement, la Transat Québec Saint-Malo n’accorde que peu de répit aux équipages. C’est d’autant plus vrai en multicoque. « Dès le départ, nous allons entamer une longue sarabande de virements de bord », explique Thierry Bouchard (Ciela Village). « Difficile de se concentrer sur la concurrence quand vous êtes en permanence à l’affût des effets de pointes et de sommets, des courants, des estuaires, des animaux marins et autres Ofnis charriés par le fleuve. La gestion humaine est primordiale, et c’est pourquoi notre principal atout, en plus de la fiabilité du bateau, est sans conteste la belle cohésion de notre équipage… » Un équipage réduit en l’occurrence à trois personnes selon la volonté de Thierry. « Oliver Krauss connait parfaitement le bateau, et Alan Pennaneac’h apporte sa fraicheur et son expertise de voilier ; le gain de poids entre trois et quatre équipiers nous semble un atout non négligeable pour tirer notre épingle du jeu dans les petits airs. »

Lalou Roucayrol (Arkema) privilégie lui l’observation, depuis le pont, avec l’aide de ses complices de toujours César Dohy et Étienne Carraz, mais aussi à la table à cartes avec l’amicale implication de Karine Fauconnier ; « Courants, effets venturi, resserrement des côtes, marées… autant d’obstacles qui peuvent se conjuguer en un point du plan d’eau, bloquant la progression des uns, favorisant l’échappée belle des autres » traduit-il. « Le fleuve exige une vigilance de tous les instants et Karine sera là pour aider à l’essentielle anticipation des phénomènes du fleuve. » Du match, de la navigation à vue, au plus près des côtes… le vainqueur de The Transat Gilles Lamiré (French Tech Rennes St Malo) s’en délecte d’avance ; « Le fleuve sollicite tous les réflexes du marin, dans l’analyse de tous les phénomènes terrestres, marins et aériens. Un « grand chelem » (The Transat + Québec Saint-Malo ndlr) se gagnera au prix de l’observation et de la vigilance. »

Une régate au contact

« Ne pas tenter le diable ». Lalou Roucayrol, à l’instar de ses adversaires, naviguera avec humilité face au gigantisme du fleuve Saint-Laurent. « Je pense que nous resterons groupés jusqu’à l’embouchure, tant il serait hasardeux de tenter d’hypothétiques coups le long du fleuve. » Damien De Pas, directeur de course porte un regard synthétique sur cette première partie de course si singulière, confirmant l’impérative nécessité de ne pas tenter d’options radicales. « Les premiers 100 milles de navigation dans le fleuve entre Québec et Tadoussac sont vraiment compliqués, avec des options au niveau de l’île d’Orléans, des zones où le courant est fort et la météo difficile à prévoir avec des bascules radicales du vent. Flux changeants, courants, flotte au contact, la course prend vraiment des aspects de régate côtière. La première marque de passage à Rimouski n’intervient qu’après 100 milles de course, sur la rive sud qui est naturellement sur la route des coureurs. On espère voir passer une flotte resserrée de Multi50… »

Une flotte compacte, des équipages expérimentés, des Multi50 capables des plus grandes performances, la course de ces trimarans de 15,24 m s’annonce pleine de rebondissements et nimbée d’incertitude quant à son dénouement.

Ils ont dit :

Loïck Peyron, détenteur du record absolu de l’épreuve (Fujicolor II 1996 – 7 jours, 20 heures, 24 min)

« Cette course a tous les ingrédients du succès ! C’est la plus belle épreuve en équipage, avec un parcours d’une grande variété, rapide, magnifique. J’étais à Québec dès 1983 pour la mise à l’eau du catamaran de Mike Birch, Formule Tag. L’année suivante, pour la première édition de la Transat, Mike me prenait comme second. J’ai depuis disputé 5 éditions de cette si belle épreuve. L’édition 1996 avait été épique, avec un Saint-Laurent rapide, mais truffé de troncs d’arbre, et des passages de front très violents en Atlantique. On s’était bien tiré la bourre avec Laurent (Bourgnon) et Paulo (Vatine). Ce record avait failli tomber lors de la belle prestation de Karine Fauconnier en 2004. Il devait logiquement être battu cette année avec Spindrift 2, qui est la machine ultime de course au large… »

Alain Gautier (Class40 Generali Horizon Mixité)

« C’est ma 5e participation à cette belle course. J’étais là au tout début, en 1984. La fête avait été énorme, car la transat entrait dans le cadre des célébrations du 450e anniversaire de la découverte du Canada par Jacques Cartier. J’ai à nouveau disputé la course en 1988, puis en 2000 et 2004, en Classe Orma. L’épreuve a su conserver son esprit convivial, joyeux et festif du début… »

Damien De Pas, directeur de course

« Les passages obligés à Rimouski, Matane, Gaspé et Percé ne constituent pas vraiment des inconvénients dans les choix de route des coureurs. Ils sont en revanche des repères intéressants entre les concurrents qui apprécient aussi de prolonger le long du fleuve l’accueil des Québécois qui se déplacent toujours en nombre pour saluer leurs passages… »

Source

Soazig Guého, Mille & une vagues

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