Yann Eliès : Sans peur et sans revanche

© Gilles Morelle / www.gillesmorelle.com

Le 6 novembre 2016, il prendra le départ de son deuxième Vendée Globe, huit ans après son accident au sud de l’Australie. Loin d’être échaudé, Yann Eliès reviendra avec le bateau qui était justement venu le secourir, l’ancien Safran de Marc Guillemot, qui sera mis aux couleurs du Groupe Quéguiner à la faveur d’un grand chantier qui vient de débuter. Entretien.

Yann, en quoi consiste le chantier qui se déroule actuellement à Lorient ?

Nous avons commencé à poncer la coque pour mettre la nouvelle déco. Nous avons aussi réalisé un grand check up, différentes expertises ont révélé que le bateau n’a pas de souci majeur. Il est même nickel, mis à part quelques détails que nous allons régler. Côté optimisations techniques, les choix ne sont pas encore arrêtés, nous avons lancé les études avec les architectes pour déterminer les travaux à effectuer. Bien que confortable, notre budget n’est pas aussi élevé que ceux de Safran, Banque Populaire ou encore Groupe Edmond de Rothschild. Nos dépenses devront être intelligentes et on ne pourra pas s’offrir tous les gadgets.

Sous les couleurs de Safran, ton bateau a perdu sa quille à deux reprises. Vas-tu changer cet appendice ?

Très probablement. La quille actuelle est en carbone. Elle a certes terminé la Transat Jacques Vabre 2013 et la Route du Rhum 2014, mais elle n’apporte pas toutes les garanties de fiabilité à mes yeux. Je ne veux en aucun être celui qui perdra une troisième quille avec ce bateau. En installant une quille en acier, on perdra un peu en performance mais on gagnera beaucoup en fiabilité.

Mis à l’eau en 2007, l’ancien Safran reste un IMOCA très compétitif ?

Oui, nous ne l’avons pas acheté par hasard. Ce 60 pieds dispose d’un énorme potentiel, c’est sans aucun doute le meilleur bateau de sa génération. La construction a été longue (12 mois) et bien faite : un vrai bijou. C’est aussi un IMOCA mythique qui a montré la voie. Safran a été le fruit de la première collaboration entre le cabinet VPLP et Guillaume Verdier. C’est devenu la référence, les six bateaux neufs actuellement en construction sont des plans VPLP/Verdier. Entre sa mise à l’eau en 2007 et le Vendée Globe 2012, Safran a été en perpétuelle évolution et n’a cessé de progresser. En revanche, il n’a pas changé depuis le Vendée. Cela nécessite des améliorations, d’où le travail d’optimisations que nous effectuons.

Safran était-il ton premier choix ?

Non. Avec mon sponsor, nous avons négocié pendant un an pour racheter Macif, le bateau tenant du titre. La réponse a tardé à venir et elle a été négative (l’ex Macif portera finalement les couleurs de SMA, avec Paul Meilhat à la barre, N.D.L.R.). Je l’ai un peu eu mauvaise car nous avons perdu beaucoup de temps dans cette affaire… Mon deuxième choix était Safran mais je m’intéressais aussi à l’ex Virbac-Paprec 3 de Jean-Pierre Dick (un autre plan VPLP/Verdier, lancé en 2010, N.D.L.R.). Les deux bateaux se valent. Le timing a primé : Safran était libre après la dernière Route du Rhum alors que Virbac-Paprec 3, loué par Alex Thomson pour la Barcelona World Race, ne serait pas arrivé en France avant fin mars. Et encore : comme le bateau a démâté, il se trouve à Salvador de Bahia et on ne sait pas quand il sera à nouveau en état de naviguer. J’aurais donc perdu trois ou quatre mois en optant pour Virbac-Paprec 3, ce qui n’est pas négligeable à l’échelle d’un projet sur deux ans.

Tu connais déjà bien ton 60 pieds pour avoir participé à la Transat Jacques Vabre 2011 à son bord, en double avec Marc Guillemot…

Oui, je ne pars pas de zéro. J’identifie déjà des pistes de travail pour l’améliorer, notamment au niveau de l’ergonomie. Lors de la Jacques Vabre, j’ai eu un bon ressenti avec ce bateau – mais qui ne l’aurait pas ? A cause d’un problème de safran, nous n’avons toutefois pas pu l’exploiter à fond et avons terminé sixièmes. Je suis resté sur ma faim. Je vais avoir l’occasion de me rattraper.

Marc Guillemot va-t-il t’aider pour la passation de relais ?

C’est un peu délicat car Marc a eu du mal à se séparer de son « bébé ». Il se serait bien vu continuer avec. Mais on se connaît bien, on s’apprécie. Marc va dépasser sa déception et nous allons pouvoir commencer la phase d’échange.

La guerre psychologiques est lancée pour les foils !

La question qui tue : Groupe Quéguiner sera-t-il équipé de foils ?

J’hésite encore, pour deux raisons. La première, c’est que Safran et Banque Populaire ont signé un contrat d’exclusivité avec les architectes qui empêchent ces derniers de travailler sur les bateaux d’anciennes générations, et ce jusqu’au 1er janvier 2016. Cela nous bloque donc. La deuxième raison est tout simplement qu’on ne sait pas si les foils seront efficaces et suffisamment fiables. L’heure est à l’observation. Je vais regarder ce que font les teams qui ont les moyens financiers et humains de développer les foils. S’il apparaît que ces appendices sont indispensables pour la performance, tout en assurant une fiabilité importante, nous en installerons, lors d’un chantier à l’hiver 2015/2016.

Ton IMOCA, à la fois étroit et léger, semble à première vue adapté aux foils…

Exactement. C’est sûrement pour cette raison que Safran et Banque Populaire ferment le jeu : ils ont peur que mon bateau aille plus vite qu’eux avec des foils !

Que penses-tu des récentes révélations de Banque Pop’ à ce sujet ?

La guerre psychologique est lancée ! C’est intelligent de leur part de communiquer autour des foils car il s’agit d’une sacrée révolution technique dans notre sport. Mais les beaux schémas en 3D et les photos de Mini à foils ne prouvent rien, c’est très théorique à ce stade, c’est de l’intox. Mon intime conviction est que ces appendices vont marcher. Mais quand ? Avant ou après le Vendée Globe ? Tout l’enjeu est là.

Quel sera ton programme de courses et d’entraînements pour cette saison 2015 ?

Groupe Quéguiner sera mis à l’eau dans la seconde partie du mois de juin. Suivront des entraînements en double en juillet avec l’équipier qui m’accompagnera pour la Transat Jacques Vabre – je ne te dirai pas de qui il s’agit ! Le premier objectif sera la Fastnet, en double. Puis il y aura des stages d’entraînement en août et en septembre à Port-la-Forêt, avant le principal objectif de la saison qui sera donc la Transat Jacques Vabre. Je ne sais pas encore si je participerai à la transat retour, la B to B, entre Saint Barthélémy et Roscoff.

Comme si rien ne s’était passé…

Juste avant la mise à l’eau de ton IMOCA, tu participeras à la Solitaire du Figaro. Pourquoi ce double programme ?

Pour garder le rythme de la compétition au très haut niveau. Je ne veux pas m’éloigner de mon terrain de jeu : la mer. Lors de ma première participation au Vendée Globe, en 2008, je n’ai fait que suivre le chantier de mon 60 pieds. J’ai passé tout mon temps derrière un bureau, devant un ordinateur ou dans un hangar. Je ressentais du manque et de la frustration. Et quand le bateau a été mis à l’eau, je n’étais pas prêt, il a fallu une phase de remise en route. Je ne veux pas refaire cette erreur. Cette fois, je vais sauter de mon Figaro à mon IMOCA. Le Figaro va me permettre de rester au top, c’est la meilleure école qui soit.

Le Vendée Globe ne t’a pas ménagé en 2008/2009. Comment appréhendes-tu ton retour sur cette épreuve ?

C’est comme si rien ne s’était passé… Je suis dans une logique sportive et en aucun cas animé par un sentiment de revanche. Je ne ressens pas de traumatisme ni d’appréhension. Sinon je n’aurais pas participé à la Route du Rhum en MOD70 ! J’ai déjà intégré les leçons de cet accident, identifié les erreurs que je ne ferai plus. Maintenant, je regarde devant.

Pourquoi ne t’a-t-on pas vu en 2012/2013, tu n’as pas pu monter un projet à la hauteur de ambitions ?

Oui, c’est ça. J’aurais pu être au départ mais pas dans des conditions acceptables. Le Vendée Globe est une épreuve si difficile que l’on ne peut pas se permettre de prendre le départ avec un retard de préparation et des soucis financiers.

Pour l’édition 2016/2017, les conditions semblent cette fois réunies pour briller. Vises-tu la victoire ?

Je suis bien placé pour savoir que l’objectif premier est de terminer. L’objectif n°2 est le podium. Ceci dit, il est délicat de se projeter alors même qu’on ne connaît pas le potentiel des futurs bateaux. Avec mon équipe, nous allons en tout cas tout faire pour nous présenter sur la ligne avec un très gros potentiel. Si nous travaillons bien, nous y arriverons.

Source

Vendée Globe

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Texte

Olivier Bourbon / agence Mer & Média

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