Divorce par consentement mutuel

© Christophe Breschi

Sans pleurs ni grincements de dents, les deux leaders de la course qui naviguaient collés serrés ont choisi de vivre leur vie, chacun de son bord. Quand Sébastien Rogues et Fabien Delahaye décidaient de remettre une couche vers le nord, Jörg Riechers et Sébastien Audigane tentaient leur chance sur une route sud, plus proche de la route directe, mais aussi plus incertaine.

La course au large, sans une certaine part d’incertitude, n’aurait pas ce charme vénéneux des jeux de hasard. Bien sûr, l’évolution des technologies, la fiabilité des modèles météo tend à réduire les marges d’erreurs, mais il reste encore quelques situations où l’analyse scientifique peut montrer quelques limites. Le cas de figure de cette arrivée en est la parfaite illustration. Devant les étraves des Class40 se profile une zone de calme générée par un marais barométrique sur l’ensemble du golfe de Gascogne. Seule l’entrée de la Manche, sous l’influence de l’anticyclone centré maintenant sur l’Angleterre, conserve un régime de vents d’est modérés.

Conservateurs et risque-tout

En choisissant de repartir vers le nord, les hommes de GDF SUEZ font le pari de la sagesse : ce qui est pris ne sera plus à prendre et les prochaines heures devraient encore leur permettre de progresser à vitesse régulière vers la pointe de Bretagne. C’est cartésien et bien en phase avec la rigueur de pensée acquise sur le circuit Figaro par un navigateur comme Fabien Delahaye. Seul bémol : ils se retrouvent maintenant dans une position extrême qui, si jamais le vent venait à tourner, ne leur laisse plus d’échappatoire. Qu’il prenne une composante nord, cela signifie qu’ils auront fait de la route en trop, qu’à l’inverse il revienne au sud-est, et les équipages engagés sur cette route nord se retrouveront à nouveau face au vent pour pointer vers Les Sables d’Olonne.
Les hommes du sud, a priori, jouent gros. Devant eux, se dresse une masse sans vent qu’ils devraient être les premiers à atteindre. Ce qui peut signifier à plus ou moins court terme, des vents instables, des vitesses anémiques et le blanchissement prématuré des quelques cheveux qui auront survécu à l’arrachage. Mais Eole a parfois quelques petits caprices : dans ces conditions, les modèles peinent à fournir des données précises et le pifomètre est parfois un bien meilleur capteur que toutes les connexions satellites. Retrouver dans cette option des marins aussi expérimentés que Sébastien Audigane ou bien Halvard Mabire est déjà un indicateur que le jeu est peut-être plus ouvert qu’il n’y paraît. Et l’arrivée d’un petit front sur le proche Atlantique peut redistribuer les cartes. Peut-être même que certains des partisans de cette option se sont souvenus de la sentence définitive d’un Jean Le Cam qui n’oubliait jamais de dire que « dans le golfe de Gascogne, si tu ne sais pas ou aller, c’est de l’ouest que viendra la solution… »

Le grand chambardement

Avec une centaine de milles de décalage en latitude entre nordistes et sudistes, cette guerre de sécession peut faire des ravages. Même les six à sept heures d’avance des deux leaders sur le quatrième peuvent fondre comme neige par ces temps de canicule. Du troisième Eärwen au cinquième Red en passant par le quatrième, Campagne de France, tous peuvent encore espérer s’emparer du classement général, tant l’arrivée risque d’être tordue. Graciosa avait distribué les bons et mauvais points lors de l’étape aller, les côtes vendéennes pourraient jouer le même rôle sur l’étape retour. Du sixième BET 1128 au onzième Marie-Galante, la flotte se tient en un peu plus d’une heure. Tous aimeraient bien aller titiller les copains de l’étage supérieur, mais ils savent aussi qu’ils peuvent tout gagner ou tout perdre à quelques milles près. D’autres enfin, n’ont pas ces états d’âme. A bord de Momentum Ocean Racing, Emma Creighton et Dan Dytch limitent les heures de moteur pour ne pas tomber à sec avant l’arrivée, quand sur La Belle Equipe comme Ecoelec, on ne pouvait que constater l’inconcevable : la bouteille de Porto achetée chez Peter Café Sport ne survivra pas aux dernières heures de course.

Ils ont dit :

Stéphane Le Diraison (Mr Bricolage)

La mer est un peu courte, ce n’est pas très confortable. Le bord qu’on a fait hier, on n’avait pas prévu de le pousser si loin. On a finalement décidé de tenter un coup, parce que les fichiers nous donnaient envie et que l’on a des voiles un peu vieilles et qu’au contact, ce n’est pas à notre avantage. On est joueur et on avait envie d’aller voir le phare du Fastnet. On va plutôt jouer la côte, car ça risque d’être mou à l’arrivée et les effets de brises côtières peuvent être un vrai plus dans cette configuration.

Halvard Mabire (Campagne de France)

Tout se passe bien. Ça ne mouille pas trop, dans ces conditions je ne regrette pas de faire du près. L’arrivée risque d’être particulièrement compliquée. Il y a, sur cette course, pas mal de gens qui naviguent bien, donc on verra bien. Il vaut mieux une arrivée compliquée pour tout le monde : tout le monde espère que ce sera le bazar. Après il y aura des gens qui pleureront et d’autres qui riront. Pour les gens qui sont au nord, ils ont une arrivée assez claire sur les côtes françaises, mais même les plus au nord n’iront pas sur un seul bord aux Sables d’Olonne. Les 150 derniers milles vont être particulièrement tordus.

Louis Duc (Phoenix Europe Carac)

Ça se passe pas mal, il fait grand beau. On a croisé ce matin BET 1128. On est assez content parce qu’hier on était en retard sur eux. Tout va se jouer dans la nuit. Les hommes du sud, je pense qu’ils ont intérêt à revenir dans le nord rapidement. Si ça se trouve on va finir par passer dans le raz de Sein. Toute la journée de demain, on n’aura pas beaucoup de vent pour arriver aux Sables d’Olonne, parce que c’est quand même là qu’on va. Pour moi, les classements de la journée ne sont pas significatifs, on y verra beaucoup plus clair demain matin.

Eric Darni (Ecolelec)

On vient de virer de bord pour entamer la descente. On est toujours au près, un peu débridé. On rationne les provisions de nourriture. On est super content, il fait beau, on est accompagné par les dauphins, c’est super. On est sur un bord de près qui nous fait viser Sein, c’est plutôt pas mal. En fin de parcours on pourrait avoir des vents portants faibles, ce qui ne nous arrange pas car on n’a plus que notre spi de capelage.

Classement de l’étape (à 16h TU+2) :

  1. Campagne de France (Halvard Mabire – Miranda Merron), à 289,9 milles de l’arrivée
  2. Mare (Jörg Riechers – Sébastien Audigane), à 1,2 mille du premier
  3. Red (Mathias Blumencron – Volker Riechers), à 2,7 milles
  4. GDF SUEZ (Sébastien Rogues – Fabien Delahaye), à 14,6 milles
  5. Eärwen ( Goulven Royer – Bertrand Buisson), à 17,5 milles

Source

Isabelle Delaune

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