25 voiliers à l’assaut du puissant Saint-Laurent

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La communicative ambiance bon enfant si spécifique au nombreux public québécois qui investit chaque jour les pontons de la Transat Québec Saint-Malo 8e du nom laisse, petit à petit chez les 25 équipages engagés, place à une froide et studieuse introspection. Jean-Claude Maltais, directeur de course, et Sylvie Viant, présidente du comité de course, leur ont, ce matin dans les salons feutrés du Château Frontenac, précisé et souligné les mille et une particularités d’une transat au profil hors norme, disputée d’ouest en est, avec 376 premiers milles de navigation fluviale. Les nombreux pièges du puissant fleuve Saint-Laurent ont naturellement été évoqués, et les 103 marins invités cette année à en visiter les plus beaux atours, à l’occasion des passages obligés devant pas moins de 6 communautés riveraines jusqu’à Percé, s’apprêtent à livrer une première bataille peut-être décisive contre ses forts courants et les turbulences de ses vents. Deux départs lanceront sous les plaines d’Abraham 20 monocoques Class40 et 5 grands monocoques et multicoques dès 11h 20 locales (17 heures 20 françaises). Favorables durant les premières heures, le vent et les courants vont rapidement conjuguer leurs effets parfois contradictoires pour offrir au considérable public canadien un spectacle haut en couleur toujours très apprécié.

Un spectacle aquatique

Véritable théâtre naturel, le Saint-Laurent sera, demain midi, la scène du premier acte de cette 8e édition de la Transat Québec Saint-Malo. Mouillée au large du parc de la Jetée, situé aux pieds des ponts qui enjambent le Saint-Laurent et le port de Québec, la ligne de départ sera matérialisée par deux remorqueurs, un au nord, Cageux le bateau comité et un au sud qui fera office de bout de ligne. Mais avant de se rendre sur zone, les marins quitteront le bassin Louise à partir de 8h45. Tous devront avoir quitté les pontons et passé les écluses à 9h30 pour ensuite naviguer à contre-courant vers la ligne de départ. C’est à 11h20 précise que le premier coup de canon sera donné, celui des 20 Class40. Quinze minutes plus tard, les 5 concurrents dans la classe Open prendront à leur tour le départ. Les conditions météo : un vent de sud-ouest de 8 à 13 nœuds, devrait permettre aux marins de glisser assez vite le long des berges de Québec où des milliers de spectateurs sont attendus demain pour saluer une dernière fois ces marins qui ont animé la vie du port, plusieurs jours durant. Après les 3,6 premiers milles, les 25 équipages engagés salueront une dernière fois le Château Frontenac avant de prendre la direction de la première marque de parcours, La Malbaie, distante de 70 milles. Dès le départ, les bateaux seront portés par un courant bien prononcé, mais à partir de 17 heures locales, la renverse commencera à se faire sentir et c’est courant de face que la route se fera.

Un passage unique

Pour les besoins de la course, le parc marin du Saguenay Saint-Laurent a exceptionnellement été ouvert à la navigation. C’est dans un cadre unique que les 103 marins présents sur les 25 monocoques et multicoques évolueront après La Malbaie. Avec un peu de chance, belugas et baleines seront de la fête… mais à distance tout de même. Cette zone de navigation unique ne concerne que la partie Sud du parc marin. Avant l’embouchure de la rivière Saguenay, il faudra mettre cap à l’est vers la rive droite en faisant attention au coup de canon (vent qui descend très vite et très fort du Fjord et vers le Saint-Laurent). Cap ensuite vers le deuxième point de passage, Rimouski, 82 milles plus loin.

Joerg Riechers (Mare) pour une inédite passe de trois

Vainqueur de la Solidaire du Chocolat en mai, entre la France et le Mexique, puis de l’Atlantic Cup en juin, le long de la côte Est des États-Unis, l’Allemand Joerg Riechers aimerait à l’évidence conclure cet étonnant triangle en Atlantique Nord par une inédite passe de trois. Favoris des pronostics, il assume sans fausse pudeur ce statut et endosse volontiers le costume de « l’homme à battre » : « Nous allons partir tranquillement, pas trop vite, ce qui est bien pour détecter tout ce qui flotte sur le fleuve, mais à partir de lundi et mardi, le vent va rentrer et je m’attends à une course très très dure. Si on ne casse pas, on peut gagner. Notre équipage est super, le bateau aussi… Si nous ne faisons pas de grosses bêtises, nous ne devrions pas être loin de la dernière marche du podium. On surveille tout le monde, Stéphane Le Diraison et Halvard Mabire par exemple, qui vont vite et sont de bons marins. Il y a 4 ou 5 bateaux qui marchent bien. Ce n’est pas gagné pour nous. Notre but est de réaliser la passe de trois, avec la Solidaire du Chocolat, l’Atlantic Cup. C’est une super saison pour le partenaire Mare, en Class40 comme en Mini… »

Un match dans le match

Longtemps l’apanage des grands multicoques, la Transat Québec Saint-Malo fait cette année la part belle à la très internationale et très cohérente Classe des monocoques de 40 pieds. Les multicoques, à défaut de quantité, promettent cependant d’offrir aux amateurs de belles histoires nautiques et sportives amples motifs d’intérêt. Rassemblés au sein d’un groupe dénommé « Open » aux côtés du monocoque de 50 pieds Vento di Sardegna de l’Italien Andrea Mura, du grand VOR Océan Phénix au Canadien Georges Leblanc et du trimaran Multi50 Vers un monde sans sida d’Erik Nigon, deux trimarans se promettent une lutte sans merci et devraient animer de belle façon ce groupe quelque peu hétéroclite. FenêtreA-Cardinal 3 est un trimaran de 50 pieds dernière génération, né en 2009 du crayon des architectes Van Peteghem-Lauriost Prévost pour le compte de Franck-Yves Escoffier et confié en 2012 au talentueux Erwan Le Roux. Il devrait trouver en Défi Saint-Malo Agglo au malouin Gilles Lamiré un adversaire à sa taille, malgré son déficit de longueur (15,34 m contre 18,28 m). Si la date de son lancement renvoie aux premières heures des trimarans ORMA, le multicoque malouin s’est récemment doté d’un moteur survitaminé, avec un jeu de voiles emprunté aux trimarans de 60 pieds les plus performants des glorieuses heures de l’ORMA, et le mât aile qui propulsait alors le trimaran Bonduelle de Jean Le Cam. La lutte de ces deux profils sur le papier si différents, mais aux performances s’équilibrant en fonction des conditions, est assurément l’un des beaux chapitres à écrire entre Québec et Saint-Malo.

Ils ont dit :

Arnaud « Cali » Boissières, Groupe Picoty
« Quand on part en transat, il y a toujours un peu de tension, surtout avec le Saint-Laurent comme hors d’oeuvre. Donc déjà beaucoup d’excitation ; c’est une transat en course. Je suis plus détendu car Groupe Picoty n’est pas mon support habituel, mais JC (Jean-Christophe Caso) et Jacques (Fournier) ont envie de bien faire. C’est ma première Québec Saint-Malo et j’ai à cœur de la réussir, tout en s’amusant bien. Je n’ai navigué que deux jours sur le bateau. Mon voilier Akena est préparé pour le solitaire, mais j’aime naviguer en équipage. J’ai une culture de l’équipage avant d’être un solitaire. Le Vendée Globe m’accapare en permanence. Il me parait important de naviguer sur d’autres supports pour progresser. Cette transat va naturellement s’inscrire dans ma préparation au Vendée Globe… »

Aloys Le Claquin, Jack in the Box :
« Le bateau n’a jamais été aussi prêt que ça. Nous sommes l’équipage benjamin et on y va sans pression. Après le Saint-Laurent et les baleines, j’espère qu’on aura de la grande houle pour faire des surfs endiablés entre Saint-Pierre et Miquelon et Saint-Malo. On sait qu’il y a des équipages expérimentés mais on va essayer de se mettre au niveau et de les battre, ça ne sera pas facile. J’ai fait le convoyage à l’aller avec Ludo (Ludovic Ensargueix) pour un peu repérer les lieux. Du coup, on en a profité pour s’arrêter en Gaspésie et on a discuté avec des pêcheurs, des locaux, des croisiéristes, des pilotes qui travaillent sur le Saint-Laurent à l’accueil des bateaux pour essayer de découvrir tous les effets du Saint-Laurent. Hier on a eu un briefing avec un local pour connaître les effets du fleuve. C’est bien de partir sans trop de vent pour éviter de casser talonner ou autres. »

Thierry Bouchard, Comiris Elior :
« Ça fait une semaine que nous sommes là, j’ai vraiment hâte d’y aller. On a un peu des fourmis dans les jambes. La météo est un peu calme, il faut s’attendre à sortir l’ancre et mouiller. Les premières 24h ne vont pas être facile. Il ne faut pas chercher les grandes données météo, il faut regarder ce qui se passe sur l’eau, à très court terme. Le petit temps nous favorise au niveau de notre carène et si on sort dans les 3 ou 4 premiers du Saint-Laurent, ça nous donnerait un bon espoir pour l’arrivée. »

Armel Tripon, Géodis
« Beaucoup de plaisir en perspective. On aborde la course de manière très détendue. On va naviguer dans un bon esprit de camaraderie et de partage, tout en demeurant le plus professionnel possible. C’est ce que j’aime dans cette classe. Le niveau des équipages est très élevé avec des gars venus de tous les horizons, de la régate ou du large. Il y aura du « match » et ce sera passionnant. On part dans de petits airs, avec la renverse du courant qui va vite arriver. Il faudra être malin. Mais il y a ensuite un Atlantique à traverser. En 2008, après s’être échoué, Tanguy Delamotte était parvenu à bien revenir dans la course; donc l’épreuve sera ouverte jusqu’au bout… »

Le saviez vous ?

Le parc marin du Saguenay-Saint-Laurent
Neuf espèces de mammifères marins fréquentent régulièrement le parc dont deux, le phoque gris et le béluga (dont la population est estimé à 800 à 1000 individus), réside à l’année. Les six autres espèces que sont le phoque du Groenland, le marsouin commun, le petit rorqual, le rorqual commun, la baleine bleue et la baleine à bosse fréquentent les eaux du parc durant la saison estivale. Sous la surface, les eaux du parc recèlent au moins sept espèces de requins dont le requin pèlerin (deuxième poisson le plus grand du monde) ainsi que le requin du Groenland (deuxième plus grand requin carnivore au monde).

Souvenirs de vainqueur
Vainqueurs de la Transat Québec Saint-Malo en 1996, à bord du trimaran de 60 pieds Fujicolor II, Loïck Peyron et son équipage demeurent les recordmen absolus de l’épreuve avec un temps époustouflant sur les 2 965 milles de traversée théorique de 7 jours, 20 heures et 24 minutes. Occupé à présent par nombre de projets nautiques, il conserve, au-delà de la saveur inchangée de la victoire, une véritable tendresse pour cette course à laquelle il a participé à 4 reprises, y compris la toute première édition en 1984, à bord du catamaran géant Formule Tag de son « Maître Jedi » Mike Birch.
« C’est vraiment la course la plus sympa à disputer en équipage » raconte-t-il volontiers. « Elle est fascinante pour tout marin à de nombreux égards. Sa complexité tout d’abord, sa diversité, et son contexte fluvial en font une course complètement à part, magnifique et surprenante. Son tronçon Atlantique était forcément un peu stressant en multicoque, mais l’arrivée via le Fastnet était aussi très sympa… »

Source

Soazig Guého, Mille & une vagues

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