Vendée Globe : Jean-Baptiste Dejeanty explique

© J.Girardot

C’était la mauvaise personne, au mauvais moment.

Contraint de mettre fin à ses relations avec son sponsor, à 7 mois du Vendée Globe, Jean-Baptiste Dejeanty fait le point. Après l’annonce de la résiliation du contrat qui le liait au groupe suisse LPG (Luxury Prestige Group), représenté par son président des gérants Jean-Michel Le Norcy, le skipper lorientais revient sur les raisons de cette décision devenue inéluctable.
Pour lui et son équipe, la belle histoire a en effet viré au très mauvais film en quelques mois. En dépit des contrats signés et des engagements de versement des fonds, le financeur n’a jamais donné le moindre centime, rendant impossible l’achat des bateaux prévus pour Jean-Baptiste et Liz Wardley, et obligeant le skipper et son écurie de course (Sensation Sailing Team), à investir sur leurs propres deniers pour lancer le projet.
Après quelques mois d’attente vaine, Jean-Baptiste Dejeanty et son équipe reprennent leur liberté. A commencer par celle de parler, de raconter l’histoire. Avec aussi la volonté d’obtenir réparations et de rebondir au plus vite sur un autre projet.

Qu’est-ce qui a motivé ta décision de résilier le contrat qui te liait à ton sponsor ?
Tout simplement le non respect des engagements. En dépit des contrats signés, le sponsor nous a baladés sans cesse, sans apporter le moindre financement pour acquérir les bateaux pour Liz Wardley et moi-même et pour lancer définitivement les projets. Quand tu arrives au mois d’avril, à 7 mois d’une course comme le Vendée, sans bateau, sans équipe constituée, ce n’est plus tenable.
Aujourd’hui nous ne somme plus liés, les contrats sont rompus de plein droit. Ma priorité, c’est que cette société et ses représentants ne puissent plus recommencer de tels agissements. Et je veux aussi obtenir un minimum de réparations, notamment sur les frais déjà engagés.

Comment en êtes-vous arrivés à signer un contrat avec ce partenaire ?
C’est lui qui nous a approchés. En octobre 2011, Jean-Michel Le Norcy nous a directement contactés, pour le compte du groupe suisse LPG. Il nous a présenté son projet sponsoring voile, adossé au lancement d’une nouvelle marque de vêtements. Son discours et les éléments présentés nous ont convaincu. Surtout, nous avons signé avec lui dès novembre un protocole d’accord, dans l’attente de la rédaction d’une convention de partenariat en bonne et due forme par nos avocats. Immédiatement, une promesse d’achat a même été faite par le sponsor sur un premier bateau, pour une vente prévue en décembre. Ce même sponsor a finalement fait capoter la transaction.

Vos premiers doutes sont apparus à ce moment-là ?
Oui, cela nous a laissé un peu perplexe mais ce sont des choses qui arrivent. Dans la foulée, Jean-Michel Le Norcy a signé en janvier le contrat de partenariat rédigé par nos avocats. Cette signature nous a redonné confiance. Il s’agissait d’un contrat de sponsoring en bonne et due forme, d’une durée 5 ans. Pour couronner le tout, il nous proposait peu après d’engager un deuxième bateau.

C’est là que Liz Wardley s’est trouvée embarquée dans le projet ?
Oui. Jean-Michel Le Norcy nous a tenu un discours enthousiaste sur l’opportunité d’une course comme le Vendée Globe pour la promotion de ses marques VH TEC et VOILE HERITAGE. Il voulait engager un deuxième skipper et un deuxième bateau. Liz correspondait au profil qu’il souhaitait. Aussi, dès fin janvier, un deuxième contrat, sur les bases du premier, a donc été signé avec Liz pour 3 ans.
Dans le même temps M. Le Norcy engageait des discussions avec le direction du Vendée Globe comme partenaire pour les équipements vestimentaires et il nous présentait Joseph Moreau, président de la CCI Vendée et directeur de GETEX, qui devait fabriquer la gamme VHtec. Cela tendait à crédibiliser le projet…
Je tiens à ce sujet à préciser que GETEX, qui ne devait être que le fabricant des vêtements, n’est en rien responsable de l’issue malheureuse de ce projet.

Quid de l’achat des bateaux ?
En janvier et février, nous avons négocié pour deux autres bateaux disponibles. Pour le premier, qui m’était réservé, un contrat d’acquisition a même été signé par le sponsor. Pour le second bateau, prévu pour Liz Wardley, il s’agissait d’un accord de principe sur un calendrier d’achat. Dans les deux cas, les engagements n’ont pas été tenus, une fois de plus, le sponsor ne donnant pas suite malgré les relances des propriétaires et les nôtres.

Votre confiance en a été sérieusement entamée ?
Oui, mais notre interlocuteur savait alterner le chaud et le froid. Car en parallèle, Jean-Michel Le Norcy nous a impliqués dans ses réseaux, sur ses projets. Nous avons visité des sites de production, avons été intégrés dans les schémas de développement techniques et commerciaux. Il nous a fait rencontrer des partenaires industriels, dont certains d’entre eux sont d’ailleurs aujourd’hui dans la même situation que nous. Il nous a également présenté d’autres interlocuteurs de la société LPG. Dans cette histoire, nous ne sommes pas les seuls à avoir été baladés, loin de là. Nous en apprenons par ailleurs un peu plus chaque jour.

A partir de quel moment tes doutes ont-ils pris le dessus ?
Mi-février, le schéma a commencé à nous paraître incohérent. Mais encore une fois, quand tu as signé un tel contrat, tu te demandes où est l’intérêt du sponsor de ne pas aller au bout. A partir de fin février, nous avons multiplié les relances auprès de lui. Il y avait urgence. Toujours pas un centime à l’horizon, alors qu’en parallèle nous avions engagé le projet avec nos petits moyens, et sur sa demande, comme de nombreux mails peuvent en attester.

Là ce n’était plus tenable…
… d’autant plus que les relations au quotidien sont devenues épuisantes. Lui nous appelait tous les jours pour rassurer et nous tenir en haleine. Mais toujours rien. Malgré nos nombreuses relances et la persévérance quotidienne du sponsor à nous affirmer que tout était en ordre, nous avons décidé le 30 mars de le mettre en demeure d’honorer ses engagements sur l’achat des bateaux et le versement des fonds, sous 10 jours. Cette mise en demeure étant restée ans effet, conformément aux stipulations contractuelles le contrat a donc été résilié de plein droit le 13 avril, ce qui nous dégage de nos obligations envers lui et nous redonne notre liberté de parole.

Quelles suites allez-vous donner à cette affaire ?
En premier lieu, nous voulons a minima que Luxury Prestige Group ait au moins la décence de rembourser les sommes que nous avons dépensées pour lancer le projet. Brice Lavirotte (team manager de Sensation Sailing Team) et moi-même, nous avons engagé des dépenses sur le compte de notre société et même sur nos deniers personnels dans cette affaire, puisque le partenaire n’a rien versé du tout. Nous avons loué des bureaux, et des surfaces de hangar à Lorient, nous avons engagé des sous-traitants techniques et logistiques. Lui, a fait travailler des prestataires sur la déco des bateaux, sur la communication projet et sur la communication marques. Aujourd’hui, la première des choses c’est d’obtenir remboursement de ces investissements. Au-delà, il faudra que soit réparé notre préjudice. Nous réfléchissons aux moyens d’y parvenir.

Dans quel état d’esprit es-tu aujourd’hui ?
D’un point de vue personnel, les mois qui viennent de s’écouler ont été très compliqués. D’un côté, je suis donc soulagé d’avoir tranché dans le vif. D’un autre côté, la colère domine. Dans cette affaire, il y a préjudice moral et aussi préjudice d’image et perte de chance pour les skippers et notre écurie de course. Depuis mon Vendée Globe, en 2008, je travaille à construire sur des bases saines. Depuis la rencontre avec Jean-Michel Le Norcy, tout ce travail est gâché. Le sponsoring, c’est tomber sur la bonne personne au bon moment. Là, on est tombé sur la mauvaise personne.
Je me sens trahi, blessé. Il va falloir rebondir. C’est un énorme gâchis. D’un point de vue humain, ce qui me déçoit c’est que des gens soient capables de faire ça. Et pourquoi ? J’espère que l’on pourra répondre un jour à cette question.

Quels sont tes projets pour les mois à venir ?
Cette affaire nous met dans une situation financière très délicate pour le team. Aujourd’hui, nous avons envie de rebondir vite. Nous avons été touchés par les réactions de soutien qui nous arrivent d’un peu partout depuis l’annonce de cette résiliation. J’espère sincèrement pouvoir quand même être, avec Liz Wardley, sur la ligne de départ et d’arrivée du prochain Vendée Globe. Pour mettre un terme heureux à cette histoire. Ce serait la plus belle manière de rebondir.

Le Vendée Globe 2012, c’est encore possible ?
On a tellement mis de nous mêmes pour y aller, on s’est tellement projeté sur la course qu’on est obligés d’y croire, même si je suis conscient que c’est maintenant très compliqué notamment en terme de timing. Je ne peux de toute façon pas me résoudre à tout abandonner. Je travaille déjà à un projet plus modeste, mais tout de même cohérent en terme de performance et de préparation. Il faudra que ça se décide vite, avec de nouveaux partenaires. Je crois quand même en l’humain, malgré tout. D’ailleurs je veux remercier particulièrement les vendeurs des 3 bateaux et leurs représentants, Bernard Gallay, la société GETEX, PWC, nos avocats de chez Landwell, la SAEM Vendée, la CCI et le CG de Vendée pour leur aide et leur soutien…
Et tous ceux grâce à qui nous étions prêts à démarrer et qui laissent également des plumes dans cette affaire, en particulier les équipes de Absolute Dreamer pour le Hangar, Jean-Baptiste Epron pour les projets de déco des bateaux, Aprim pour les relations presses, Landwell …
Et pour finir nous avons une pensée particulière pour Liz et lui souhaitons de rebondir au plus vite. Elle le mérite tant sportivement que humainement.
Pour la suite, avis aux bonnes volontés !

Source

Sensation Sailing Team

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Informations diverses

Mis à l'eau le: 20 avril 2012

Matossé sous: 2012-13, Course au Large, IMOCA, Vendée Globe

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