ITV de Jean-Luc Nélias ce matin avec le PC d’Alicante
Son ton est toujours jovial et aucune blague ne lui résiste. Pourtant, ce début d’étape n’a pas été simple. Depuis la table à cartes de Groupama 4, le navigateur Jean-Luc Nélias nous parle du vent qui s’est enfin calmé, du sommeil qui revient, des options à venir et de son moral à mi-course. Jean-Luc Nelias, navigateur du Groupama sailing team
« C’est sûr que ce n’est pas une croisière, une navigation pépère : c’est un engagement complet, total, sur une longue période : physiquement, moralement, socialement, familialement. »
Jean-Luc, à quoi ça ressemble à bord en ce moment ?
« Aujourd’hui, c’est grand beau temps et crème solaire. J’ai même vu du torse nu à un moment sur le bateau. C’est un peu comme un repas en altitude, au ski : il fait froid à l’ombre ; quand tu es au soleil, tu peux être en tee-shirt. »
Cela a l’air sympa, mais est-ce que vous avancez ?
« On a avancé tout doucement toute la journée et ça s’est levé un peu à la tombée de la nuit – car ici, il fait nuit. Maintenant, on a un gentil petit vent qui nous permet de glisser sur un Pacifique pacifique. »
Comment s’est passée la transition entre dépression et anticyclone ?
« C’était très progressif. Au fur et à mesure que le vent mollissait, on reprenait vie et aspect normal. Nettoyage des gars, nettoyage du bateau, petites réparations, respiration, jouissance de pouvoir dormir dans sa bannette sans être collé au plafond … On a repris vie et figure humaine depuis hier. »
D’un point de vue météo, vous en êtes où ?
« On a quitté une dépression tropicale que la Nouvelle-Calédonie nous a envoyé en quittant la Nouvelle-Zélande. En quittant cette dépression un peu méchante, on est entrés dans un anticyclone qui était en travers de la route. Il ne nous a guère laissé le choix que de le traverser. Il est sympa parce qu’il a bougé en même temps qu’on le traversait, ce qui nous a rendu les choses un peu plus faciles. Mais ça a eu l’effet de compacter la flotte : on est quasiment tous à vue à part Abu Dhabi, derrière, et CAMPER, un peu plus sud. Aujourd’hui, on voyait très distinctement Telefónica, PUMA et Sanya. »
Justement, dans cette flotte resserrée, que penses-tu de la position de Groupama ?
« Dans les faits, la course a commencé dimanche, mais pour le moment, on est tous quasiment ex-aequo. Après trois jours de navigation, il n’y a eu qu’un perdant : Abu Dhabi. Tous les autres bateaux sont à égalité, dans la même zone géographique et à la même distance de l’arrivée. »
Dans les prochains jours ?
« Deux options : une option un peu lente et respirable ; une option plus rapide qui s’annonce être un enfer. Comme c’est une course, on essaye souvent de choisir ce qui est le plus rapide en évitant de casser le bateau et les bonshommes. Mais l’option rapide s’annonce infernale. Beaucoup de vent, mer forte, du vent de sud-est très froid et instable. On trainera derrière une dépression en l’accompagnant quasiment jusqu’au Horn dans du vent toujours supérieur à 30 nœuds. Un vrai défi …
« Dans le cas inverse, on n’arrive pas à surfer la dépression. Par exemple, si on est trop lents pendant la nuit et qu’on n’arrive pas à l’attraper – on serait rejetés dans une zone de transition avec du vent plus mou, 48 heures plus lents au Horn. Plus lent, mais plus respirable. »
Et tactiquement – que penses-tu de la limite des glaces ? Freine-t-elle les options possibles ?
« Il y aura toujours des ouvertures. Déjà, si on arrive tous en même temps au Horn, ce qui m’étonnerait, il y aura des options pour remonter du Horn à Itajaí. C’est sûr que, les deux premiers jours, il fallait survivre à la première dépression. Je pense que tous les bateaux qui sont là sont contents parce que, à part Abu Dhabi, il n’y a pas eu de perdant : je pense que tous les bateaux vont essayer de ne pas être perdant jusqu’au Horn pour, après, avoir une attitude plus agressive.
« Ce serait bien d’arriver assez rapprochés au Horn en gérant cette période de vent fort sans casser bonshommes et matériel. Cela ne sera pas facile car il ne faudra certainement pas naviguer à 100 % du bateau. »
Après une escale courte et deux jours de baston, comment te sens-tu ?
« C’est vrai qu’on est partis d’Auckland sans avoir récupéré après une escale aussi courte ; on est repartis dans un truc qui était à la limite du supportable (rires) … C’était difficile devant les ordinateurs, mal de mer, conditions difficiles. On a eu une avarie qui nous a tous mobilisés sur le pont pendant la première nuit. On a vraiment tiré dans notre jus.
« On est quand même au milieu de la Volvo Ocean Race, les organismes fatiguent ! On n’a pas tous la même capacité ni le même âge pour récupérer. Je fais partie des anciens (il a 49 ans, NDLR) et c’est forcément plus dur pour des bonshommes comme moi. »
T’es tu déjà demandé : « Qu’est-ce que je fous là ? »
« Non, non. Ça m’est déjà arrivé plusieurs fois dans ma carrière, mais à force de me dire que j’allais faire la Volvo Ocean Race, je savais qu’il y aurait des moments difficiles. Il y en a toujours sur chaque étape. On fait le gros dos et on s’accoutume.
« C’est sûr que ce n’est pas une croisière, une navigation pépère : c’est un engagement complet, total, sur une longue période : physiquement, moralement, socialement, familialement. Ça laissera des traces – de bonnes traces et peut-être de moins bonnes. Mais ça fait partie de la vie ! »