Entre soulagement et impatience

© Anne Beaugé

Avez-vous déjà remarqué que le temps a cette curieuse propriété d’élasticité, paraissant accélérer quand on souhaiterait encore savourer, ou au contraire s’allonger indéfiniment dans les pires moments ? C’est assurément ce qu’éprouvent actuellement les marins du Retour à La Base qui ne peuvent que constater à chaque « pos. report » qu’ils sont de plus en plus nombreux, les heureux arrivés à pouvoir dormir dans un lit douillet, prendre une douche brûlante et déguster de bons petits plats… quand eux subissent encore les caprices de l’Atlantique Nord !

Un intense soulagement se lit sur tous les visages de ceux qui, les uns après les autres, achèvent leur épique traversée sur les pontons lorientais. Symbole de l’intensité du combat qu’ils viennent de mener contre les éléments, la grand-voile de Boris Herrmann (Malizia – Seaexplorer) s’est déchirée sur toute sa longueur, quelques minutes seulement après le passage de ligne en quatrième position du skipper allemand.

Comme lui, Damien Seguin (Groupe APICIL), qui complète le top 5 de cette première édition du Retour à La Base, est allé au bout de ses ressources. Victime d’une entorse au doigt dès la première nuit de course, le champion paralympique a reçu un accueil digne d’une rock-star du public lorientais, signe que son message pour l’inclusion touche bien au-delà des passionnés de voile… tout comme la passion contagieuse de Samantha Davies (Initiatives Cœur), heureuse d’avoir retrouvé “le plaisir et la confiance” sur ce Retour à La Base !

Mais avant de pouvoir goûter à ces chaleureuses retrouvailles avec les terriens, il faut encore s’armer de patience pour le gros de la flotte, et faire le dos rond. C’est qu’on perd vite l’habitude de passer autant de temps en mer, quand d’ordinaire on survole littéralement les compétitions ! Pour Thomas Ruyant (For People), l’aventure du Retour à La Base a pris une tournure inhabituelle à quelques jours du passage des Açores quand son hook de safran l’a trahi, entraînant dans un empannage sauvage la déchirure de sa grand-voile, rendue totalement inutilisable. Alors forcément, la fin de course paraît interminable à cet intarissable compétiteur, frustré de se voir dégringoler au classement (16e) malgré sa capacité à faire avancer, même dans l’adversité, son bateau blessé. « Je m’ennuie un peu, il ne se passe pas grand-chose à part quelques beaux levers de soleil comme ce matin », partage le navigateur sincère, forcément un peu frustré de voir le « sistership » de son plan Koch-Finot-Conq l’emporter avec Yoann Richomme (Paprec Arkéa).

En signant un temps de course canon de 9 jours et 3 minutes, le vainqueur de cette première édition du Retour à La Base a aussi fixé la barre haut pour tous ses concurrents. Car pour que les milles de leur course comptent dans la qualification du Vendée Globe, il faut que les marins finissent leur course dans un temps maximal de 150 % du temps du vainqueur. En clair, chaque skipper doit donc impérativement achever sa traversée en moins de 13 jours, 12 heures et 1 minute pour être dans les temps !

Compétition et solidarité entre éclopés

Alors tous s’emploient à avancer autant que possible, malgré les avaries qui sont désormais si nombreuses qu’on peine à les recenser. La dernière en date a touché à nouveau Louis Duc (Fives Group – Lantana Environnement), victime d’une rupture du bas hauban. Si le Normand a réussi à sécuriser son mât, il va « être contraint de lever le pied et réduire sensiblement sa voilure ». Toujours troisième des bateaux à dérive, il avait déjà perdu du terrain au passage des Açores, obligé de se mettre sous le vent d’une île pour une grimpée nocturne dans le mât et décrocher les lambeaux de son gennaker déchiré la veille…

Heureusement que même entre éclopés, l’adrénaline de la compétition peut toujours se réactiver ! « J’ai cette boule de stress au fond de l’estomac », raconte Pip Hare (Medallia), qui a ravi la 11e place à Clarisse Crémer (L’Occitane en Provence) au dernier classement. « Je crois que j’ai pris l’avantage sur Clarisse qui a un sacré bateau de dingue et ce serait tellement génial de rester devant elle, mais je suis aussi tellement inquiète de casser quelque chose ou de faire une bêtise », écrit la toujours si expressive Britannique. Avant de conclure, philosophe : « Ici, tout est puissant : le vent, la mer, et les émotions ».

Redoutables concurrents, les marins du Retour à La Base peuvent aussi se muer en fidèles compagnons, et se remonter le moral mutuellement. Si Violette Dorange (Devenir), 23e, avouait dans ses derniers messages « un petit coup de mou », elle remerciait ainsi François Guiffant (Partage), 29e, qui a eu la délicate attention de lui envoyer un petit message pour prendre des nouvelles… « Il m’a dit une phrase que j’essaie de garder en tête : Faire une transat’ ce n’est pas anodin et c’est un beau challenge ! » écrit la benjamine de la course qui, malgré ses soucis techniques nombreux, aura décidément montré qu’aux âmes bien nées, la valeur n’attend point le nombre des années.

L’imaginaire tourne à plein

Longs, les jours ont dû aussi l’être pour Fabrice Amedeo (Nexans – Art & Fenêtres), privé de connexion Internet depuis cinq jours. « Une cure de désintoxication sans précédent pour moi », raconte le skipper, actuellement en 26e position, qui a reconnu en avoir modifié sa trajectoire. « J’ai fait route 4G vers les Açores, pour pouvoir récupérer des fichiers météo », explique-t-il, profitant de ce réseau pour envoyer une petite vidéo de « l’intérieur de sa batmobile ». A trop passer de temps tout seul, on fait au moins travailler son imaginaire !

D’imagination, le fantasque navigateur Benjamin Ferré (Monnoyeur-Duo For a Job) n’en manque assurément pas. Treizième et en tête des bateaux à dérives, il prend le temps de partager son astuce vaisselle, qui consiste à laisser sa casserole sur le pont qui, à l’approche du Cap Finisterre, n’en finit effectivement pas d’être lavée par les paquets de mer… Efficace !

Tout comme le sillage bien tendu de Tanguy Le Turquais (Lazare), qui parti bon 31e, continue de remonter la flotte jusqu’à occuper actuellement la 22e place au classement. « Ça a été la pire nuit que j’ai pu passer sur le bateau depuis que je navigue dessus, reconnaissait toutefois le Lorientais, qui se rapproche des fonds du plateau continental entre les Açores et la péninsule ibérique. La mer est catastrophique, ça a secoué le bateau dans tous les sens, il y avait beaucoup de vent, j’ai eu très peur de casser quelque chose. Mais j’ai fait un mini contrôle ce matin et tout a l’air d’être en ordre donc c’est chouette ! »

Souhaitons la même réussite à Isabelle Joschke (MACSF), attendue sur la ligne d’arrivée lundi matin à Lorient. « Les derniers jours sont les plus intenses », confirmait la navigatrice, qui tente de maintenir sa très belle 9e place. « Je vais tâcher de prendre un maximum de repos aujourd’hui pour avoir de l’énergie encore à la fin, quand il faudra redoubler de prudence ». A ses trousses, Romain Attanasio (Fortinet – Best Western) s’est offert son premier café pour tenter, qui sait, de montrer qu’en course au large, les dés ne sont jamais jetés avant la ligne d’arrivée.

Source

Cécile Gutierrez

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