Charlie Dalin : voyage dans la tête d’un skipper

© Maxime Horlaville / disobey / Apivia

Que vit un skipper dans les dernières heures avant le départ de la Route du Rhum -Destination Guadeloupe ? Comment s’organise son retour sur l’eau ? Comment anticipe –t’il les premières heures de course ? Charlie Dalin vous invite à l’immersion…

H-20 à H-4

« Samedi, 17 heures, je serai déjà dans le sas. J’y ferai une ou deux interviews pour la télévision. Une fois le bateau sorti du port, je laisserai le soin à l’équipe de le mettre au mouillage à Dinard. Je passerai une tête à la soirée d’Apivia, pour passer un moment avec le sponsor et ses invités, puis j’irai dîner en famille. Ensuite, j’appellerai Pierre Le Roy, pour faire le point sur la météo. Il aura normalement récupéré les derniers fichiers de 21h30. En fonction des conditions météo annoncées, stables ou non, j’aurai plus de visibilité sur l’option que nous choisirons pour le départ : ouest ou sud ? Sinon, nous attendrons dimanche matin, pour trancher. Après la météo du soir : dodo.

Avant le départ, je continue mes points réguliers avec Pierre, avec un impératif : que ma stratégie soit claire avant que le coup de canon soit donné. J’aurai envie de faire plaisir à tout le monde, avant de grimper sur le bateau. Ce n’est pas simple de se dégager du temps pour préparer ce pourquoi tu es là : la course. Il y a des décisions à assumer dès Bréhat, et le temps est beaucoup trop court pour se perdre dans ces premiers temps de course sur l’ordinateur. Dans le pire des cas, la première option se présente vite : au rail d’Ouessant, il faut choisir entre le nord et le sud. Sinon, le début de course est le même pour tous, et les options s’ouvrent à J+1, J+2 ».

« La clé, c’est d’arriver concentré, détaché, pour éviter de se faire submerger par les tâches »

H-4 à H-1

« Ces choix d’avant-course impactent sur mes configurations de matossage (la disposition des masses à bord – voiles, sacs…) et de voiles à poste. Je les communique à l’équipe, qui me facilite la tâche en organisant tout ça. Une fois à bord, je charge les dernières infos météo sur l’ordinateur du bord, et je fais une petite sieste – la dernière sur mes deux oreilles.

Si les conditions s’y prêtent, nous ferons un run avec les voiles du départ, pour poser quelques marques temporaires sur les réglages d’écoute, par exemple. Cela fait un truc en moins à gérer sur la ligne de départ, et cela me permet de connaître ma vitesse-cible. Ce petit plus de liberté m’aidera à gérer plus librement le trafic à l’attaque de la ligne et après ».

H-0

« Une fois dans la zone de pré-départ, mon équipe va commencer à débarquer, en sautant à l’eau en combinaison étanche. Puis nous ne serons plus que deux… puis je me retrouverai tout seul à 4 minutes du départ. C’est un moment particulier. Au début, il y a du monde, ça parle. Au fil des plongeons, le bruit s’atténue. Puis il n’y a plus que les tapes du bateau sur l’eau et le grincement des winches. La transition est faite : tu sais alors que, jusqu’à la ligne d’arrivée, tu ne peux plus compter que sur toi.

De course en course, c’est une routine, des courses en solo. Un rituel typique qu’on travaille sur les courses de pré-saison et lors des stages, basé sur ce qu’il y a à faire. La clé, c’est d’arriver concentré et détaché – détendu –, pour éviter de se faire submerger par les tâches. Les enjeux sont de garder le contrôle, de rester lucide.

Si tout s’est bien passé au franchissement de ligne… je souffle ».

H+…

« Quand le scénario est assez clair, je me répète beaucoup le déroulement des premières heures. C’est bien si j’ai une vision à 48 heures. Je vais faire beaucoup de visualisation pour intégrer toutes les tâches : quand changer de bord, de voiles ; que vérifier ; ne pas oublier de regarder la force du vent, ou son angle. Qu’est-ce qui va me faire déclencher une manœuvre ? Où vais-je poser ma drisse, mes sacs ? Quand vais-je ranger le bateau pour préparer la manœuvre d’après ? À quelle heure j’envoie ma prochaine voile ? Ces bateaux sont si complexes que, si tu parviens à anticiper deux, voire trois manœuvres en permanence, et donc à avoir la tête au clair, c’est plus confortable. Une seule manœuvre anticipée, ce n’est pas suffisant pour moi. Et chaque manœuvre envoyée te permet d’en anticiper une de plus. Alors je me répète inlassablement la suite des événements dans la tête ».

« J’ai habitué mon cerveau à évoluer sur ces systèmes météo »

J+…

« Sur une transat, comme tu peux récupérer des fichiers météo réactualisés, le travail mental est plus glissant. À J+3, la dépression peut passer un peu plus au nord, un peu plus fort. La projection mentale se scinde en deux, avec une partie ferme et une partie malléable. Plus l’événement approche, plus c’est ferme. (il marque un temps). Bon, parfois, il y a des renversements de situation… je n’aime pas trop ça… heureusement, c’est rare… mais ça arrive et il faut faire avec.

J’ai hâte de me retrouver dans les alizés, à fond la caisse, et je m’y projette depuis un moment. Mais chaque chose en son temps : la route est longue. Avant le départ, j’ai fait des routages presque tous les jours, avec les fichiers météo, juste pour m’entraîner, pour me mettre dans une attitude de visualisation des manœuvres, pour éprouver la pertinence des enchaînements, voir s’ils sont cohérents, tout comme les vitesses proposées par les outils de routage. J’ai habitué mon cerveau à évoluer sur ces systèmes météo.

Je me suis répété les scénarios un bon nombre de fois, et je les ai challengés : et si je ne mettais pas cette voile, que se passerait-il ? Quand je courais la Solitaire du Figaro et que les conditions étaient établies, je répétais dans ma tête l’intégralité de l’étape un paquet de fois : je n’avais plus à sortir mes notes. Ce scénario fonctionne par fourchettes de temps : ce n’est pas l’heure que tu regardes, mais l’angle du vent. Et je surveillais les conditions qui poussaient à déclencher les manœuvres.

Je n’ai pas besoin de particulièrement me projeter sur l’image de moi arrivant en premier à la ligne d’arrivée, même si ça m’est arrivé. Je réfléchis à la gestion du tour de la Guadeloupe, mais pas plus que ça. Je me dis surtout que les courses de pré-saison ont été bonnes, que les entraînements du pôle Finistère course au large m’ont été bénéfiques, et que j’ai confiance en mon équipe ».

Source

Disobey.'

Liens

Informations diverses

Sous le vent

Au vent

Les vidéos associées : IMOCA

Les vidéos associées : Route du Rhum