La Nioulargue revit aux Voiles !

© Gilles Martin-Raget

Le jeudi, on pourrait penser que les Voiles ont perdu la raison. Tradition désormais bien comprise et appréciée des coureurs et propriétaires, la plus belle flotte au monde de bateaux classiques et modernes n’en fait ce jour-là qu’à sa tête. C’est l’esprit de la Nioulargue, le coup de génie de Patrice de Colmont, en 1981, qui est célébré, sur mer comme sur terre. Défis en tous genres, inter classes ou inter styles, Club 55 Cup ou course des Centenaires, on court entre gentlemen du yachting, pour la beauté du geste et le plaisir d’accumuler de nouveaux prétextes à refaire, le soir venu, les affrontements du jour et l’inimitable défilé des équipages. Mimant Ikra et Pride, pionnier de la Nioulargue voici 40 ans, ce sont le Proto The Kid de Jean-Pierre Dick, et le ketch marconi signé Van de Stadt-Giles-Illingworth (1962), Stormvogel qui ont remis leurs pas dans ceux de la légende fondatrice des Voiles. L’histoire retiendra la victoire de The Kid, avec Bill Jayson, fils de Dick, propriétaire de Pride, comme équipier. Chez les Centenaires, victoire au bout du suspense d’Olympian.

Journée des Défis

C’est la coutume, le jeudi, on se défie en dehors de toute logique de jauge, pour le simple plaisir d’en découdre entre régatiers. La Direction de course ouvre une ligne au Portalet, les bateaux s’annoncent sur la VHF, et la fête continue… Un douzaine de défis s’élançaient ainsi dès 12 heures 30, dans un léger vent de Nord Ouest qui tournait en forcissant à l’Est dans l’après-midi. Le grand ketch Hygie rivalisait ainsi avec le houari Alcyon 1871, tandis que Eileen 1938 défiait plusieurs voiliers d’une seule traite, Hellen et Marge et deux voiliers Modernes engagés en IRC B, Mister Fip et Quatre Quarts. Autre duel au sommet, celui qui réunissait le First 53 Ritual au X50 Ectabane. Les départs se sont ainsi enchainés, et ce n’est que ce soir dans la gaité des ruelles de Saint-Tropez, que se solderont entre amis les comptes disputés sur l’eau.

Club 55 Cup : Victoire de The Kid

En temps réel comme en temps compensé, le proto Moderne de 54 pieds The Kid de Jean Pierre Dick s’est imposé devant Pampelonne à son adversaire du jour, le ketch Stormvogel. Bill Jayson, fils de Dick Jayson propriétaire de Pride lors de la régate fondatrice de 1981 était à bord, ravi et ému de revivre 40 ans après l’acte fondateur de la Nioulargue, inspiratrice des Voiles.

Centenary Trophy – Gstaad Yacht Club ; A Olympian la coupe !

C’est avec un léger vent d’Est que les 23 voiliers de plus de 100 ans d’âge en lice pour ce prestigieux Graal – qui fête cette année sa dixième édition – se sont lancés à la mi-journée depuis la Tour du Portalet. A l’issue d’une jolie boucle de 7,5 milles dans le golfe, c’est Olympian, le P Class de 1913 et sa coque vert profond qui l’emporte à l’issue d’un final ébouriffant, façon match race, entre Bruno Troublé à la barre de Olympian, et Peter Isler, figure de la Coupe de l’America, aux commandes de Spartan (Herreshoff). Le plan Gardner Olympian reprend ainsi un titre déjà conquis en 2019, dans la continuité puisque, pandémie oblige, le Trophée n’avait pas été remis en jeu en 2020. L’autre P Class Chips complète le podium d’une course appelée à demeurer dans les mémoires.

Le point sur les courses :

Chez les Classiques

Entrés en lice comme à l’accoutumée le mardi des Voiles, 82 yachts de tradition régatent de concert répartis en 10 groupes distincts. Deux belles courses ont été validées, avec une régate de petit temps mardi, et une course de brise dans le Mistral hier mercredi. De quoi satisfaire toutes les envies, mais aussi toutes les capacités des uns et des autres à performer, qui dans les petits airs, qui dans la « brafougne ». Chez les Epoque Aurique A, support du Trophée Rolex, c’est le cotre signé Herreshoff Scud qui tient la tête devant Marga, le plan Liljegren (1914) à l’aise dans le Mistral d’hier, et le P Class Corinthian. En Aurique B, Eva (Fife 1906) devance l’élégant Class30 New Yorkais Oriole (Herreshoff 1905) et le vénérable Lulu (Rabot Caillebotte 1897). Chez les Epoques Marconi A, c’est le plan Sparkman&Stephens Blitzen, cher à Simon Le Bon, lancé en 1938 qui domine les débats, devant Recluta le nouveau venu aux Voiles avec German Frers à la barre, et le yawl Bermudien Varuna de 1939. Chez les Epoque Marconi B Jour de Fête (Paine 1930) devance le 8 M J Anne Sophie (Aas 1938) alors que Stormy Weather (Stephens 1934) et Skylark (Sparksman&Stephens 1937) jouent placé. En Epoque Marconi C, Andale (Nicholas Potter 1951), Sonda (Mc Gruer 1951) et Rainbow III (Fife 1927) sont au coude à coude. Du coté des Grand Tradition Cambria (Fife 1928), Naema (réplique Mylne 1938) et le 15 m JI The Lady Ann ferraillent dur contre Sumurun (Fife 1914) et Halloween, (Fife 1926).
En Classique Marconi A, le sloop Lys (Sparksman &Stephens 1955) s’est vu surclassé dans la brise par ketch Stormvogel, (1962 Giles – van de star – Illingworth) alors queLionel Péan, à la barre d’Hermitage signe deux podiums. Chez les B le plan Illingworth&Primrose Outlaw, lancé en 1963 pour l’Admiral’s Cup, caracole en tête devant Sagittarius (Sparksman&Stephesn 1972). En Classique Marconi R l’équipage Néerlandais d’Encounter devancent d’Il Mor et Ikra. Le Groupe Invités est actyuellement dominé par Josephine et Jap (Fife 1898)

Et les Modernes…

140 voiliers Modernes régatent aux Voiles de Saint-Tropez sous la jauge IRC, dans des groupes B, C, D, E et F. Tous les bateaux ont couru chaque jour. Le point après 3 manches validées, en IRC B – Trophée North Sails : Prétexte, The Kid et Music ont une victoire d’étape chacun et le Nacira 47 Pretexte mène au général provisoir. En IRC C, 27 purs racers de 13 à 15 mètres naviguent pour le Trophée BMW Avec deux victoires et une place de second, Nanoq écrase ce groupe, avec Tom Slingsby à la stratégie et le Prince Frederic du Danemark à la barre. Daguet3, MathildeM, Arobas2 se battent pour les places d’honneur. En IRC D le Cap 31 Britannique North Star 2 a aligné deux victoires de manche. Derrière lui, la lutte est complètement ouverte à deux courses de la fin. Chez les IRC E, Adrien Follin et son Sun Fast 33 The Surfrider sont au rendez-vous de la compétition. Une victoire de manche et des résultats plus contrastés laissent la place au First 31,7 Eden ou au First 310 Marjolan pour tirer leur épingle du jeu. Du côté des IRC F : Le Tofinou Suisse Jolt fort de deux victoires, tient à distance ses principaux rivaux, les deux autres Tofinou 9,5 Pitch et Outsider.

En bref

Et Dieu créa la Nioulargue

« Je n’ai pas l’impression d’avoir initié un monument » se rappelle humblement Patrice de Colmont « Nous étions des farceurs et nous ne nous prenions pas au sérieux » La Nioulargue – « nid du large » en provençal, un haut-fond situé en face de la plage de Pampelonne – allait pourtant devenir une des plus belles course au monde, suite au défi lancé et relevé fin septembre 1981 entre 2 skippers : Jean Laurain et l’Américain Dick Jayson, respectivement skipper d’Ikra (12 Mètre JI ) et le propriétaire de Pride (un Swan 44). Le perdant devant inviter les deux équipages à déjeuner au Club 55, le célèbre restaurant de Pampelonne. Le « virage » de la Nioulargue sera finalement abandonné pour la route directe, d’un commun accord par VHF pendant la course, l’heure du déjeuner étant déjà passablement avancée… Un an après, d’autres voiliers désirent s’ajouter aux deux protagonistes et se mesurer sur ce même parcours. La Nioulargue devient donc une régate dès cette 2ème édition, mêlant des bateaux modernes avec des anciens.
Grâce à Patrice de Colmont et son équipe de passionnés, les Maxi y font une entrée remarquée – seul rendez-vous en France – en 1983, et le rendez-vous inscrit au calendrier officiel de la classe l’année suivante. L’édition 1984 est remportée par le maxi Gitana VIII (Skipper : Jean-Hervé Mer, barreur : Harold Cudmore, face à, entre autres, Coriolan (Eric Tabarly), Jet-Service (Patrick Morvan) et Helisara VI (Herbert Von Karajan). La Nioulargue concourt également à créer un véritable courant de rénovation d’incroyables yachts de tradition. La régate de 1995 marque la fin de l’événement suite à l’abordage en course de Taos Brett (un 6 Mètre JI) par Mariette (une goélette de 42m). En 1999, les régates reprennent sous l’impulsion de la Société Nautique de Saint-Tropez, des régatiers, et de divers acteurs économiques locaux. Le nom est alors modifié et la Nioulargue s’appelle désormais les Voiles de Saint-Tropez.
Le nom « Club 55 Cup » est redonné depuis 2003 aux défis du jeudi où 2 voiliers peuvent s’opposer sur le parcours historique.

Et à terre…

Le défilé des équipages, moment haut en couleur et éminemment festif de cette journée des défis, conviait chaque bateau à se mêler, dument déguisés, à une procession façon carnaval autour du vieux port, aux accents trépidant d’un orchestre de jazz. Un jury se voyait chargé de désigner l’équipage le plus créatif, le plus original et le plus joyeux. Le vainqueur repart tout naturellement avec le poids du capitaine en vins tropéziens. Un moment très apprécié du nombreux public.

Jumelage entre Yacht Clubs

La Société Nautique de Saint-Tropez, organisatrice des Voiles, formalisera demain vendredi à 10 heures le jumelage qui la lie au Yacht Club de Gstaad. Depuis 10 ans, le jeune et néanmoins prestigieux Yacht Club Suisse organise conjointement avec la Nautique de Trophée des centenaires. Une convention de jumelage liera désormais plus étroitement encore les deux clubs, afin de partager des idées et renforcer les échanges entre membres.

Bateaux remarquables

De saga en saga…

Le grand ketch Recluta navigue aux Voiles au sein du groupe Epoque Marconi A. Ce voilier est à lui seul une véritable saga, qui s’inscrit dans une autre belle histoire, celle de la dynastie Frers, architectes argentins de génie et de père en fils. Recluta est né en 1901, construite par Camper&Nicholson à Gosport (UK). Il arrive en Argentine en 1940, acheté par Charles Badracco. Hélas, en 1942, une terrible tempête et une tentative de sauvetage d’un équipier tombé à la mer le font s’échouer définitivement. Badracco récupère ce qu’il peut et dynamite ce qui reste du bateau. Il charge Frers Sr de concevoir un successeur à Recluta, qui devait être le plus grand voilier d’Amérique du Sud de l’époque, mais à cause de la pénurie de matériaux lors de la seconde guerre mondiale, il ne sera jamais construit. La famille Frers conçoit alors des voiliers sur commande pour divers chantiers navals et crée plus de 1 300 modèles sur trois générations de Frers. Leurs bateaux ont été utilisés par des équipes de l’Admiral’s Cup et des campagnes de l’America’s Cup, German Jr a également joué un rôle dans la campagne de l’America’s Cup Prada/Luna Rossa en 2000. En 2016, German Frers Jr se lance dans la recherche d’un nouveau design. Il tombe sur les plans de Recluta demeurés accrochés aux murs de son studio. Il lance la construction en 2017, en utilisant les pièces récupérées du Recluta original, comme son mât principal et le mât d’artimon utilisé sur Fjord II (yacht personnel de German Frers en 1942). Sa fille Zelmira, artiste et photographe suit le chantier et vient de publier un livre sur cette saga.

Ils ont dit :

Bruno Troublé, barreur d’Olympian, vainqueur du Centenary Trophy

« Cela m’a rappelé la Coupe de l’America. On gagne face à Peter Isler, après un final d’anthologie, bord à bord. Il m’a laissé un petit trou à la bouée, J’ai glissé sous son tableau arrière et quand il viré, nous étions devant. Je suis resté aux allures de largue, on a mutiplié les virements mais il n’a jamais pu passer. On s’est tous bien amusé! »

Portrait du jour :

Zelmira Frers, fille de génie

Fille, petite fille d’architectes navals de génie, Zelmira Frers présente à Saint-Tropez son dernier ouvrage, The story behind Recluta, recueil de réflexions, anecdotes et d’images de la reconstruction de Recluta, ce ketch originellement signé Camper&Nicholson, désagrégé sur une plage de Capo san Antonio en Argentine, à l’été 1942. Peu attirée par la navigation, Zelmira, dans l’ombre de son père, poursuit des études d’architecture, passionné par le film et la photographie. Lorsqu’en 2017, German Frers Jr décide de reprendre à son compte la reconstruction de Recluta, Zelmira s’incruste dans le chantier, tourne autour des artisans, des charpentiers de marine. Fascinée par l’ambiance festive et laborieuse du chantier, elle immortalise toutes les phases de la construction, des échanges et réflexions autour des solutions architecturales, entant ainsi dans la psychologie de son génial parternel. Elle noue une relation teintée d’affection avec le bateau, qu’elle voit en 2019 pour la première fois quitter son hangar, un peu comme l’adieu à un vieil et cher ami. The Story behind Recluta est ainsi un livre témoignage, sur un bateau, une renaissance, et la relation d’une fille qui redécouvre son père à travers une passion nouvelle pour elle, mais commune cependant… Zelmira est une architecte argentine diplômée de l’Universidad Torcuato Di Tella en 2012. Elle a travaillé pour RDR Architects à Buenos Aires et a participé à l’édition de Toward an integral practice of architecture, le livre célébrant les vingt ans du studio. Pendant ses études au California College of the Arts en 2010, elle a également travaillé pour l’architecte zen Paul Discoe, où elle a eu sa première approche des concepts zen de la conception et du temps. En 2013, elle a cofondé machimbre®, l’un des premiers studios interdisciplinaires de Buenos Aires, dédié à l’exploration du design dans différents domaines : construction, mobilier, design de produits, branding et direction artistique.

Source

Maguelonne Turcat

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