Coups de pompe

© Pierre Bouras

À deux jours du passage du cap Horn (du moins pour les leaders), il y a comme une lassitude qui envahit les poursuivants : la fin du Pacifique avec sa grande houle, son coup de vent attendu, son froid prégnant et les 53 jours cumulés depuis le départ des Sables d’Olonne, rendent les derniers milles des mers du Sud bien laborieux. Pas pour tous car les premiers cherchent aussi à faire le break avant la remontée de l’Atlantique.

L’époque n’incite pas à se dévisager, mais il faut parfois enlever son masque, ce que ne manquent pas de faire les solitaires du Vendée Globe. Car les vidéos le montrent : les femmes et les hommes du Pacifique sont fatigués, surtout ceux en tête de la course qui s’approchent inexorablement du bout du « tunnel ». Sachant qu’une mauvaise dépression va se glisser devant les côtes chiliennes avec de grosses rafales et une mer sinon démontée, du moins particulièrement agressive, les esprits gambergent pour savoir comment contourner l’obstacle tout en maintenant ses distances avec leurs compagnons de route.

Combien de commensaux à la table du Horn ?

Car la fracture (australe) a déjà eu lieu : il y a ceux qui sont devant la dépression, qui allument pour rester le plus longtemps possible devant le vent dans une brise de secteur Nord-Ouest, et sous la pluie ; et il y a ceux de derrière qui peinent dans un vent nettement plus instable en force et en direction de secteur Sud-Ouest, avec un ciel moins couvert mais un froid de canard et une mer dans tous ses états… Bref, le leader Yannick Bestaven (Maître CoQ IV) continue sa rapide « descente » le long de la Zone d’Exclusion Antarctique (ZEA) à près de vingt nœuds de moyenne : son objectif semble de glisser sous le plus fort de la dépression qui va atteindre les côtes chiliennes ce week-end. Mais il va tout de même se faire brasser copieusement par un souffle du Nord, pour finir avec du Nord-Ouest 35 nœuds minimum dans le détroit de Drake.

C’est aussi l’option de Charlie Dalin (Apivia) qui sait que cette phase est un tournant dans ce neuvième tour du monde en solitaire sans escale. Le skipper attaque fort pour rester en avant du phénomène dans le flux de Nord à Nord-Ouest de plus en plus puissant qui doit le porter jusqu’au cap Horn. Incontestablement, sa trajectoire est plus agressive car il lui faut absolument devancer le centre de cette dépression australe avant d’embouquer le détroit de Drake qu’il devrait atteindre enfin dans la nuit de dimanche à lundi et dans le sillage du leader : il ne devrait y avoir que quelques dizaines de milles de décalage et que quelques heures d’écart…

La situation est bien différente pour Thomas Ruyant (LinkedOut) qui tente une voie septentrionale afin d’éviter les calmes qui sévissent sous le centre de la perturbation. Mais arrivera-t-il à conserver ce vent de travers rapide ? C’est malheureusement peu probable et le solitaire devrait alors se recaler plus au Sud pour contrôler le pack emmené par Damien Seguin (Groupe APICIL) qui vient de l’arrière. Ainsi ils ne seraient plus que deux en tête avec une marge oscillant entre 300 et 400 milles, ce qui dans cette situation météorologique, ne correspond qu’à une « petite » journée de mer, les plus véloces ce matin cumulant près de 500 milles quotidiens !

Le groupe implose pour mieux se ressouder

En fait, les chasseurs se dispersent sur le plan d’eau en raison de plusieurs facteurs : d’abord la brise n’est pas la même pour tous entre le 54° Sud et le 56° Sud ; ensuite tous les bateaux n’ont pas les mêmes potentiels, surtout après 53 jours de mer entre avaries et voiles défaillantes ; enfin les skippers ont aussi leurs états d’âme et cumulent la fatigue, ce qui avec le grand froid qui commence à pincer, réduit la motivation de se faire rincer dans une eau de mer à 6°C et un air qui frise les 3°C…

En sus, il ne sert pas à grand-chose de tenter de gagner quelques dixièmes de nœud quand une nouvelle zone de calmes pointe son nez pour le réveillon ! Chacun s’attache donc à peaufiner sa trajectoire pour se retrouver en position plus favorable lorsque la brise de secteur Sud-Ouest va revenir en tout début d’année. Les premiers du groupe vont ainsi plutôt longer la ZEA, le milieu devrait se recadrer plus au Nord et Giancarlo Pedote (Prysmian Group) et Louis Burton (Bureau Vallée 2) plus en retrait, devraient tenter une voie plus directe vers le détroit de Drake.

Mais au final en milieu de week-end, tout ce groupe va se ressouder à une journée du cap Horn pour l’aborder dans un flux modéré d’Ouest (20-25 nœuds) qui va imposer une chaîne d’empannages avant la Patagonie. Et c’est probablement à ce stade que les écarts vont se créer selon l’énergie de chaque skipper : non seulement il faudra choisir le bon tempo, mais encore faudra-t-il être percutant dans les manœuvres. Pas si simple par 56° Sud, sur la grande houle du Pacifique, avec des vagues parfois vicieuses et un effet Venturi qui alterne bouffées et bascules…

Les frimas du Pacifique

Certes devant, c’est la pause pour certains, mais derrière il y a aussi du match au point que Clarisse Crémer (Banque Populaire X) sent de plus en plus le souffle d’Armel Tripon (L’Occitane en Provence). Et ce dernier profitant d’un flux de Sud-Ouest musclé et frais devrait recoller au groupe des chasseurs tout en laissant dans son sillage la jeune navigatrice.

Bien plus loin, Jérémie Beyou (Charal) fait des siennes en « allumant » à plus de vingt nœuds dans une brise de secteur Nord-Ouest, en bordure d’anticyclone le long de la ZEA. Or ces conditions vont perdurer jusqu’au week-end, ce qui devrait lui permettre de revenir sur le trio Roura-Boissières-Hare, 400 milles devant actuellement. Enfin, on n’attend plus qu’Alexia Barrier (TSE-4myplanet) et le Finlandais Ari Huusela (STARK) dans le Pacifique, une fois qu’ils auront franchi la longitude du Sud de la Tasmanie aux premiers jours de la nouvelle année !

Cotillons et langues de belle-mère…

Mais la question qui turlupine les solitaires (comme leurs spectateurs) est de savoir combien seront en mesure de scorer dans l’Atlantique ? Et surtout quels vont être les écarts en temps et en distance, entre les concurrents qui auront franchi ce troisième cap ? Il faudra attendre le réveillon et bien plus pour que la hiérarchie se décante devant la Terre de Feu. Or ce qui semble déjà acquis, c’est que l’Atlantique Sud ne va pas être très coopératif aux premiers jours de l’année nouvelle.

Une fois le cap Horn passé, il faudra déjà choisir entre le passage par le détroit de Le Maire (entre la Patagonie et l’île des États) ou le grand large. Puis savoir de quel côté négocier l’archipel des Malouines ! Bref, les bulles anticycloniques et les centres dépressionnaires semblent très agités au large de l’Argentine en ce début d’été austral, et si le groupe des poursuivants est aussi compact qu’il semble l’indiquer au passage du Horn, il va y avoir des trajectoires très variées pour aborder cette remontée de tous les dangers.

En attendant, tous se préparent à une journée particulière : le réveillon du Nouvel An, qui avec le décalage horaire (entre neuf et dix heures pour les premiers) et les conditions météorologiques, ne semble pas la priorité du moment au fin fond du Pacifique…

Source

Agence Oconnection

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