Cinquante nuances de gris

© Jean-Louis Carli

Quand le leader Charlie Dalin déboule à près de vingt nœuds dans l’océan Indien, Alex Thomson arrive en Afrique du Sud et Jérémie Beyou peine dans des méandres anticycloniques. Il y a au moins trois mondes autour du monde : celui des premiers ballottés par les flots agités voire malveillants de l’océan Indien, les retardataires englués sous l’Afrique dans des vents de plus en plus erratiques, les derniers qui bataillent dans les alizés poussifs de l’Atlantique Sud, en attente d’une dépression australe !

Gris taupe, gris anthracite, gris souris, gris ardoise, gris perle, gris tourterelle, gris argent, gris acier, gris-noir, blanc-gris, gris verdâtre, gris chaud, grisaille, lavis d’encre, gris Trianon, gris ciel, gris typographique, gris froid… Toutes ces nuances se déclinent de l’Afrique du Sud aux Malouines, en passant par la Nouvelle-Zélande et le cap Horn. En une succession de dépressions, de fronts, de zones de transition, de perturbations. En une ribambelle de nuages cumuliformes, de nimbostratus persistants, d’altocumulus lenticulaires, de grains, de pluie, de crachin, de boucaille, de bruine, d’embruns ! Un coin de ciel bleu… et tout s’illumine.

Le Soleil ou la Lune n’ont plus aucune prise sur ce plafond plombé, ce couvercle pesant, cette humidité prégnante. Au dehors, sous la casquette, devant la table à cartes, l’eau est partout, condense, imprègne, imbibe. Il n’y a aucune alternative… et en sus, cette brise frigorifique et piquante ne fait qu’augmenter la sensation d’un bout du monde. Sans compter qu’une fois le front froid passé, c’est un carambolage d’averses et de cumulonimbus, de grésil et de neige fondue qui perce la moindre couche de protection.

Prendre du Sud sans exagération…

Pour les leaders, le cap de Bonne Espérance est déjà loin dans le tableau arrière et devant l’étrave, il n’y a que désolation jusqu’au Sud des îles du Sud de la Nouvelle-Zélande, du côté de Campbell ou d’Auckland. Sur la route, l’archipel des Kerguelen, et plus au Nord Saint-Paul et Amsterdam, des confettis au milieu de l’immensité océanique… Pas vraiment de quoi flâner si ce n’est pour croiser le chemin du Nivôse, la frégate de la Marine Nationale qui sillonne ces mers australes autour des TAAF où la pêche est parfois miraculeuse. Le navire devrait tenter de récupérer Kevin Escoffier à bord de Yes We Cam!, si les conditions le permettent.

Ce qui n’est pas évident car l’océan Indien s’est réveillé de mauvaise humeur depuis que les deux dépressions australes ont fusionné pour former une perturbation de près de 2 000 milles de diamètre, s’étendant du cap de Bonne-Espérance jusqu’à l’Est de l’île Heard, couvrant les Quarantièmes Rugissants jusqu’aux Soixantièmes ! Une sorte de monstre météorologique qui a vocation à se déliter sur place avant de se réactiver sous l’influence d’une nouvelle dépression, phénix des mers du Sud…

Et c’est dans ces conditions que les leaders naviguent, Charlie Dalin (Apivia) plutôt le long du 40° Sud dans un flux de secteur Sud-Ouest puissant sur une mer encore très agitée, tandis que Louis Burton (Bureau Vallée 2) a choisi une trajectoire plus méridionale, plus « engagée » aussi, plus animée avec près de trente nœuds de brise sur des vagues de six mètres, le long du 42° Sud. Leurs routes devraient converger après le passage de l’archipel de Crozet, situé à l’intérieur de la Zone d’Exclusion Antarctique (ZEA) relevée en raison de la présence d’icebergs décelés par CLS en collaboration avec le CNES. Bref, le champ tactique va être un peu plus ouvert une fois passé le 51° Est, mais il est fort probable que les solitaires de tête ne plongent pas si Sud vers les Kerguelen, pour éviter les souffles malveillants qui règnent autour de l’archipel.

Un Indien pas très pacifique

L’entrée dans l’océan Indien n’a pas été simple : après la récupération de Kevin Escoffier par Jean Le Cam (avec la participation de Yannick Bestaven, de Boris Herrmann et de Sébastien Simon), « passager clandestin » qui pourrait être débarqué sur la frégate de surveillance des pêches, le Nivôse, en route entre les Kerguelen et l’archipel de Crozet, Sébastien Simon (ARKEA-PAPREC) a touché un objet flottant non identifié qui a profondément impacté son foil, tandis que Sam Davies (Initiatives Cœur) a vu sa quille bouger suite à un choc violent. Les deux solitaires font route vers le Nord pour tenter de trouver une mer plus paisible près des côtes sud-africaines, dans l’espoir de réparer sans faire escale. Quant à Alex Thomson (HUGO BOSS), il devrait atteindre Cape Town ce vendredi matin et annoncer officiellement son abandon.

Quant à celles et ceux qui ne baignent pas encore dans les affres nauséabondes d’une immensité marine au-delà du cap de Bonne-Espérance, ce n’est pas l’extase ! L’anticyclone de Sainte-Hélène fait encore des siennes, se repliant sur lui-même avant de s’expandre sous la corne africaine, ralentissant le duo Alan Roura (La Fabrique) – Stéphane Le Diraison (Time for Oceans), freinant le retour dans le match d’Armel Tripon (L’Occitane en Provence), d’Arnaud Boissières (La Mie Câline-Artisans Artipôle) et de Manuel Cousin (Groupe Sétin)…

Pendant ce temps, Fabrice Amedeo (Newrest-Art & Fenêtres) voit sa progression stoppée net comme un moustique sur un pare-brise et le retour du groupe qu’il a quitté quelques jours auparavant mené par Alexia Barrier (TSE-4myplanet) et Miranda Merron (Campagne de France). Bref quand les premiers alignent des moyennes à plus de 400 milles quotidiens, le dernier Jérémie Beyou (Charal) peine à cumuler plus de 250 milles par jour : l’écart de la flotte ne fait que se creuser avec déjà plus de 3 500 milles de différentiel ! Même l’espoir est gris en ce prélude au « Black Friday »…

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Agence Oconnection

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