La gestion du sommeil de Thomas Ruyant

  • © Pierre Bouras
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Le sommeil. Dormir de manière récupératrice, en compétition vélique au très long cours, lorsque jamais ne s’interrompt la quête de la performance, aux commandes d’une machine surpuissante qui exige une surveillance de tous les instants. Cette problématique, tous les marins solitaires du monde la dissèque, la triture et la décortique en filigrane de leur métier de coureur d’océans. Thomas Ruyant, passés les tâtonnements souvent erratiques de ses premières années seul à bord de son Mini 6,50, progresse depuis dans la compréhension et la maitrise de cette fameuse horloge interne, qui dicte sa capacité à bien se régénérer physiquement, nerveusement et intellectuellement. Il bénéficie depuis 2008 d’un soutien de poids dans cette recherche si fondamentale des bonnes gestions de son énergie, en la personne d’un autre « gars du Nord », le chercheur spécialisé dans le management de la fatigue, Docteur en Sciences du sport de l’Université Côte d’Opale Rémy Hurdiel. Au delà de l’analyse et d’une compréhension de plus en plus approfondie du comportement du skipper de l’Imoca LinkedOut en solitaire, Rémi met au point, avec le soutien des équipes R&D Advens, des outils sophistiqués d’analyse et de gestion physique et cérébrale, que Thomas embarquera en novembre prochain autour de la planète.

Une approche plus cartésienne des problématiques du sommeil en mer.

« La gestion du sommeil est la clé de la performance dans le métier de marin » répète comme une évidence Thomas Ruyant. « Il faut pouvoir veiller en permanence aux milles et une chose qui se passent lorsque l’on est en mer, en course et en solitaire. Mais on ne le peut pas toujours. Nous traversons des zones parfois très fréquentées, et on ne peut pas laisser le bateau longtemps tout seul, même sous le meilleur des pilotes automatiques. Lors de mes premières courses, je me connaissais mal, et c’était difficile de laisser le bateau naviguer sans mon contrôle pour aller dormir. Grâce à Rémy Hurdiel, je me connais mieux et le sommeil est devenu quelque chose que j’appréhende mieux et me met en confiance avec mon bateau. C’est un vrai sujet que Rémy et moi creusons et abordons désormais à un niveau scientifique. »

Rémy Hurdiel est Docteur en Sciences du Sport à Université Littoral Côte d’Opale à Dunkerque. Universitaire, navigateur et consultant, il est spécialisé dans la gestion des rythmes et de la fatigue lorsque l’activité professionnelle impose une altération du sommeil ou du rythme veille/ sommeil (privation de sommeil, décalage horaire, travail de nuit). Il a développé un outil de Management de la Fatigue utilisant un modèle de pointe de la prédiction des performances cognitives et motrices, basé sur les temps d’éveil et de sommeil. Ce programme de recherche, développé en collaboration avec des chercheurs des États-Unis, est très innovant sur le territoire français et contribue à l’amélioration des modèles utilisés par de très grands groupes industriels pour la planification d’horaires et de charges de travail. Explications : « L’horloge biologique dirige l’envie de dormir. L’être humain est fait pour dormir la nuit et vivre le jour. L’hormone du sommeil, la mélatonine, est secrétée la nuit et nous fait dormir. Le jour et la lumière stoppent sa sécrétion. Notre horloge biologique en libre cours tourne en 24 heures. Dans l’obscurité, la mélatonine devient un métronome qui entraine notre horloge biologique. Lorsque l’on perturbe ce rythme lumière/nuit, on dérègle l’horloge. Bien s’exposer à la lumière le jour, permet de stopper la mélatonine. La performance du haut niveau est dans les détails. Je m’attache à la performance de Thomas, en allant chercher les détails. Le postulat est qu’un marin qui gère sa fatigue s’occupera mieux de son bateau et optimisera ses performances. La gestion du sommeil peut permettre d’optimiser la performance du bateau de 1%, donc un gain considérable en temps de course à l’arrivée d’un Vendée Globe. »

La solution en mer, le sommeil polyphasique

A l’évidence, pour un navigateur solitaire, lancé dans la plus extrême des courses au large – en l’occurrence le Vendée Globe -, ce rythme de terriens est immédiatement chamboulé. « Trouver le sommeil lors des premiers jours de cours est difficile » poursuit Thomas, « avec l’adrénaline du départ, il est compliqué de trouver le rythme de sommeil polyphasique. » Le sommeil polyphasique désigne un mode de repos dans lequel le temps de sommeil est fractionné en différentes siestes réparties à des horaires réguliers, sur une période de 24 heures. « En manque de sommeil, la sieste est très réparatrice » explique Rémy Hurdiel, « elle a un super pouvoir de « nettoyage du cerveau », dans un laps de temps très court. C’est un sommeil puissant et récupérateur. Il s’agit du Power Nap comme disent les anglais. Le cerveau est très actif durant le sommeil et consomme de l’énergie, mais beaucoup moins qu’en phase d’éveil. Pour les marins, la sieste est très récupératrice. Elle permet de tenir tout un Vendée Globe, 70 jours avec un déficit de sommeil. Moins on dort, plus on est fatigué. Les recommandations pour tout Homme sont de 7 heures 30 ou 8 heures de sommeil/jour, ce qui est impossible en course au large. La fatigue se concrétise par un cerveau instable, qui peut « bugger » comme un ordinateur. Manquer de sommeil, c’est souffrir du stress, de manque de vigilance et de lucidité, avec un corolaire de problèmes de santé. Quand on n’a pas ce quota, le cerveau s’adapte. Mais il devient moins performant. Pour un Vendée Globe, la limite est de 5 ou 6 heures de vrai repos par 24 heures. Il faut trouver le meilleur rapport temps d’éveil/temps de sommeil qu’un marin doit avoir pour garder le contrôle. Le marin doit connaitre ses limites. 5 /6 heures c’est la limite. Le risque, c’est ce qui est arrivé à Alex Thomson et son échouage sur la dernière Route du Rhum.
Si on ne dormait que par sieste, on pourrait théoriquement moins dormir en quantité générale sur 24 heures. Mais cela engendre un peu de fatigue générale. Effet néfaste, la sieste trop longue, avec son réveil désagréable. La trop longue sieste, au delà de 20 minutes, a un effet délétère pas sympa à vivre. La sieste évoque un cerveau « pas propre », quand on est en dette de sommeil. »

Etre en dette de sommeil

« Donc il faut se mettre en dette de sommeil » résume Thomas. « C’est la fatigue du départ accumulée qui va me permettre de trouver plus facilement le sommeil au bout de deux à trois jours de course durant lesquels je ne vais que très peu dormir. Plus on entre dans la course, plus je me concentre sur moi, sur mon corps, sur mes sensations. Mais avec la dureté des bateaux qui sautent dans tous les sens, retrouver le sommeil est difficile. Il faut vraiment se recentrer sur soi, sur ses sensations intimes. Comme tous les marins, j’ai un sommeil polyphasique en forme de siestes d’une longueur entre 10 mn et 1 heure 30, en fonction de la météo et de l’endroit où je me situe. Pour aller chercher ce sommeil, il faut avoir une dette de sommeil importante, pour pouvoir sombrer dans des siestes facilement. Je ne m’entraîne pas aux siestes à terre. Dans les nuits précédant le départ, on charge les batteries à bloc en faisant de belles nuits complètes. »

Une ceinture connectée durant le Vendée Globe

« On a beaucoup essayé de choses avec Rémy, et avec l’aide de l’expertise technologique d’Advens. Certaines choses ont marché, d’autres pas. On envisage des solutions nouvelles pour le Vendée Globe, en rassemblant des datas, pour trouver une jauge qui me dise quand je suis dans le rouge et qu’il me faut récupérer. On a déjà accumulé des données depuis mon dernier Vendée Globe pour approvisionner Rémy en infos pour l’avenir. Le résultat est en cours de mise au point ; une ceinture connectée qui va enregistrer sur ma personne, en course et en continue, des données constantes, sur ma respiration, mon pouls, en fonction de mon activité à bord, et accumuler des données qui procureront aux chercheurs comme Rémy des indicateurs précis pour l’avenir. Ce sera comme un roadbook du sommeil, pour me donner des indicateurs en direct. Anticiper mon état de forme pour pouvoir être au maximum de ma condition physique lorsque des moments cruciaux s’avancent, une bascule du vent, un changement de voile, à anticiper pour ne pas être pris en défaut dans ces moments en étant en déficit de récupération. »
Et Rémy Hurdiel d’ajouter : « Je collabore avec Thomas sur le projet Big Sleep data. Dans le sport de haut niveau, on a besoin de données pour avancer sur les détails de la physiologie des sports de haute exigence. Ces data n’existent pas en course au large. Avec l’Université du littoral Côte d’Opale, et l’aide de partenaires, on a mis au point un programme de recherche dans les sports extrêmes, ultra trail et voile notamment, pour augmenter l’énergie disponible et trouver les pourcentages qui vont faire la différence. On cherche avec Thomas à calibrer ces données. Les sports extrêmes amplifient les phénomènes du sommeil. On crée du savoir avec le modèle des marins et on pourra les appliquer à d’autres champs, pour les personnels soignants par exemple. On est sur des projets innovants avec cette ceinture connectée et des outils de détection d’hypo vigilance, tout cela, imbriqué dans le bateau, avec une grosse implication d’Advens. La ceinture connectée sera taillée pour Thomas, adaptée pour la course au large sans problème de confort. »

Source

TB Press

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Informations diverses

Mis à l'eau le: 3 septembre 2020

Matossé sous: 2020-21, Course au Large, IMOCA, Vendée Globe

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