L’exigence à son sommet

© Pierrick Contin

Dimanche à 13 h 15, les 59 duos (et non plus 60 depuis le retrait ce matin de l’IMOCA Fortil) s’élanceront du Havre à l’assaut de l’Atlantique pour l’événement phare de leur saison, toutes classes confondues : La Transat Jacques Vabre Normandie Le Havre. 4 350 milles les attendent, pas forcément pavés de bonnes intentions au mois de novembre. A l’exigence maritime, s’ajoute celle de prototypes au potentiel en nette hausse qui repousse loin le niveau d’engagement de chacun. Confirmation sur les pontons du bassin Paul Vatine où les dernières vérifications sont l’aboutissement d’un long processus.

Class40 – L’exigence de la préparation

« Pour rester compétitif sur la transat face à des Class40 nouvelle génération, il y a parfois des modifications à apporter, ce que nous avons fait, et surtout il est indispensable de réaliser une préparation au top niveau » explique Louis Duc, skipper de Crosscall-Chamonix Mont-Blanc, Lift 40 lancé en 2017 avec lequel il espère bien jouer aux avant-postes. 27 équipages composent cette année la classe des plus petits bateaux de la Transat Jacques Vabre Normandie Le Havre dont une dizaine peut prétendre à la victoire : six bateaux dernier-cri et au moins quatre d’avant-dernière génération, que leurs skippers connaissent sur le bout des doigts. « Sur une course longue avec en général des conditions musclées sur les trois premiers jours, un bateau neuf n’est pas forcément devant surtout si la préparation a été tardive. » souligne Jorg Riechers, skipper de Linkt, le plan Owen Clarke construit cette année en Afrique du Sud. La préparation du bateau et de l’équipage demande un certain niveau d’exigence dans cette classe où les marins sont de plus en plus des professionnels de la discipline. Le Class40 Banque du Léman, mis à l’eau le 26 septembre dernier, pourrait souffrir d’un manque de préparation et de navigation pour les deux skippers : « On ne veut pas se mettre de pression, il y a des équipages qui sont supers bien préparés et qui connaissent leur bateau par cœur. C’est dur d’arriver avec un bateau neuf qui est mis à l’eau un mois avant le départ de la course et d’avoir un objectif de performance. » expliquait Valentin Gautier dimanche à son arrivée dans le bassin Paul Vatine.
Pour ceux dont la course au large n’est pas le métier, c’est une question de sécurité et donc de sérénité. « Notre objectif est d’arriver de l’autre côté tout en jouant des coudes avec les bateaux « vintage ». Notre bonne préparation technique et physique nous rend plus sereins ! » confie Florien Gueguen, 27 ans, dont ce sera la première Route du café.

Multi50 – L’exigence d’un duo fusionnel

Ils seront trois équipages cette année en Multi50 à tenter de succéder aux brillants vainqueurs de l’édition 2017, Lalou Roucayrol et Alex Pella sur Arkema, en 10 jours 19h et 14 mn. « Certes, nous avons le bateau le plus récent mis à l’eau en 2017, mais les deux autres sont d’excellents tandems. Il va y avoir de la bagarre. » sourit Thibaut Vauchel-Camus, skipper de Solidaires En Peloton-ARSEP. Sans doute plus fondamentale qu’en IMOCA et en Class40, parce qu’un chavirage n’est jamais exclu en Multi50, l’entente et l’expérience des binômes est gage de réussite. « Je ne suis pas ingénieur, je suis autodidacte, je suis passionné, mais je n’ai pas d’expérience au large en multi, il fallait que je sois convaincu de bien m’entendre avec mon équipier. En Multi50, c’est la promiscuité à l’extrême. Matthieu Souben coche toutes les cases : c’est un as du multi, il est ingénieur, on se connaît bien. » raconte le clairvoyant Sébastien Rogues, skipper de Primonial. Formidables bateaux de courses désormais volants et parfois volages, ces trimarans de 15 m de long demandent une attention de tous les instants, d’où l’absolue nécessité d’une confiance mutuelle et d’une expérience hors pair pour les piloter…

IMOCA – Triple exigence : matière grise, feeling et casque lourd

La tenace brume qui enveloppait le bassin Paul Vatine ce matin rendait la silhouette des IMOCA un peu plus irréelle encore. Quelles drôles de machines ! 18,28 m de long pour des mâts de 29 m, 3 tonnes de plomb sous la coque mais des foils qui poussent toujours plus haut… « Archimède est en train de prendre sa retraite ! » commente Roland Jourdain (Maître CoQ IV) alias Bilou. « Sur un bateau de course, les arbitrages sont toujours complexes mais jusqu’alors, on raisonnait en terrain connu. Les foils ont ré-ouvert la boîte ce qui implique beaucoup plus d’heures de conception »
Pour donner naissance aux derniers foilers, 35 000 heures de travail ont été nécessaires, sans que l’on puisse toujours faire la part entre conception et construction. Une chose est sûre, les bureaux d’études des teams ont explosé. Les bateaux sont bardés de capteurs, « mais comme tout ne marche pas toujours parfaitement, l’exigence de feeling retrouve aussi son importance » prévient Bilou. Un paradoxe poussé à son comble avec l’arrivée des nouveaux bateaux où les marins sont isolés de l’extérieur par des cockpits entièrement couverts (Hugo Boss, Apivia …)
Spectaculaires, les IMOCA naviguent aujourd’hui à la vitesse des trimarans ORMA des années 2000. « C’est pourquoi nous avons décidé d’augmenter la taille de leur ligne de départ qu’ils partagent avec les Multi 50 explique Sylvie Viant, la Directrice de course. Reste pour nous à acquérir leurs véritables polaires de vitesse et affiner nos ETA à Salvador de Bahia. Mais les teams et architectes tiennent leur secret bien gardé !… »
Avec 29 bateaux au départ conçus entre 1998 et 2018, les enjeux sportifs seront certes hétéroclites. Quand certains veilleront au grain pour finir coûte que coûte, qualification au Vendée Globe oblige, d’autres garderont la poignée dans le coin. Et pour tenir la cadence des derniers foilers, il n’est pas certain que la vie à bord des bateaux plus anciens soit forcément moins exigeante !

Clément Giraud et Remi Beauvais ne prendront pas le départ de la Transat Jacques Vabre Normandie Le Havre

Hier soir, un feu s’est déclaré à l’intérieur de l’Imoca Fortil, amarré bassin Paul Vatine au Havre. Les équipages voisins puis les pompiers sont rapidement intervenus. Toutefois, le feu a causé d’importants dégâts à l’intérieur du bateau et déformé une cloison structurelle associée au gréement. Clément Giraud et Rémi Beauvais, en concertation avec leur partenaire Fortil, ont pris la difficile décision de renoncer à la Transat Jacques Vabre.

Les mots des skippers

Clément Giraud, skipper de Fortil (Imoca)

« Nous ne pouvons pas partir sur une transat aussi longue et difficile. Nous nous sommes trop investis dans ce bateau pour prendre le risque d’aggraver la situation, en mer. Et si la Transat Jacques Vabre était enthousiasmante, nous nous projetons déjà, avec notre partenaire Fortil, vers 2020. Nous aurons une Transat en solitaire au mois de mai puis une Transat retour et enfin, le Vendée Globe. Nous allons réparer et naviguer dès le début de l’année. Toute notre équipe est déjà mobilisée. Il faut que l’humain soit plus fort que le matériel ».

Sébastien Rogues, skipper de Primonial (Multi50)

« C’est un duo qui marche bien avec Matthieu. Il m’a mis en confiance dans le bateau, c’est important parce ce sont des petites bêtes qui peuvent faire peur. Tu n’as pas le droit d’être en retard sur ces bateaux. Le maître mot, c’est : anticipation. Il faut avoir un cran d’avance sur les évènements que ce soit sur des changements de voiles, sur le rythme de la course. Il faut se préparer par exemple à aller à 110% des polaires pendant 6 heures si notre routeur (Julien Villon, ndlr) nous le conseille. L’anticipation ce n’est pas un frein, mais un levier à la performance. »

Roland Jourdain (,Maître CoQq IV) (IMOCA) :

« Nous sommes en train de vivre une rupture. Archimède prend sa retraite ! Sur un bateau de course, les arbitrages sont toujours complexes mais jusqu’alors, on raisonnait en terrain connu. Les foils ont ré-ouvert la boîte ce qui implique beaucoup plus d’heures de conception, beaucoup plus d’énergie et de recherches en amont. Les BE des gros teams ont explosé et ce n’est pas fini. On est à un carrefour où le besoin d’ingénierie se double d’un besoin de feeling. Les bateaux sont bardés de capteurs mais tout ne fonctionne pas tout le temps. C’est pourquoi un croisement générationnel comme Charlie Dalin et Yann Eliès sur Apivia peut faire très mal. »

Jorg Riechers, skipper de Linkt (Class40)

« Notre Class40 est assez différent des autres. Il est très polyvalent et marche fort au près. Les autres sont des bombes au reaching. Je rêve d’avoir trois jours de près sur le premier tronçon du parcours ! Avec Cédric (Château), on sera sur le pont tous les deux, on ira faire une sieste si c’est vraiment nécessaire. Ce sera une super bagarre, le bateau nous a convaincu sur les courses auxquelles nous avons participé. »

Source

Soazig Guého

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