L’analyse de Michel Desjoyeaux

UCAR Saint-Michel, Maxi, 14 September, 2018.

Au sixième jour de course dans la Route du Rhum, c’est toujours le Britannique Alex Thomson qui emmène la flotte des IMOCA. Dans les alizés, il est poursuivi par un trio composé de Paul Meilhat, Vincent Riou et Yann Eliès. La lutte jusqu’à Pointe-à-Pitre s’annonce passionnante alors qu’il reste plus de 2 000 milles à parcourir et que Boris Herrmann, partisan d’une option Nord, n’a peut-être pas dit son dernier mot. Derrière, un match entre trois skippers menant des plans Finot-Conq de la génération 2008 nous tient également en haleine, avec peut-être en jeu une place dans le Top 5 à l’arrivée pour Stéphane Le Diraison, Alan Roura ou Damien Seguin… C’est aujourd’hui un double vainqueur du Vendée Globe, Michel Desjoyeaux, qui nous livre sa chronique de la Route du Rhum en IMOCA.

« Au départ, il y avait un choix pas forcément simple à faire entre une route proche de l’orthodromie, dans du vent soutenu et une mer forte, et une route plus longue mais qui permettait d’avoir plus de certitudes quant à la cadence qu’il était possible de mener. Alex Thomson a suivi la première option, avec succès. A un moment-donné, son avance devenait conséquente quand on faisait tourner des routages sans tenir compte de l’état de la mer. Mais dans les faits, quand Alex était au Nord dans la mer la plus forte, il n’arrivait pas du tout à tenir les cadences du routage. On a alors vu le bien-fondé de la route Sud.

« Alex Thomson sera dur à aller chercher »

Pourtant, Alex s’en est très bien tiré, en ayant un peu de réussite dans le passage de la dorsale ce qui lui a permis de se repositionner devant Paul Meilhat, Vincent Riou et Yann Eliès. Je pense qu’Alex est celui qui attaque le plus dans l’alizé. Il pousse fort, maintenant qu’il est devant il doit creuser l’écart. Je me demande parfois comment il fait pour cavaler comme ça ! Il arrive à maintenir des vitessesélevées sans trop perdre en VMG (Velocity Made Good, recherche du meilleur compromis cap-vitesse),ce qui est étonnant car il a un bateau un peu pluslourd que les autres. Il sera dur à aller chercher. Il s’est exprimé avant le départ sur le fait que les Bretons sont les meilleurs du monde et il a probablement à cœur d’essayer d’être encore meilleur… Si l’alizé n’est pas trop fort, on va assister à une course de vitesse entre les trois premiers (Thomson, Meilhat, Riou). Yann Eliès est un peu décroché, ce sera probablement difficile pour lui de revenir dans des conditions où son bateau n’affiche pas un potentiel bien supérieur aux autres.

« Je pense que PRB a un problème en tribord amure »

Je pense que PRB a un problème en tribord amure, peut-être un foil abîmé ou qui ne peut pas sortir. Ou alors Vincent ne peut pas le régler comme il le souhaite. Ca pourrait aussi être un souci au niveau de la quille. Il y a eu plusieurs phases durant lesquelles Vincent ne tenait pas la cadence en tribord amure face à Paul, dans des conditions où il n’y avait pas de raison de lever pied. Je ne serai pas surpris si à l’arrivée en Guadeloupe on découvre qu’il y a des choses qui ne vont pas sur PRB. Dans ces cas-là, il y a deux écoles au niveau de la communication. On a connu l’école Ellen MacArthur qui s’exprimait seulement quand elle cassait, jamais quand elle réparait. Puis il y a une école qui est davantage dans la discrétion, voire la culture du secret. Une culture que je connais un peu pour l’avoir déjà pratiquée !

« Paul Meilhat n’a pas fait d’erreurs »

Paul Meilhat fait une super traversée, je n’ai pas vu d’erreurs. Dans la brise, il a fait le dos rond et tenu la cadence. A ma connaissance, il n’a pas de bobos majeurs, des petits soucis comme tout le monde mais rien de grave. Physiquement, il est loin d’être cramé, il reste lucide, ce qui est de bon augure pour la suite. Il était important d’arriver à ce stade de la course en étant relativement frais car il faut passer beaucoup de temps à la barre dans les alizés, qui ne sont pas un long fleuve tranquille et demandent de la subtilité. Pour Paul, cette Route du Rhum offre une superbe opportunité de montrer ses capacités et son talent, surtout en vue d’une fin de contrat avec SMA, pour donner envie à un sponsor de s’intéresser à son cas de très près.

« Il faut continuer à surveiller Boris Herrmann »

L’incertitude demeure sur le « Nordiste » Boris Herrmann qui poursuit indéfectiblement sur une option orthodromique. Si le passage de la dorsale qui lui barre la route se passe très bien, il peut espérer venir jouer les trouble-fête dans le paquet des quatre Sudistes. Ce serait étonnant car son option n’est pas dans la tradition, mais pourquoi pas ! Il faut continuer à le surveiller. Pour Alex, Paul, Vincent et Yann, il n’y a pas grand chose d’autre à faire que d’attendre le croisement avec Boris qui devrait survenir dans la nuit de dimanche à lundi.

« Traverser l’Atlantique n’est pas devenu quelque chose d’anodin »

Derrière, Stéphane Le Diraison, Alan Roura et Damien Seguin souffrent davantage de la dorsale qui a tendance à descendre avec eux. Ils se bagarrent comme ils peuvent et réalisent de jolis parcours. Alan a super bien tiré son épingle du jeu en début de course. Depuis qu’il navigue au portant dans du vent faible il doit un peu souffrir avec ses foils. Stéphane a bien réussi à préserver le matériel dans le vent fort. Et quelle performance incroyable de Damien ! Tenir dans des conditions très dures, quand tu as besoin de tes deux mains pour t’accrocher et que tu n’en as qu’une seule, franchement bravo ! On sait que le garçon a de la ténacité et de l’énergie à revendre. Arnaud Boissières est fidèle à lui-même, il n’attaque pas trop mais il est toujours en mer. Ce sera dur de recoller aux trois devant lui. Mais comme disait Morgan Lagravière hier, c’est déjà exceptionnel d’être encore en mer. Il ne faut pas bouder son plaisir. On a trop tendance à croire que traverser l’Atlantique est devenu quelque chose d’anodin, mais ça ne l’est toujours pas.
Je note enfin qu’il n’y a eu pour le moment que trois abandons en IMOCA (Sam Davies, Louis Burton et Yannick Bestaven), probablement bientôt quatre avec Isabelle Joschke qui a démâté. C’est un chiffre très raisonnable sur 20 bateaux au départ. Cinq concurrents devraient prochainement repartir après leurs escales techniques. Les marins sont tenaces ! »

Michel Desjoyeaux

  • Double vainqueur du Vendée Globe (en 2000-2001 et 2008-2009)
  • Vainqueur de la Transat Jacques Vabre 2007 (avec Emmanuel Le Borgne)
  • Vainqueur de l’Istanbul Europe Race 2009
  • 6e de la Route du Rhum 2010
  •  Participation à la Barcelona World Race 2010-2011 (avec François Gabart)

Source

Agence Mer & Média

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