La guerre des trois

  • Ph: Guido Cantini / Panerai, Regates Royales Trophée Panerai 2017
    © Guido Cantini
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En raison d’une panne d’alimentation éolienne, cette journée de mardi fut marquée par d’énormes écarts entre les voiliers de chaque catégorie. Au point qu’en fin d’après-midi, tous les yachts classiques n’avaient pas encore franchi la ligne d’arrivée d’un parcours pourtant raccourci… Ainsi par petits grappes égrainées au fil des maigres bouffées de brise, les yachts classiques en terminaient, harassés par ce néant vélique tels des galériens grecs aux portes de Troie.

Les Dieux du vent et de la mer somnolaient en ce début d’automne : dans un zéphyr anémique, les quatre-vingt-un yachts classiques s’ébrouaient difficilement dans un flux éthéré de Sud à Sud-Est de 3 à 5 nœuds. Difficile de trouver la bonne veine de brise pour atteindre la première des marques de ce parcours triangulaire (à l’origine) en baie de La Napoule ! Au point que toute la flotte se retrouvait compactée au large de la pointe du Barbier, dans l’Ouest de l’île Saint-Honorat… L’occasion pour tous ces spartiates marins de cerner la belle Elena, la plus grande goélette des Régates Royales de Cannes.

Mais ce fut finalement le 23mJI Cambria qui pris la poudre d’escampette pour s’imposer largement en temps réel lorsque le Comité de Course décida de réduire le parcours devant la pointe de Saint-Marc, au pied de Théoule/mer… Un triangle réduit à un grand « V » inversé comprenant un louvoyage laborieux suivi d’un grand largue sous spinnaker. Dans son tableau arrière, seuls pointaient le 15mJI Mariska et quelques persévérants qui avaient réussi à grappiller mètre par mètre les encablures qui leur manquaient pour contourner la première bouée. Une bouée noyée sous une chape de plomb, sans un souffle vaillant que certains mirent des heures à enrouler. Car une fois la marque débordée, le zéphyr reprenait un poil de vigueur pour un long bord de spinnaker vers l’arrivée de ce parcours réduit.

Une seule confrontation…

Du côté du golfe Juan, la météo n’était pas plus favorable pour enchaîner les manches ! Ce petit souffle poussif mettait à rude épreuve les nerfs des équipages de Dragon. Il fallut d’ailleurs plusieurs rappels généraux avant de lancer une course délicate à suivre au vu de ce magma éolien : un seul être manquait à l’appel (l’Estonien Otium disqualifié suite à un pavillon noir), mais le plan d’eau était loin d’être dépeuplé ! Ça se bousculait ferme au passage des bouées même si le Comité de Course se voyait contraint d’écourter la manche au profit du Russe Annatoly Loginov (Annapurna) poursuivi par le Britannique Yvan Bradbury (Blue Haze) qui confortait ainsi son leadership au classement général cumulé sur trois manches, et le Français Alain Lathioor (Révolte). Cela permettait d’éclaircir un peu le jeu avant une troisième journée de mercredi qui permettra d’y voir plus clair lorsque le plus mauvais score sera retiré du cumul des points… Mais d’ors et déjà, le classement du Top Ten ne semble plus se jouer qu’entre les quinze premiers sur les quarante-quatre Dragon présents à Cannes !

Quant au 5.5mJI et aux Tofinou, ils ne bénéficiaient eux aussi que d’un seul coup de canon : une manche délicate dans ces conditions aléatoires où attraper une risée était aussi complexe que trouver une aiguille dans une botte de foin… Des cinq prétendants, le Suisse Andreas Dyhk Petersen (Otto) s’extirpait le mieux de ce plan d’eau bien trop tranquille parmi les Métriques tandis que le Britannique Edward Fort (Pippa) habitué des Régates Royales-Trophée Panerai, reléguait les trois équipages français dans le tableau arrière de son Tofinou 9.5. Les conditions météorologiques devraient être plus coopératives dès demain mercredi avec la dissipation d’une zone orageuse sur le Mercantour, cette masse menaçante qui a quelque peu perturbé le déroulement de cette journée…

Serial sailor – Alex Pella

Tout azimut

Venus du multicoque ou de la Coupe de l’America, de la Volvo Ocean Race ou de la Mini Transat, de l’olympisme ou du Class40’… voir parfois de plusieurs de ces séries, certains coureurs présents à Cannes pour les Régates Royales-Trophée Panerai skippent ou barrent ces magnifiques voiliers en baie de La Napoule ! Alex Pella le Catalan est de ceux-là…
Alex Pella, vous avez remporté la Route du Rhum en Class40’, vous avez décroché le Trophée Jules Verne avec Francis Joyon, vous avez participé plusieurs fois à la Mini-Transat… Pourquoi venir à Cannes sur un yacht dit classique ?

« C’est un bateau familial, un ancien voilier de course-croisière : Galvana. Avec mes trois frères, on fait souvent de la voile ensemble sur ce voilier construit en 1974 dans un chantier de Barcelone. C’est un plan Sparkman & Stephens avec lequel nous faisons soit de la croisière en Méditerranée, soit des évènements comme les Régates Royales de Cannes. Comme le bateau a plus de treize ans, nous participons ainsi au circuit des yachts classiques, et plutôt avec succès ! Comme je suis assez occupé, je ne suis pas venu à chaque rassemblement mais maintenant, j’essaye de me libérer de tous mes gros projets pour prendre du plaisir à bord : ça me permet de re-naviguer avec mes frères… »

C’est un bateau de famille !
« Nous l’avons retapé en 2003 en famille. C’est un voilier très bien construit par un petit chantier catalan qui a tout de même sorti 120 bateaux dans les années 70 : Galvana est un très bon bateau avec un joli coup de crayon des Américains mais il a une réelle habitabilité. Il a déjà traversé l’Atlantique mais il n’a pas participé à beaucoup de courses avant que nous le reprenions car c’est vraiment un concept de course-croisière hauturière avec son haut franc-bord. Toutefois il reste très rapide par rapport aux nouvelles unités de même taille comme les Grand Soleil par exemple… »

Ici à Cannes, il est donc inclus dans la catégorie des « Classiques Bermudiens »…
« Nous régatons contre d’autres voiliers de la jauge IOR comme Ganbare, Resolute Salmon ou le Maxi Il Moro di Venezia, contre des 12mJI comme France ou Chancegger… Nous n’avons pas un excellent rating mais au moins, Galvana est très confortable. Nous essayons de participer à au moins quatre courses dans l’année : j’ai fait une petite course hauturière en Espagne, nous revenons de Mahon et après les Régates Royales, nous enchaînons avec les Voiles de Saint-Tropez… »

Mais vous allez partir pour une nouvelle transat !
« Oui : je ne pourrai pas être à Saint-Tropez puisque j’embarque avec Lalou Roucayrol sur son Multi50 pour la Transat Jacques Vabre. En fait, je remplace au pied levé Karine Fauconnier qui s’est blessée. Un nouveau challenge puisque cela ne fait qu’un mois que je navigue avec Lalou : c’est très agréable et ce type de bateau ressemble à un kart ! C’est petit, nerveux, inconfortable, mais moins physique que IDEC Sport et très rapide avec les nouveaux foils. »

Caractéristiques de Galvana :

Architecte : Sparkman & Stephens
Constructeur : Astilleros Caravela (1975)
Longueur de coque : 16,65 m
Flottaison : 12,46 m
Largeur : 4,33 m
Tirant d’eau : 2,80 m
Déplacement : 20 000 kg
Surface de voile : 110 m2

Le temps d’une série (2)

Une classe à part

Lorsque Nathanaël Herreshoff imagina l’Universal Rule en 1903, elle fut immédiatement adoptée par le New York Yacht Club (NYYC) et si elle fut à l’origine des majestueux Class-J qui firent les beaux jours de la Coupe de l’America entre 1930 et 1937, elle fut aussi déclinée en neuf autres catégories, dont la Class-P représentée aux Régates Royales de Cannes-Trophée Panerai par Olympian et Chips…

Très rapidement, cette nouvelle jauge universelle qui venait remplacer la Seawanhaka Rule adoptée en 1883 par le NYYC (lui-même créé en 1844), est en fait la réponse de l’architecte américain Nathanaël Herreshoff à ses propres dérives. En effet, les précédentes règles de la Coupe de l’America ne prenaient pas en compte la longueur de coque mais uniquement la flottaison : les concepteurs utilisaient donc l’artifice des élancements pour gagner en performance à l’image de Reliance, le plus extrême de tous les Defenders, vainqueur en 1903 de Shamrock III dessiné par William Fife pour Thomas Lipton… Ce voilier révolutionnaire qui disposait des premiers winches à double vitesse fixés sous le pont mesurait ainsi 61,26 mètres hors-tout (201 pieds) pour seulement 27,43 mètres de coque (90 pieds) !

Un format classique

En créant l’Universal Rule, Nathanaël Herreshoff visait à limiter les excès qui avaient marqué ce début de 20ème siècle : la longueur de coque était incluse avec la flottaison ainsi que la largeur, le tirant d’eau, le franc-bord, le frégatage, la hauteur du mât et la surface des voiles. L’architecte déclina sa formule en dix catégories : « I » avec moins de 88 pieds de rating, « J » avec moins de 76 pieds de rating… mais aussi « Q » avec moins de 25 pieds de rating tel Jour de Fête, ou « P » avec moins de 31 pieds de rating comme Chips ou Olympian.

Logiquement, l’architecte américain dessina son premier Class-P en 1907 pour défendre avec succès la Canada’s Cup : Seneca (plan n°670) conçu pour M.P. Pembroke en juin 1907 fut ensuite racheté par le Commodore Jarvis du Royal Canadian Yacht Club en 1911, devenant ainsi le leader historique d’un groupe de plus en plus étoffé de huit Class-P à Toronto. Quant au Rochester Yacht Club installé lui aussi sur les Grands Lacs, mais côté américain du lac Ontario, il ne rassemblait que deux exemplaires de Class-P : Olympian propriété du Docteur Paul LaLonde et Alleode appartenant à Lorenzo Mabbett qui remporta la prestigieuse Fisher Cup en 1927.

Car Nathanaël Herreshoff ne fut pas le seul à dessiner des Class-P et il ne fut d’ailleurs pas prolixe dans cette série : il n’aurait ainsi conçu en sus de Seneca que deux autres exemplaires dans cette classe : Corinthian (plan n°708) et Joyant (plan n°709) en 1911… Ainsi Chips est dû au crayon de Starling Burgess construit dans son propre chantier de Marblehead en 1913, la même année où fut conçu et réalisé Olympian, un dessin de William Gardner construit à Chicago par Mc Clure. Il y aurait eu une vingtaine de Class-P jusqu’à ce que la Jauge Internationale imaginée en 1906 à Londres par les grands clubs européens ne vienne sonner le glas de toutes ces classes, les unes après les autres, les Class-P laissant l’espace aux 8mJI particulièrement dynamiques grâce aux propriétaires européens et aux Jeux Olympiques…

Caractéristiques du Class-P Chips (ex-Onda III) :

Architecte : Starling Burgess
Constructeur : W. Starling Burgess (1903)
Longueur de coque : 15,67 m
Flottaison : 10,70 m
Largeur : 3,17 m
Tirant d’eau : 2,25 m
Déplacement : 16 000 kg
Surface voilure : 170 m2

Source

Soazig Guého

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