Les pires heures de ma vie

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    © Stephane Le Diraison / Compagnie du Lit - Boulogne Billancourt
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    © Stephane Le Diraison / Compagnie du Lit - Boulogne Billancourt
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Stéphane Le Diraison a démâté samedi soir dernier à bord du 60 pieds « Compagnie du Lit / Ville de Boulogne-Billancourt ». Après avoir dû lutter dans un océan Indien extrêmement hostile, le skipper fatigué de ses heures de combat sans répit revient sur le déroulé de cette journée noire. Le skipper a installé un gréement de fortune la nuit dernière et avance au ralenti vers les côtes australiennes qu’il devrait rallier d’ici une dizaine de jours.

« J’étais à l’intérieur, je suis parti dans un surf à 28 noeuds, j’ai entendu un grand fracas. J’ai cru que c’était l’outtrigger, je suis sorti en chaussettes car j’étais dans mon duvet en train de tenter de m’endormir.

Je croyais le bateau partait à l’abattée mais quand je me suis tourné je suis sorti, j’ai pris la barre et là j’ai vu que j’avais plus de mât. Ca fait un sacré choc surtout que là il ne reste vraiment plus rien ! Dans un démâtage les mâts cassent habituellement au niveau du 1er ou 2ème étage de la barre de flèches, moi il est carrément parti du pont, sectionné à la base ! Il ne reste rien !

Le mât était plié en plein de morceaux sur le pont. J’avais un premier bout de 1 mètre sur le pont avec plein d’échardes de carbone partout, et j’avais un autre morceau de 3 mètres qui était en train de cisailler mon pont avec les barres de flèche. Avec toutes les voiles à poste (Jib top, J3, grand-voile) dans l’eau qui tractaient vers le fond. Du coup j’ai largué tous les étais pour laisser trainer cette partie à l’arrière, ça faisait comme une ancre flottante.

J’ai essayé de relever un gennaker, impossible. Mais ça me bloquait par l’arrière et il commençait à y avoir vraiment de la mer avec des déferlantes. Donc mon bateau se faisait arrêter et les déferlantes cassaient, il y avait de l’eau plus haut que les filières et ça inondait le cockpit, c’était impressionnant.

J’étais à l’arrière accroché avec mon harnais, je n’en menais pas large. J’ai essayé de relever mes voiles malgré ces conditions mais c’était impossible, je me mettais en danger donc j’ai dû tout larguer. Pour le moral ça a été tellement dur… Quand c’est tellement compliqué de trouver les financements pour le jeu de voiles et qu’il faut couper les liens et les voir partir sous l’eau… Ca fait si mal au coeur surtout qu’encore une fois, tout allait bien à bord, j’étais à l’aise dans cet Océan Indien agité. Deux heures plus tôt j’étais à la vacation avec le PC course de Boulogne-Billancourt et je leur disais sereinement que tout se passait au mieux.

Je me suis mis au moteur 3 heures pour manger et dormir au chaud après avoir tout donné pour sécuriser le bateau. J’ai ensuite enfilé ma tenue de combat pour aller tout déblayer sur le pont. J’ai rarement autant galéré de ma vie… C’était infectissime. Il y avait 35 noeuds de vent dans une mer croisée dans un front. J’étais gelé, le bateau se faisait brasser dans les vagues malgré ses 9 tonnes et ses 18 mètres de long!

D’après mes premières évaluations, a priori le démâtage serait dû à un ancrage de bastaque (le câble qui tient le mat par l’arrière) qui aurait cédé.

Pourquoi ça a cassé, ça n’en sais rien, ça ne devrait pas casser, surtout qu’on a changé les pièces avant de partir et qu’on a tout vérifié. Toujours est-il que la bastaque a cassé et le mât s’est éclaté en mille morceaux .

Ca fait vraiment bizarre, il ne reste plus rien sur le pont, plus aucun câble, et les filières ont été arrachées au passage donc ça devient dangereux, heureusement que j’ai mes réflexes d’être toujours attachés pendant mes déplacements.

J’ai passé 12 heures à tout déblayer. Par contre j’ai finalement trouvé une solution pour bricoler un mât de fortune. J’ai un petit mât de 7 mètres et là il est canon ! Celui-ci au moins il ne tombera pas je pense ! J’ai pu envoyer mon tourmentin pour faire du nord au plus vite et me dégager de la zone des glaces vers laquelle je dérivais.

A titre perso c’est vraiment violent de tout gérer, j’étais complètement épuisé, ça demande d’aller chercher des ressources en soi qu’on ne soupçonne même pas…

Déjà la nuit précédente je ne dormais pas bien, peut-être comme un pressentiment, donc j’ai dû tenir depuis 48 heures sans dormir. J’ai juste dormi 2 heures pour garder ma lucidité et pouvoir gérer la crise.

Dans l’ordre il fallait sauver ma peau car j’étais quand-même à la dérive dans l’océan austral pas très loin des glaces donc ce n’est vraiment pas confortable psychologiquement.

Première punition : mon Vendée Globe est arrêté alors que tout se passait bien. J’aurais vraiment préféré que l’erreur vienne de moi en ratant un empannage, ou en faisant un mauvais choix de voile ou en étant trop offensif. Mais même pas. J’aurais préféré faire une erreur et l’assumer. Pourtant là j’avais les bonnes voiles adaptées au temps, j’étais sécu, je naviguais en bon marin, calme, comme il faut et c’est vraiment un coup du sort donc c’est vraiment très frustrant.

Deuxième punition : tout ce que j’ai dû endurer ces dernières heures, c’était parmi les pires heures de ma vie. Et ce n’est pas fini, j’ai réussi à monter mon gréement de fortune mais maintenant il faut rallier l’Australie qui est à 1000 milles…

Troisième punition : je vais me retrouver à Melbourne qui est aux antipodes de Lorient, et je ne suis pas sorti des galères logistiques…

Je suis désormais mobilisé pour rentrer mais ça ne va pas se faire dans la simplicité. Mais c’est aussi ce qu’on vient chercher dans le Vendée Globe : une aventure de mer et je peux vous dire que l’aventure continue vraiment ! Je suis sur un bateau blessé, peu manoeuvrant, j’avoue que ce n’est pas 100% sécu.

On entend parler des gréements de fortune, mais finalement quand on y est, qu’on se retrouve tout seul sur un bateau de 18 mètres et qu’il faut dégager le gréement, déplacer les voiles et faire ça dans les mers où j’étais, c’est pas rien. Je suis très fier d’avoir pu me remettre à faire route au Nord 15 heures après le fracas, en contrôlant mon bateau ; ce sont des petites étapes de satisfaction.

C’est sur que le Vendée Globe c’est mieux en course et de le boucler mais au final quand on regarde le parcours, ce qu’on vient chercher dans cette course c’est aussi le défi personnel et l’émotion. Et ces dernières heures à se retrouver dans une situation catastrophique sans avoir d’aide sont exactement dans le même état d’esprit.

Comble de la journée, à défaut de pouvoir allumer ses hydrogénérateurs par manque de vitesse, Stéphane a voulu enclencher son et l’alternateur a pris feu. Résultat : en plus d’avoir un bateau abimé isolé à 1000 milles des côtes, une fumée noire se dissipait dans son bateau.

Stéphane évolue à vitesse réduite vers l’Australie qu’il atteindra d’ici la fin de l’année à grands coups de patience. Il est pointé à 3,2 noeuds ce matin et un sentiment étrange règne à bord après avoir fait des moyennes de vitesse à plus de 15 noeuds dans tout l’océan indien… »

Source

Agence Mer & Media.

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