45 jours sous tension !

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Pendant que Paul Meilhat était rapatrié à Lorient après son accident sur la Transat Saint-Barth – Port-la-Forêt, son équipe engageait une incroyable course poursuite pour récupérer le monocoque à la dérive dans des conditions météo dantesques. Retour sur une odyssée qui s’est terminée près de six semaines plus tard avec le retour de SMA à son port d’attache, Port-la-Forêt. SMA, le monocoque de Paul Meilhat a été gruté le 2 février pour entrer en chantier dans les locaux de Mer Agitée afin d’être préparé pour la saison de courses 2016.

Quand tout bascule

Depuis plusieurs jours que le départ de la Saint-Barth – Port-la-Forêt a été donné, l’équipe SMA Course au large ne peut que constater que tout se passe comme prévu. Visiblement Paul est à l’aise, même si en cette veille de 14 décembre, il s’apprête à subir une importante dépression et des vents particulièrement violents.

« Paul avait fait ses choix de route, je pense qu’il était parfaitement lucide sur ce qui l’attendait, sachant qu’il y avait une grosse dépression qui le poursuivait. On est resté à Saint-Barth une journée après le départ de la course. Ensuite je suis rentré chez moi en Irlande et le 14 décembre, j’ai pris l’avion pour aller à Port-la-Forêt pour l’arrivée de la course. J’ai passé le relais de veille à Clément Rivé, le temps des 90 minutes de vol entre l’Irlande et Paris… à ce moment-là tout allait bien. Arrivé à Paris, j’ai joint Clément qui m’a immédiatement dit : « on a un problème ». J’ai réussi à avoir Paul au téléphone plusieurs fois et pour être franc, j’étais vraiment inquiet. Etant à Paris, je suis allé directement au siège de SMA pour qu’on puisse gérer ensemble cette situation de crise. On a donc contacté directement le MRCC* de Ponta Delgada qui a envoyé sur zone un patrouilleur de la Marine portugaise qui se situait dans le nord de l’île de Sao Miguel. Mais les conditions étaient vraiment mauvaises. On a beaucoup discuté avec Paul sur les conditions du sauvetage et je sentais pas mal d’angoisse chez lui, d’autant que l’hélicoptère ne pouvait pas décoller compte tenu des conditions météo. Le soir même, toute l’équipe SMA Course au large était à Paris pour partir le lendemain matin à la première heure vers Ponta Delgada. »

Dans le vif du sujet

Arrivée à Ponta Delgada après une escale à Lisbonne, l’équipe SMA Course au large se met en quête d’une embarcation adaptée malgré les conditions météo exécrables sur zone. Pendant ce temps, Paul est hélitreuillé et se trouve en sûreté à l’hôpital sur l’île de Terceira. Mais la récupération du bateau s’avère problématique.

« Quand on arrive, les conditions sont mauvaises. Dans un premier temps, l’équipe pensait pouvoir accueillir Paul à Ponta Delgada, mais l’hélico l’a emmené sur Terceira. On ne pouvait donc plus rien faire pour lui, il s’agissait maintenant de trouver un moyen de récupérer le bateau. Chez Mer Agitée, à Port-La-Forêt, Clément Rivé pouvait suivre la route du bateau grâce à la balise de positionnement de l’organisation. A partir de ces éléments et des fichiers météo, il a commencé à construire des modèles de prévision de dérive, pendant que l’on cherchait un bateau capable de partir à la rencontre du 60 pieds SMA. On a fait le tour de ce qui était sur zone et le résultat n’était pas encourageant. Les conditions météo étaient détestables, aucun bateau de pêche ne voulait sortir. Les remorqueurs portuaires n’ont pas le droit de sortir au-delà de quatre mètres de creux, alors qu’on avait bien six à huit mètres à ce moment-là. La seule option était un remorqueur de sauvetage hauturier grec de 60 mètres, avec un équipage russe, le Tsavliris Hellas en stand by permanent pour porter secours aux navires marchands.»

Première tentative

Finalement, l’équipe technique se met en route sur le remorqueur pour aller chercher le bateau SMA. Outre Marcus Hutchinson, quelques marins solides, Marc Liardet, le boat captain, sa sœur Anne Liardet, Jérôme Solem et Antoine Brunel sont là avec l’objectif d’embarquer à bord, de sécuriser le bateau et de convoyer SMA directement vers Port-la-Forêt.

« On avait imaginé que l’équipage pourrait embarquer sur le bateau et partirait directement pour la France. SMA dérivait depuis seulement deux jours, il ne devait pas y avoir de gros dégâts. Il a fallu faire le tour de Sao Miguel pour partir depuis le nord de l’île. De plus, avec le mauvais temps, le remorqueur n’était pas très rapide, et SMA continuait de dériver vers le nord. Au bout du compte, le différentiel de vitesse entre les deux bateaux n’était que de cinq à six nœuds. On est arrivé sur zone, le jeudi 17 décembre en fin d’après-midi. Le premier constat rassurant était que les calculs de dérive du bateau que l’on avait fait avec Clément étaient fiables. On avait une bonne idée du comportement de SMA suivant la direction du vent. Globalement, on a pu voir que le bateau dérivait dans le nord, ce qui n’était pas encourageant, car ça voulait dire que SMA ne se rapprochait pas des côtes européennes. Il est vite apparu qu’il était impossible d’aller à bord car mettre un semi-rigide à l’eau dans ces conditions était trop dangereux. Avec le remorqueur, on a dû faire demi-tour et laisser le bateau seul. On a aussi pu voir que la grand-voile était spontanément remontée le long du mât sur quelques mètres. Du coup, le bateau avançait avec l’étrave en avant, en bâbord amures, ce qui était bien car il y avait peu de risques que de l’eau entre dans le bateau sous la pression des vagues. Mais on craignait toujours le démâtage, d’autant que les mâts ne sont pas assurés sur les IMOCA. On a donc dû faire demi-tour. Sur la route du retour à Ponta Delgada, il y avait 60 nœuds de vent et 9 à 10 mètres de creux de face. Même sur un remorqueur de 60 mètres, c’était vraiment l’horreur. On s’est fait bien secouer avec, de plus, un moral bien bas. »

Nouvel essai au départ de l’Espagne

L’équipe touche donc terre après trois jours véritablement éprouvant. Pendant ce temps, l’équipe SMA Course au large a négocié une nouvelle solution de remorquage avec un bateau venant de Bayonne qui embarquerait l’équipage à Gijón. Commence alors une course-poursuite en avion, puis en minibus pour être à l’heure à Gijón. Mais une mauvaise surprise les attend…

« Le remorqueur était parti de Bayonne le samedi 19 décembre, mais il n’a pas pu entrer à Gijón le dimanche car il n’avait pas l’accord des autorités portuaires. Le remorqueur a donc décidé d’aller à La Corogne pour nous embarquer le lundi.

Quand l’équipe, renforcée par la présence de Damien Guillou, rejoint enfin le remorqueur le lundi 21 décembre après pas mal de péripéties, les conditions météo à venir sont vraiment mauvaises et on calcule qu’il nous faudra au moins trois jours de mer pour atteindre SMA qui est à plus de 700 milles. Après une visite à bord du remorqueur, il s’avère que ce bateau n’est pas le plus adapté pour la mission, d’autant qu’il transporte à son bord des containers de la Marine nationale qui l’alourdissent énormément. Dernière contrariété, on ne pouvait pas partir avant mardi car il fallait faire le plein du bateau et les pompes ne fonctionnent pas à La Corogne le lundi (car c’est le jour où l’on fixe les prix du fuel pour la semaine). On savait qu’à partir du jeudi une très grosse dépression était attendue sur l’ouest du golfe de Gascogne avec de nouveau du très mauvais temps : on a fait l’évaluation de la situation et on est arrivé à la conclusion que l’on avait toutes les chances de se trouver dans le même cas de figure qu’au large des Açores et d’approcher le bateau sans pouvoir monter à bord. On a donc pris la décision de rapatrier toute l’équipe en France. »

Deux équipes en chasse

Pendant ce temps, il est décidé de mobiliser une seconde équipe sous la conduite d’Adrien Hardy. Partie le 23 décembre du Crouesty, cette nouvelle équipe de quatre marins doit renoncer à 200 milles de SMA, compte tenu des conditions météo. Adrien rentre à Brest pendant qu’une nouvelle réflexion stratégique se met en place.

« En rentrant de La Corogne, j’ai réfléchi à un point qui m’avait échappé jusque-là. A ce moment, SMA est à 700 milles des côtes d’Espagne, il est aussi à 700 milles des côtes irlandaises. Dérivant vers le nord, il va se rapprocher inexorablement de l’Irlande dans les jours à venir. C’est donc peut-être de là qu’il faut amorcer une nouvelle tentative car il sera plus simple d’aller à la rencontre de SMA que de le poursuivre ou d’essayer de l’atteindre alors qu’il est très éloigné des côtes. Clément (Rivé) était de plus en plus à même de faire des prévisions à long terme de la dérive du bateau. Quels étaient les risques ? Le bateau semblait bien se comporter depuis le début, avec des vitesses de dérive constantes. A 700 milles de la côte, le trafic maritime est faible et les risques de prise de mer quasi inexistants. De plus, en période de fête, nombre d’équipages de bateaux de pêche sont à terre. Enfin, l’AIS de SMA continuait de fonctionner : un cargo qui serait passé à proximité avait tous les moyens de l’éviter. Compte tenu de tous ces éléments, on s’est dit qu’il valait mieux laisser tout le monde se reposer pour être d’attaque dès que l’opportunité se présenterait. Revenu en Irlande pour les fêtes, j’ai donc pris contact avec une compagnie de remorquage irlandaise, Atlantic Towage, qui avait un remorqueur, l’Ocean Bank, basé dans le sud-ouest de l’Irlande. Le 28 décembre, on s’est réuni en conférence téléphonique avec Adrien Hardy, l’assureur et Michel Desjoyeaux. On est tombé d’accord sur le fait que le prochain point de départ serait l’Irlande. Adrien est donc monté à la voile sur Crookhaven, qui est un excellent abri. On a décidé malgré tout de mettre toutes les chances de notre côté en affrétant parallèlement le remorqueur d’Atlantic Towage. On avait prévu que SMA serait aux alentours de 200 milles de l’Irlande, le 2 ou 3 janvier. On avait donc deux projets parés à partir depuis l’Irlande. »

Une fenêtre météo, enfin

Les deux équipes sont prêtes. D’une part, Adrien Hardy et son équipage sont à Crookhaven, de l’autre, l’équipe de SMA Course au large rejoint Fenit où est basé l’Ocean Bank. Chacun guette le moment de partir. Les informations météo sont partagées et tout le monde tombe d’accord sur un départ d’Irlande aux alentours du 3 janvier.

« A ce moment, on ne savait pas dans quel état était le bateau. On a donc prévu de faire un remorquage. Le bateau avait fait plus de 1000 milles en dérivant. On savait qu’il ne serait plus possible de le convoyer à la voile. L’objectif était maintenant de ramener le bateau vers l’Irlande où une rapide remise en état de SMA serait programmée avant son convoyage vers la France. Ce qui était rassurant, c’était de constater que l’on avait affaire à deux équipages à la fois très professionnels et complètement motivés par l’opération. On a juste eu peur, à un moment que le mât soit tombé : tout à coup, le bateau a cessé de dériver comme prévu. Du coup, ça rendait le calcul de sa position à venir plus difficile. Et si jamais, le bateau avait démâté, cela signifiait qu’il y avait des dégâts potentiels importants. Dimanche matin, on a vu que le bateau avançait de nouveau, le mât était donc toujours debout. Il fallait partir le dimanche soir ou le lundi pour être sur zone, car c’était vraiment lors de la journée du 5 janvier qu’il fallait intervenir, avant un nouveau coup de vent prévu le lendemain. L’équipe du Galéa est arrivée sur zone le 4 au soir et Adrien Hardy a réussi à monter à bord de SMA. Le bateau était à 170 milles de la pointe sud-ouest de l’Irlande. L’Ocean Bank avec l’équipe SMA Course au large est arrivé sur zone quelques heures plus tard. On a eu un contact avec l’équipe d’Adrien qui nous a confirmé qu’il était à bord. On a pu voir que le bateau avait son gréement, mais toutes les voiles étaient déchirées. »

Retour à terre

Adrien Hardy, en tant que sauveteur du bateau a tenu à mener l’opération jusqu’au bout. L’équipage du remorqueur est resté à ses côtés en stand by au cas où le besoin d’assistance se ferait sentir.

« Le mardi 5 janvier, le bateau n’était plus qu’à 120 milles de la côte. Il avait une assiette étrave en l’air et arrière sous l’eau. Un deuxième équipier du Galéa, le Néo-Zélandais Chris Sayer est venu à bord de SMA avec une pompe. Je dois dire qu’on a assisté à une véritable démonstration de bon sens marin. Sincèrement, je n’ai que du respect pour le comportement d’Adrien et de son équipe. Même l’équipage d’Ocean Bank, pourtant très expérimenté, a tiré son chapeau à l’équipe d’Adrien. Au bout de deux ou trois heures, le bateau a retrouvé ses lignes. Adrien a réussi à monter le tourmentin en gréement de fortune ce qui a permis de gagner 1,5 nœud. Ils ont continué jusqu’à une vingtaine de milles de la côte où leur bateau Le Galéa a pris la remorque. A Crookhaven, il y a quelques coffres très bien abrités des vents d’ouest à sud. On a donc débarqué sur le quai, tout était désert, il était neuf heures du matin. Tout à coup, la porte du pub O’Sullivans s’est ouverte et le patron nous a dit : « Bonjour Messieurs, voulez-vous un café ? » en français ! C’était vraiment surprenant en plein hiver, dans ce village perdu à la pointe de l’Irlande, de se faire accueillir ainsi. Je suis monté dans le semi-rigide de Galéa avec Marc Liardet. Adrien et Chris étaient toujours à bord de SMA, en combinaison TPS. Ils nous ont fait la visite du bateau, c’était assez étonnant. On a constaté qu’il y avait pas mal de boulot pour mettre de l’ordre. Le gréement avait été bien sécurisé, c’était maintenant à notre équipe de prendre la main. En tous cas, le bateau était à bon port. On a eu affaire à deux équipes très compétentes, merci à eux. »

Organiser le retour

Place maintenant à l’équipe de SMA. Après avoir sécurisé le gréement, l’équipage dépêché sur place décide de déplacer le monocoque jusqu’au port de Kinsale, distant de quarante milles de Crookhaven. Sur place, au ponton, ils seront dans de meilleures conditions pour une remise en état provisoire du bateau, avant le convoyage retour vers la France.
C’est encore une nouvelle période qui s’ouvre. Sur place, l’équipe technique s’active pour faire que le bateau puisse traverser sans encombre la mer d’Irlande et la Manche sur une distance de 350 milles. C’est finalement le 27 janvier que SMA peut larguer les amarres pour rejoindre son port d’attache. L’équipage parvient à Port-La-Forêt le 28 dans la nuit, après un convoyage de 36 heures. Le 29 janvier au matin, SMA retrouve sa place au ponton des IMOCA. Le retour du monocoque au bercail marque un point final à l’odyssée débutée dans la douleur un soir de décembre au large de l’archipel des Açores. Avec la rentrée du bateau en chantier le 2 février, c’est une autre course contre la montre qui commence, autrement plus familière à l’équipe SMA Course au large que celle qui vient d’être vécue durant plus de 45 jours. Le bateau va maintenant pouvoir être préparé au programme de courses qui l’attend en 2016, avec en point de mire le Vendée Globe, en novembre, aux Sables d’Olonne.

*MRCC : Marine Rescue Coordination Center

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Agence Blanco Negro

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Mis à l'eau le: 5 février 2016

Matossé sous: Course au Large, IMOCA, Transat B to B

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