Un Tour du Monde vu par Jean-Yves Bernot

© Eloi Stichelbaut/Spindrift Racing

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Jean-Yves Bernot décrypte la tentative de Tour du Monde de Spindrift Racing. Jour après jour, océan après océan, les hommes de Yann Guichard se sont confrontés aux éléments… pas toujours conciliants.

Le départ : tout schuss

Lorsque le vent de Nord fort s’installe au large de la Bretagne en cette fin du mois de novembre, il n’y a pas à hésiter : on part. Les occasions de filer vers le Sud sont de plus en plus rares au fur et à mesure que l’automne avance, alors on dégage. C’est une bonne idée : tout schuss jusque l’équateur qui est atteint en 4 j 21 h 29 minutes (nouveau record Ouessant-équateur pour Spindrift 2).

Le Pot-au-Noir ne pose de problèmes particuliers : un simple ralentissement entre des bandes nuageuses actives.

L’Atlantique sud : sauter dans le train

Le passage dans l’Hémisphère Sud annonce une situation compliquée :

Un vieux front froid stationne au large du Brésil et dégrade le flux d’alizé sur tout l’atlantique. On le traversera ‘au moins mal’ en essayant de ne pas y passer trop de temps.
L’anticyclone d’Atlantique Sud (aussi nommé anticyclone de Sainte-Hélène) est bien encombrant et s’étale bien sud (40°S). Il va falloir trouver une combine pour éviter de faire un grand tour pénalisant.
On prend les opérations dans l’ordre :

Le front froid pourri : c’est du travail à très court terme. On utilise intensément les photos satellites, les observations (rares dans cette zone), les données des diffusiomètres embarqués sur les satellites météorologiques.

Trouver une dépression qui va nous propulser vers l’Atlantique austral en écartant l’anticyclone : c’est un problème de dynamique à moyen terme. Si on se place devant le front : ‘banco’ jusque la longitude de Cape Town. Si on se rate : on est parti pour un grand tour dans le Sud de l’Atlantique.

Alors on joue avec les simulations de déplacement de la dépression, les prévisions de performance du bateau pour savoir si on réussit à sauter dans le train on non. On fait des tas de jolis dessins, on échange des tonnes de messages avec le bateau. On soupèse, on simule. Chaque nouvelle information météo apporte son lot d’interprétations.

On reprend les réflexes de surfeur : se placer devant le front et on file avec, en essayant de jouer avec la courbure de la vague :

Et ça marche : Spindrift 2 atteint l’entrée de l’Océan Indien dans les temps du record, toujours poussé par le front froid qui commence à s’essouffler.

L’Océan Indien : la dorsale pénible.

Il est temps de changer de système pour traverser l’Océan Indien. Dans un premier temps, une régate sauvage avec une dépression partie de Madagascar pour visiter les cinquantièmes degrés Sud.

Spindrift 2 s’en sort bien mais ce n’est que pour être confronté à un casse-tête étonnant : les bateaux modernes vont trop vite pour l’océan austral. Un point d’explication.

Dans l’océan austral, les dépressions, se déplacent grossièrement d’Ouest en Est à environ 25 nœuds, en une ronde incessante. Elles sont séparées par des dorsales peu ventées.

Dans les temps anciens, ces systèmes météo dépassaient les bateaux qui pouvaient en profiter un certain temps avant de se retrouver lâchés, attendant le suivant.

Les multicoques modernes dépassent les dépressions et butent dans les zones de liaison formées par des dorsales sans vent.

Situation paradoxale : on utilise le plein potentiel du bateau pendant une journée pour finalement s’écraser dans la dorsale sans vent à l’Est de la dépression. On s’arrête, la dépression comble son retard, le vent revient et on recommence.

Rien ne sert de courir, etc… On est d’accord mais on peut trouver frustrant de traverser tout l’Océan Indien en ‘mode accordéon’.

Le Pacifique : anticyclone ou glaces

La dorsale ayant enfin lâché Spindrift 2, il aborde la Nouvelle–Zélande en jouant avec les dépressions locales. On se prépare à la traversée du Grand Océan, morceau de bravoure d’un tour du monde à la voile.

Le pacifique pose un problème particulier cette année. Il a décidé de mériter temporairement son nom et d’installer un bel anticyclone entre 30°S et 60°S. Joli cadeau empoisonné : pour en faire le tour, il faut s’aventurer dans les zones peuplées de glaces dérivantes et icebergs qui transforment la route en loterie imbécile.

Au choix : les calmes ou la glace. Après de nombreuses hésitations, prises de tête diverses, consultation des informations de glaces envoyées par CLS, on essaie de se faufiler dans l’anticyclone en profitant de ses faiblesses passagères.

La récompense arrive enfin le 19 décembre sous forme d’un joli flux de Sud-Ouest bien frais : 25-30 nœuds avec des grains de neige. L’océan austral comme on le rêve.

On peut même se faire plaisir le 20 décembre en jouant astucieusement une petite dépression secondaire qui propulsera Spindrift 2 au cap Horn en avance sur le temps du record.

L’Atlantique sud : long…

Le passage du cap Horn le 22 décembre marque le retour à la civilisation et aussi le retour aux stratégies agressives liées au temps fortement variable dans l’Atlantique Sud-Ouest.

L’anticyclone d’Atlantique Sud étant toujours aussi solide, l’idée de base est d’utiliser les dépressions australes pour monter le plus rapidement possible vers 40°S puis de se faufiler entre l’anticyclone et la côte brésilienne où il se passe toujours quelque chose : tout est affaire de timing serré.

L’affaire est bien engagée jusqu’à ce qu’un problème sur le mat, le 23 décembre, impose de se dérouter le temps d’une délicate réparation menée avec brio par l’équipage. Stratégiquement parlant, le résultat est moins enthousiasmant : on a quitté le vent fort de Sud Ouest qui menait jusqu’au large de Buenos-Aires et il faut maintenant subir les avanies des dépressions orageuses, anticyclones migrateurs qui vont décider de notre sort : on n’a plus la main.

Un bord de prés de 1 000 milles par 25-30 nœuds de vent et une mer formée au large du Brésil donnera une autre idée du pays de la Samba. L’alizé d’Atlantique Sud orienté au Sud-Est remet tout le monde de bonne humeur avant la nouvelle année. Puis le Pot-au-Noir a la bonne idée de se faire discret en ralentissant à peine le bateau.

L’Atlantique nord : l’anticyclone, encore…

Comme toujours en régate : « Il n’y a que le premier pas qui coûte et le dernier qui compte ». Dès le Nord de 20°S, on fait tourner les prévisions et simulations à long terme pour tester l’humeur de l’Atlantique Nord en ce début 2016. Le résultat n’est guère brillant : l’anticyclone est solide, trop solide. Il s’étale sur toute la largeur de l’Océan. A peine peut-on espérer qu’un front froid agressif creuse une faille dans laquelle on pourra se glisser.

L’anticyclone têtu nous a renvoyé à une prochaine tentative. Il ne reste plus qu’à ramener bateau et équipage en bonne forme à travers les dépressions Atlantique nerveuses.

Source

Spindrift racing

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