Symphonie en lutte majeure

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© Christophe Breschi

A quelques heures de l’arrivée des deux premiers Class40 à Itajaí, rien n’est encore joué entre les duellistes qui ne sont séparés que de quelques milles. Or si la brise de nord-est était encore bien établie ce mercredi après-midi, elle devait s’effondrer dans la soirée brésilienne lorsque Le Conservateur et VandB vont s’approcher des côtes ! La victoire dans la Class40 est donc en suspens…

Ils ont révisé toutes leurs gammes depuis le coup de canon en vent mineur du Havre ! Car les instruments étaient restés sur le pupitre jusqu’à Étretat, le temps que le chef d’orchestre entame le premier mouvement, un adagio normand, au large de la presqu’île du Cotentin. Les interprètes pouvaient alors choisir leur tempo, les uns jouant une gigue irlandaise qui pour certains s’arrêtait brutalement (Team Concise), tandis que d’autres (Solidaires en peloton ARSEP) faisaient le tour de la chapelle, quand le chœur de la flotte jouait plutôt la percussion, enchaînant trois dépressions pour sortir de la fosse du golfe de Gascogne et retrouver des accords moins baroques…

L’impromptu du Pot au Noir

Et quand les champs de vent s’ouvrirent aux Canaries, les meneurs ne formaient plus qu’un quintette dirigé par le soliste Le Conservateur, avec les seconds violons dans la mouvance : VandB, Solidaires en Peloton ARSEP, Carac-Advanced Energies, TeamWork40. Mais voilà que le compositeur vélique avait inscrit dans la partition, une suspension passagère… Un rubato imprévu scindait l’ensemble en plusieurs groupes qui se dispersaient au gré des harmoniques alizéennes. Le lieder avait accroché la bonne note et pouvait s’engager pianissimo dans la Zone de Convergence Inter Tropicale ! Les duettistes Yannick Bestaven et Pierre Brasseur semblaient avoir achevé leur symphonie… Avec plus d’une mesure d’avance : 300 milles de marge !

Mais voilà que le conducteur se remit à l’étude : en un tiers de temps, il n’y avait plus de pulsation au cœur de ce magma informe et infâme, et l’harmonie se faisait conceptuelle ! Tel un métronome, le balancier revenait en faveur des poursuivants : le bémol n’était alors plus que d’une trentaine de milles… Carac-Advanced Energies caracolait en queue de ce trio, VandB jouait les intermédiaires et Le Conservateur ne conservait qu’une croche d’avance. Le deuxième mouvement, une longue mélodie de 2 000 milles vers le triangle brésilien du Cabo Frio, renvoyait dans sa loge le duo Louis Duc et Christophe Lebas, mais compressait encore les écarts entre les deux leaders.

Accorder ses violons

Et quand il fallut se synchroniser pour ce passage délicat au milieu des plateformes de forage, le timbre prit une autre dimension : il ne s’agissait plus seulement d’être dans le tempo vélique, mais surtout d’être en accord avec la modulation de l’autre duettiste ! Contrôler ses performances, surveiller sa trajectoire, suivre ses interprétations météorologiques. Et de fait, l’un préférait être dans le vent quand l’autre jouait la corde : Yannick Bestaven et Pierre Brasseur optaient pour un couplet méridional ; Maxime Sorel et Samuel Manuard pour une mélodie septentrionale… Avec une altération d’à peine dix milles !

Alors quel sera le final ? Car le contrepoint était toujours aussi réduit à moins de cinquante milles de l’arrivée… Avec un instrument à vent qui s’essoufflait et qui pourrait même quasiment disparaître à l’entrée de la baie d’Itajaí. Moins de dix nœuds dans l’après-midi brésilienne pour un peu plus que rien dans la soirée : la programmation n’est pas folichonne et la fin du concert n’est pas encore écrite. Entre 22h00 ce jeudi et 4h00 ce vendredi ! De quoi prolonger l’entracte à terre mais pas la sarabande en mer. Car il n’y a pas si longtemps, les deux derniers monocoques IMOCA avaient conclu leur périple de 5 400 milles avec seulement 150 mètres d’écart…

Sonate et concerto

Et si les duettistes n’ont pas encore achevé leur partition, les autres interprètes ont encore quelques transcriptions à composer : à une journée de mer, Louis Duc et Christophe Lebas (Carac-Advanced Energies) filent aussi vers le but à bonne allure au cœur du golfe de Rio quand Thibaut Vauchel-Camus et Victorien Erussard (Solidaires en peloton ARSEP) abordent le front orageux du cap Frio. Et ils doivent se méfier de leurs arrières car Bertrand Delesne et Nils Palmieri (TeamWork40) sont en embuscade à moins de cent milles. Ce virage brésilien au milieu des plateformes de forage n’est pas le plus aisé à interpréter ! Car c’est en fait, une sorte de Pot au Noir tropical…

Or il semble se déliter, favorisant ceux de derrière qui devraient enchaîner alizés de nord-est depuis Salvador de Bahia et bordure dépressionnaire dans le golfe de Rio… Sans l’énorme bascule qui a relancé le match en tête de course. Et cela est une bonne nouvelle pour les autres Class40 : les Brésiliens Eduardo Penido et Renato Araujo (Zetra) mènent toujours le groupe des trois d’une bonne soixantaine de milles. Et au sein de ce trio, Manuel Cousin et Gérald Quéouron (Groupe Sétin) semblent légèrement plus rapides que Phillippa Hutton-Squire et Pip Hare (Concise 2) et Valentin Lemarchand et Arthur Hubeert (SNBSM Espoir Compétition) qui glissent dans un bon alizé de nord-est.

Enfin, Alan Roura et Juliette Pêtrès (Club 103) vont apercevoir les côtes brésiliennes dès jeudi après-midi : le couple pourra alors débrider légèrement les écoutes et accélérer pour attraper l’autoroute vers le Cabo Frio. Quant à Thibault Hector et Morgan Launay (Creno Moustache Solidaire), ils ont franchi la ligne de séparation des hémisphères ce mercredi vers 16h00 : désormais la tête à l’envers, il ne leur restait plus que 1 900 milles à parcourir jusqu’à Itajaí, terme de la Transat Jacques Vabre. Ce qui signifie aussi qu’ils doivent mettre moins de dix jours pour être classés, selon les règles de course. Or cela ne fait que 190 milles à aligner quotidiennement, ce qui est tout à fait dans les cordes d’un Class40 !

Ils ont dit…

Maxime Sorel, skipper de VandB (Class40)

« On a le couteau entre les dents, on ne lâche rien, on essaye d’aller le plus vite possible. On a eu beaucoup de vent la nuit dernière, entre 20 et 25 nœuds. Le système météo semble très compliqué sur l’arrivée. Le vent va mollir à partir du début de soirée à 5-6 nœuds et ensuite ça bascule avec 2-3 nœuds de vent… La tactique est compliquée. On peut finir au coude à coude avec Le Conservateur ! Si on regarde les routages, on arrive vers 8h00 TU jeudi… Hier on a empanné un peu plus tôt que lui et on a réussi notre coup : on est à son vent, dans la position qui nous paraît la plus favorable… »

Pierre Brasseur, co-skipper de Le Conservateur (Class40)

« C’est compliqué, on ne sait pas trop ce qui va se passer au niveau du vent ces prochaines heures, alors on met du charbon ! On a eu un vent plus fort que prévu qui devrait mollir mais pour l’instant, c’est difficile de dire si on a une meilleure position que VandB. On est un peu stressé, il revient toujours sur nous, même si on fait le maximum ! On a un ris dans la grand-voile et petit spi, mais ça commence à mollir… C’est ciel gris et crachin, c’est ambiance automnale près de chez nous. On est au taquet, il reste cent milles… On est vigilant. On pense arriver en fin de soirée ce jeudi. »

Thibaut Vauchel-Camus, skipper de Solidaires en Peloton ARSEP (Class40)

« La dernière petite épreuve, c’est un peu casse-pieds : il n’y a pas de cohérence entre les prévisions et la réalité. On tire tellement de bords que l’on n’a pas l’impression de se rapprocher. On est bâbord et on se bagarre avec les rotations de vent, à 130 milles de Cabo Frio. Nous sommes sous grand spi et grand-voile haute avec la trinquette : on est à bloc pour faire avancer le bateau. Le ciel est très chargé, on a du mal à comprendre ce qui se passe, ce n’est pas la partie la plus facile. On n’arrive pas à aller dans le sens que l’on veut. »

Nils Palmieri, co-skipper de TeamWork 40 (Class40)

« On a toujours du vent de Nord, 15-20 nœuds : on se tire la bourre avec Solidaires en peloton. Ça avance comme on veut. Il y a un petit quelque chose à jouer avant l’arrivée, car il y a un petit front à traverser. On ne lâche rien, on est toujours à fond sur la vitesse du bateau. La fatigue est un peu là mais on est en bonne forme et on a hâte d’arriver : ça fera bizarre de poser le pied à terre. On a encore de quoi manger mais le petit déjeuner de samedi risque d’être du parmesan ou du beef ! On ne sait pas trop quand nous allons arriver : entre vendredi et samedi… »

Source

Soazig Guého

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