La distance ou le manque de distance

© Yann Riou/Dongfeng Race Team/Volvo Ocean Race

Les yeux fatigués des navigateurs scrutent les écrans de l’ordinateur. Reprendre un fichier, décortiquer les données, revoir la stratégie… Cela fait maintenant cinq jours qu’ils analysent leurs performances, essayent d’anticiper le moindre changement de vent. Depuis leur départ d’Alicante, les équipages ont dû gérer des conditions très variables en force comme en direction.

Mais un autre facteur rend ce début de course particulièrement difficile. De nombreuses photos reçues du bord montrent les équipiers jumelles en main. Car la monotypie change fondamentalement la physionomie de ce tour du monde. Les bateaux naviguent constamment bord à bord. C’est une Solitaire du Figaro à l’échelle de la planète dans laquelle sont engagés les sept bateaux de la Volvo Ocean Race.

Passionnant, forcément, mais usant nerveusement. Ils n’ont encore effectué que 15% de la route qui les mène vers le Cap. Le chemin est encore long et les leaders risquent de changer de nombreuses fois avant l’arrivée en Afrique du Sud. Cet après-midi, c’est l’équipage de Dongfeng mené par Charles Caudrelier qui menait la flotte. Les filles de Team SCA ferment la marche 16 milles plus loin.

La notion de distance prend différentes formes. L’écart qui les sépare en latéral peut être l’équivalent d’un cheveu à l’échelle de l’océan Atlantique.

La distance, c’est aussi la route que les équipages doivent parcourir jusqu’au prochain way point de Fernando de Noronha, archipel situé à l’est des côtes brésiliennes. Ce sera le dernier point de passage avant le run final ver Le Cap.

La distance, c’est également ce qui les sépare encore des élusifs alizés, situés bien plus sud qu’habituellement en cette période. Trouver enfin ces vents qui soufflent entre 20 et 25 nœuds donnera un sacré coup de mains aux équipages fatigués par ces premières journées de course intense et cette brise trop légère.

La distance,ou plutôt le manque de distance, c’est aussi le manque d’espace à bord des Volvo Ocean65.« Nous sommes neuf dans un tout petit espace avec toutes nos affaires, nos odeurs et nos ronflements,» écrit Francisco Vignale, à bord de MAPFRE.

Mais principalement, la distance sur cette course est justement le faible écart qu’il y a entre les bateaux. Et forcément, dans ce contexte, c’est le mental qui entre en jeu. « Empannage pour Abu Dhabi!» crie avec force Pascal Bidégorry.
Tout est dit ! On comprend que la guerre qui se joue sur l’Atlantique est une guerre « à vue ».
« Vous voyez nos feux, on voit aussi vos feux. » « Vous empannez, on empanne aussi. ». Dans ce contexte, les hommes dorment peu, le rythme est relevé, la pression est à son comble.

C’est le genre de compétition qui se joue habituellement sur des formats courts. C’est une course In-Port – qui va durer neuf mois. Un portrait de Ian Walker pris hier par Matt Knighton, le reporter embarqué d’Abu Dhabi, symbolisait à lui seul la tension et l’attention permanentes que nécessite ce match race océanique.

« C’est vraiment difficile de décider ce qu’il faut faire,» reconnait Nicolas Lunven le navigateur de MAPFRE. « On a deux bateaux à côté de nous et un autre devant. La moindre erreur te fait perdre beaucoup de terrain. L’objectif est donc clair : faire moins d’erreurs que les autres.»

« On essaye de naviguer le plus vite possible, 24 heures sur 24 et sept jours sur sept,» explique Annie Lush de Team SCA, pendant un court moment de repos. L’équipage féminin était le premier à passer Gibraltar. Depuis, les filles ont occupé différentes places dans le classement et même la dernière.

« L’idée était d’être sur le pont pendant quatre heures puis de se reposer quatre heures. Mais depuis le début, on n’a pas souvent été off pendant quatre heures !»

Les équipages ont souvent tout le monde sur le pont pour espérer lutter contre leurs adversaires.

« J’ai été réveillé quatre fois pendant mon quart de repos,» bougonne Mark Towill de Team Alvimedica.

Cette bataille à couteaux tirés permet à tous d’apprendre. Mêmes les équipiers les plus expérimentés ne cachent pas qu’ils ne cessent de tirer les leçons de ces phases de contact extrêmes.

« Naviguer ensemble dans les mêmes conditions est inestimable en termes de connaissances, » explique Simon Fisher à bord d’Abu Dhabi Ocean Racing.

« C’est l’opportunité rêvée pour comprendre ce qui fait avancer vite ces bateaux.»

Cette nuit, les bateaux devraient commencer à toucher les alizés de plus en plus soutenus. Le vent tournera au nord est progressivement pour permettre enfin à la flotte d’entamer sa grande traversée et son approche d’un nouveau passage à niveau : le pot au noir.

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