Ian Lipinski raconte sa fortune de mer

Dès la mise à jour de la cartographie ce matin, l’information tombe, l’un des favoris de la course de la catégorie Série, Ian Lipinski, a subi une fortune de mer en fin de la nuit. Balise de détresse déclenchée, il sera récupéré par un cargo. Voici le récit qu’il a envoyé à ses proches ce soir.

Enfin la première nuit de la Mini Transat entre Sada et Pointe-à-Pitre. L’impatience est forte pour découvrir la mise à jour du classement à 8h00. Ce jeudi matin l’inquiétude vient rapidement en regardant la cartographie : un Mini est à une vitesse trop faible pour que cela ne cache pas une mauvaise nouvelle. Il s’agit de Pas de futur sans numérique, le Pogo 2 n°539, mené par Ian Lipinski. Les nouvelles officielles parlent d’un démâtage et de la présence d’Eric Cochet, skipper d’Abers & Co, au côté de Ian pour faire le lien avec le bateau accompagnateur et donc la direction de course. A la mi-journée, l’organisation annonce que le skipper du Mini 539 a été récupéré sain et sauf par un cargo, en route pour Gibraltar. Puis, Ian a joint ses proches par téléphone, qui nous transmettent dans l’après-midi un peu plus d’informations sur sa fortune de mer via la page facebook. Son père Marc Lipinski lui a parlé : pour l’instant c’est l’abattement qui domine chez Ian. Le skipper basé à Lorient n’a en Mini connu aucun abandon,et depuis qu’il navigue son son Pogo 2 Kalonig, il a remporté en juin dernier le Mini Fastnet, fait un podium sur Les Sables-Les Açores-Les Sables et sur la Demi-Clé. Il était donc logiquement classé parmi les favoris. Alors que le moment du convoyage se rapprochait, lors d’un dernier entraînement nocturne, Pas de futur sans numérique avait connu une collision avec un pêcheur, que le skipper avait plutôt attribué à un manque de vigilance de sa part. Avant le départ, il avait évoqué le fait que ce qu’il appréhendait c’était de se retrouver face à une grosse avarie à un moment où il serait isolé. Pendant la période d’attente à Douarnenez, il n’était pas vraiment rentré chez lui, pourtant à moins d’une heure de là, pour garder un œil sur son Mini.

Ian aime écrire, et c’est assez vite qu’il a pris un clavier pour raconter cette mésaventure à ses proches.

J’étais trois ris GV un ris solent toute la nuit. La mer était mauvaise mais sans plus. J’ai eu un premier avertissement hier soir en dévalant une vague plus raide que les autres. Résultat j’enfourne à pic. Tous les bidons matossés à l’arrière, je les retrouvai contre la crash box ! Le bateau planté à la verticale et retombé sur le côté. Je me fais éjecter de la barre et retombe dans l’eau sous le vent dans les filières… Ça va encore.

Mais en fin de nuit, après une sieste de dix minutes, alors que j’ouvre la porte pour sortir dehors, je sens le bateau partir en surf très rapide. J’ai juste le temps de me tenir fermement à l’ouverture de la porte quand en une seconde pas plus, le bateau se retrouve sur le toit. L’eau a envahi instantanément tout l’intérieur. Il me reste peut-être 50 centimètres de hauteur d’air. Tout à l’intérieur flotte et se ballotte. Il fait tout noir… et le bateau reste à l’envers, stable comme un vulgaire laser chapeauté ! Je n’ai pas vraiment paniqué, mais me suis dit très vite que la situation n’était pas terrible. Pas de VHF, pas de possibilité raisonnable de sortir, plus de courant à l’intérieur… et le bateau qui ne se met toujours pas à l’endroit. Je me dis que l’eau est froide et qu’il ne faudrait pas que cela dure trop longtemps. Rapidement je pense que je ne m’en sortirais pas tout seul et décide en cinq minutes de déclencher l’EPIRB (balise de détresse, ndlr). Il me faut un peu de temps pour la trouver car après ce rodéo et dans le noir, j’ai un peu perdu mes repères dans le bateau! Puis j’enfile la TPS (combinaison de survie, équipement de sécurité obligatoire, ndlr) qui me réchauffe. Je pense être resté 45 minutes à une heure à l’envers.

Enfin le bateau se retourne à l’endroit. Je sors la VHF portable du bidon sécu et parviens à joindre Cocoche (Eric Cochet, ndlr), le 832. Je l’entends qui transmet au bateau accompagnateur, il me propose de remonter au près pour venir à côté de moi. Je trouve ça déraisonnable et lui demande de continuer sa route car il ne pourrait rien faire. Je déclenche ensuite la balise de la course en mode détresse. Je tire une fusée de détresse et lance un mayday sur le canal 16. Il fait toujours nuit et je ne me sens pas de sortir sur le pont pour libérer le gréement car je ne peux pas m’assurer au bateau sur la TPS. Le gréement cogne un peu la coque mais ça va à peu près. le jour se lève et je vois un cargo passer car je ne suis pas loin de l axe des DST. Je tire une nouvelle fusée de détresse… Pas de réaction du cargo.

Je n’arrive à joindre personne à la VHF portable. Je cherche mon passeport rangé dans un classeur avec un peu d’argent. Je le trouve et le glisse dans ma combinaison sèche ainsi que Panda ma peluche que j’avais emmené à bord pour la première fois! Coco ma deuxième peluche reste introuvable, mais ça m’occupe de le chercher… J’essaie de vider le bateau avec des seaux. C’est galère mais je fais un peu diminuer le niveau pendant un temps mais ça remonte rapidement. je ne me sens plus vraiment en danger, et je sais que maintenant les secours sont déclenchés. De toute façon je ne me sens pas de rentrer par mes propres moyens. Le bateau est détruit et plein d’eau, plus du tout d’électricité, les barres cassées…

Puis un cargo arrive, je l’aide à me localiser avec un feu à main. Il entame sa manœuvre mais se rate un peu. Il revient en marche arrière sur moi. Je crois que je vais passer sous la voûte arrière qui monte et descend de 4 mètres avec les vagues. Finalement un gros choc en retombant sur le pauvre 539, mais ça va je ne suis pas écrasé. La coque de Kalonig glisse sous le vent du cargo et l’équipage m’envoie des amarres que j’amarre comme je peux sur les winchs. Il va falloir monter sur l’échelle de corde que l’équipage place contre la coque du cargo. Ça monte ça descend : il faut trouver le bon timing pour sauter sur la corde dans le haut de la vague. Surtout ne pas tomber à l’eau. A la troisième tentative je réussis à monter sur la corde et 5 secondes après je suis sur le pont du cargo…

Le temps de regarder mon mini s’éloigner dans le sillage…

Le capitaine est adorable et aux petits soins avec moi. J’ai une cabine de luxe et je vais passer le Détroit de Gibraltar pour la première fois de ma vie !

Pas encore trop eu le temps de cogiter, j’ai dormi et mangé. Je prendrai ma revanche une prochaine fois.

Je ne pense pas vraiment avoir fait d’erreur, si ce n’est ne pas m’être abrité sous le vent de la côte… Mais alors je n’aurais pas fait la course !

Ian Lipinski doit être débarqué par le cargo le Mazouri, ce mardi 19 novembre à Sfax en Tunisie. Ses proches essayent de voir ce qu’ils peuvent mettre en œuvre pour récupérer le bateau, mais il y a peu d’espoir quant à son état.

Source

Pas de Futur Sans Numerique

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