Jour de folie à Saint-Tropez !

© Rolex / Carlo Borlenghi

Le jeudi, les Voiles de Saint-Tropez marchent un peu sur la tête ; pour célébrer l’esprit créateur de la régate originale vers la Nioulargue entre Ikra et Pride, les concurrents sont traditionnellement invités à se défier au gré de leurs affinités, en dehors de toute logique de jauge, pour le simple plaisir d’en découdre entre amis. La Club 55 Cup quant à elle reproduit à l’identique le défi de 1981,entre un Challenger et un Defender, avec pour objectif, la plage de Pampelonne et un déjeuner au Club 55. D’autres défis ont pris le pli au fil des ans, tous ancrés dans la philosophie si spécifique au yachting, de la compétition pour le plaisir. Le Millésime 2013 restera à de maints égards dans les esprits. D’abord à cause d’une météo peu coopérative, avec ce flux d’est très virulent, plus de 30 noeuds dans les rafales, qui a convaincu nombre de capitaines de rester au port. Mais il en fallait plus pour distraire les lauréats du défi Jean Laurain/Dick Jayson sur la Club 55 Cup. Bravant les 3 mètres de creux du golfe, le cotre aurique Moonbeam III et la goélette aurique Altaïr sortaient au plus fort du coup de vent et démontraient le temps d’un aller retour vers le fond e la baie, les extraordinaires qualités marines de leurs carènes centenaires. Bientôt imités par d’autres téméraires (Runa VI, Lelantina…), les deux protagonistes lançaient de la plus sportive des manières une journée de fête échevelée, scandée par le défilé carnavalesque des équipages, et une improbable régate de modèles réduits, parenthèse récréative du Trophée du Centenaire du yacht Club de Gstaad.

Moonbeam III et Altaïr sur la Club 55 Cup
Le défi commémoratif de la création en 1981 de la Nioulargue, ancêtre des Voiles, opposait aujourd’hui le tenant du titre, la goélette aurique Altaïr (Fife 1931), au cotre aurique Moonbeam of Fife (1903). La météo peu coopérative n’a pas rebuté les équipages soucieux de rendre hommage à l’acte fondateur de la Nioulargue. Les deux voiliers se sont élancés depuis le Portalet, en donnant eux-même le départ, bientôt rejoints par Lelantina, la goélette aurique signée John Alden (1937), et le vaillant Runa VI d’Yves Carcelle. Dans les creux et les rouleaux, et sous les rafales, ces voiliers assuraient le spectacle, louvoyant au près au milieu du golfe désert. Cette courageuse démonstration de l’esprit compétitif des équipages durait jusqu’à la mi-journée. De retour au port, les équipages montaient à bord de calèches hippomobiles pour rallier le Village des Voiles, d’où ils étaient emmenés vers le Club 55 où les attendait un déjeuner de l’amitié bien mérité.

Le Trophée des Centenaires

C’est donc aujourd’hui, journée des défis que devait se dérouler le Trophée du Centenaire organisé et patronné par le Yacht Club de Gstaad. La puissance du vent en aura décidé autrement. Mais il en faut plus pour briser l’inaltérable esprit d’initiatives et d’improvisation propres à la Nioulargue. Il y aura bien un lauréat 2013 au Trophée, puisque avec l’accord de tous les postulants, c’est à partir d’un calcul en temps compensé sur les deux courses courues depuis mardi, qu’un vainqueur sera désigné. Et pour que le désir de compétitions des protagonistes soit totalement satisfait, c’est par un match race de modèles réduits, disputé sur la piscine du château, que les équipage ont malgré tout pu en découdre. Des modèles réduits d’un mètre de long ont été acheminés en urgence de Gstaad, avec les ventilateurs ad hoc, et Bona Fide (Sibbick 1899) s’est imposé lors de la finale.

Le point chez les Classiques

Moonbeam IV en pôle
Le beau cotre aurique Moonbeam IV (Fife 1914) réussit un quasi sans faute dans cette première partie des Voiles 2013. Mickael Cléac’h signe en effet une victoire de manche et place son plan Fife sur la deuxième marche du podium de la course bien ventilée d’hier. L’autre Moonbeam, le III (Fife 1903), cinquième mardi s’est remarquablement repris pour l’emporter hier et prétendre lui aussi inscrire son nom au palmarès à la fin de la semaine. Mariska, le 15 m JI (Fife 1908) risque de regretter sa contre performance d’hier après un bon début. Les hommes d’Eduard Kessi qui réalisent une très belle saison au sein de la flotte des 15 m JI ont les moyens de se reprendre…

Chinook veut créer la surprise
Impressionnant cette saison, le nouveau venu « Forty » New-Yorkais Chinook (Herreshoff 1916) a déjà marqué Saint-Tropez de son empreinte. Premier mardi, il n’a cependant pu dans le vent forcissant d’hier annuler son handicap de rating vis à vis du véloce Nan (Fife 1896). La lutte au sein de ce spectaculaire groupe des voiliers auriques quasiment tous centenaires, est de toute beauté, avec Kelpie (Mylne 1903) et l’infatigable Oriole ((Hereshoff 1905) en embuscade.

Jeu ouvert chez les Epoque marconi
Ce groupe rassemble les plus beaux cotres bermudiens des années 30. Manitou, (Olin Stephens 1937) y fait merveille malgré la concurrence exacerbée des habitués des Voiles, The Blue Peter ((Mylne 1930), Eileen, (Anker 1938), hélas « blessée » hier avec la rupture de sa tête de mât, et l’étonnant 12 mJI Bermudien signé Clinton Crane Seven Seas of Porto.

Tigris rugit chez les « Petits auriques »
On attendait Runa VI, le cotre aurique superbement restauré à Brest par Yves Carcelle (Ronne 1918), mais malgré une seconde place mardi, c’est bien le plan Alfred Mylne de 1918, le cotre aurique Tigris qui brille cette semaine dans ce très compétitif groupe de « racers » auriques. La goélette Lelantina (Alden1937) a fait hier parler toute sa puissance, mais reste sous la menace des vénérables et vénérés anciens Marigold (Nicholson 1892), et Partridge (Beaver Wegg 1885).

8 m et Class Q
Un groupe intitulé Epoque Marconi rassemble une flotte aussi somptueuse que compétitive de voiliers gréés marconi d’une quinzaine de mètres hors tout, appartenant soit à la classe des métriques de 8 m, soit à la Class Q. On y attendait Jour de Fête cher à Bruno Troublé (Paine 1930), et l’attente n’est pas déçue puisque le Q boat Bermudien bagarre aux avant postes. Il va devoir batailler ferme face à un autre Q boat, Leonore (Anker 1925) très régulier sur les podium. Carron II, le 8 m JI à bord duquel officie le rusé et expérimenté Luc Poupon peut troubler la suprématie des Q…

Le point chez les Modernes
Il se remarque par son étincelante robe verte ; Inouï, le grand sloop signé Philippe Briand a survolé les débats hier mercredi, lors de la journée la plus ventée de la semaine, bouclant les 20 milles théorique du parcours avec plus de 4 minutes d’avance sur Firefly (Proto Hoek 2001), et 21 minutes sur le Superyacht irlandais Whisper (Reichel Pugh 2001)déclaré vainqueur en temps compensé. Superyachts et maxi yachts rivalisent d’élégance et de performance chez les IRC A, où l’on dénombre déjà autant de vainqueurs de manche que de courses parcourues ; C’est le Marten 72 Néerlandais Aragon (Reichel Pugh 2006) qui avait ouvert les débats lundi. L’autre proto Reichel Pugh italien My Song lui avait répondu mardi avant de rater sa course hier. InouÏ, Whisper et Firefly semblent en position idéale pour espérer l’emporter samedi.

Velsheda en tête de meute
Velsheda (Nicholson 1933) a pris hier un avantage en remportant sa deuxième victoire de manche dans le très exclusif groupe des ClassJ. Hanuman (Dijstra 2009) semble abonné à la seconde place avec 3 places de dauphin à son actif. Lionheart (Hoek 2010) alterne le bon et le moins bon et c’est à la régularité que se jouera la victoire dans ce groupe particulièrement spectaculaire.
Open season et J One au coude à coude chez les Wally
6 courses ont d’ores et déjà été validées chez les Wally, qui se régalent de petits parcours entre deux bouées du côté de Pampelonne, agrémentées de petits côtiers. Les deux Wally Cento Hamilton et Magic Carpet font merveille en temps réel, mais ce sont les « modestes » J One (77 pieds) et Open Season (94 pieds) qui tirent leur épingle du jeu et se partagent les victoires de course. Magic Carpet a pu s’octroyer la victoire lors du seul parcours côtier de ce début de semaine, 14 milles bien ventés mercredi après midi, de quoi effacer un handicap de jauge.

Ils ont dit :
George Korehl, directeur de course
« Avec 25 noeuds allant forcissant au secteur est, dans l’axe du golfe, des rafales à 32 nœuds, un gros clapôt s’est levé sur la mer, avec des creux de 2 mètres et plus. Difficile dans ces conditions de mouiller des parcours, et très délicat de demander aux équipages d’évoluer dans le port et l’avant port pour rejoindre le plan d’eau… nous avons donc laisser la liberté aux équipages de sortir à leur convenence. Ainsi Moonbeam III et Altaïr ont-ils décidé de braver le mauvais temps et de célébrer malgré tout l’esprit de la Nioulargue à l’occasion de cette journée des Défis… »

Kito De Pavant, Génie

Le skipper de l’Imoca Groupe Bel fait une « pige » aux Voiles, à bord du Wally de 77 pieds Génie. Il prendra le départ le 3 novembre prochain de la Transat Jacques Vabre en compagnie d’Yves Le Blévec à bord du Multi50 Actual. « On prend beaucoup de plaisirs ici. Je suis navigateur sur Génie, un emploi « paisible » sur un beau Wally. On profite d’un extraordinaire spectacle. Nous étions hier bord à bord avec les J Class, et c’était de toute beauté. Les bateaux sont vraiment impressionnants et les régates de très bon niveau, sur des parcours de rêve au plus près des côtes… »
Un jour, un bateau… Aschanti of Vegesak

Les observateurs découvrent avec intérêt sur le plan d’eau des Voiles une grande goélette Bermudienne de près de 35 mètres, Aschanti. Lancée en 1954 au chantier Ernst Burmester à Brême en Allemagne, la goélette a été restaurée entre 1991 et 1994 chez Lurssen. Avec un pont et des superstructures en teck de Birmanie, les mâts et les bômes en spruce du Canada , Henry Gruber a réalisé un bateau à la fois luxueux et compétitif en régates. Il a plusieurs fois hésité sur le nom du bateau. Le yacht a été enregistré sous le nom de Marie Pierre, puis Ashanti of Saba avant d’être définitivement baptisé Aschanti of Vegesack. L’architecte d’intérieur Dee Robinson a réalisé tous les aménagements. Le voilier évolue au sein du groupe éminemment prestigieux des Grand Tradition, avec Kalle Ebner à la barre. Vegesack est un district du nord de Brême, une zone portuaire au bord de la Weser.
Le saviez vous?

L’extraordinaire destin de Clinton Hoadley Crane

Le 12 mJI Bermudien Seven Seas of Porto brille aux Voiles. Son designer est le méconnu Clinton H. Crane, dont l’histoire vaut pourtant son pesant d’acajou…
Clinton Hoadley Crane était à la fin du 19ème siècle, un architecte naval américain amateur, qui dessinait pour lui même et ses amis des bateaux à voile puis à moteur. Licencié de la Harvard Engineering School en 1894, il part étudier à l’université de Glasgow de 1897 à 1898. C’est là qu’il rencontre l’architecte français Augustin Normand, qui l’initie aux bateaux à moteurs. Au début du 20ème siècle, de 1900 à 1912, il s’établit enfin comme architecte naval, et pendant 12 années construit des bateaux très appréciés sur la côte est des Etats-Unis. Il rompt brutalement avec cette carrière et s’investit totalement dans la compagnie minière familiale. Il retourne 10 ans plus tard à ses premières amours, le yachting. Il dessine des bateaux à moteurs et des bateaux à voile, petits et grands, et élabore non seulement la International Rule, mais aussi la Universal Rule. Il lance Endymion en 1900, qui établit un record de la traversée de l’Atlantique en 13 jours et 8 heures, record qui sera battu par la goélette Atlantic de Charlie Barr. Le 5 août 1908, il établit un record du monde de vitesse absolu à moteur, en atteignant les 36,6 miles par heures avec son motorboat Dixie II à Bayonne, New York. En 1929, il signe le dessin de Weetamoe, un J qui ratera d’un cheveu la sélection finale pour la défense de la Coupe de l’America. Son 12 m Gleam prendra en revanche part aux sélections de la Coupe en 1958. Crane sera ami et Mentor d’Olin Stephens. Il meurt en 1958.

Trumpeter en visite
C’est une histoire de passion et d’amitié, la renaissance aux chantiers des charpentiers réunis Méditerranée de Trumpeter, un cotre bermudien présent aux Voiles cette année en « visteur », bien décidé à concourir dès l’an prochain.
Cette construction anglaise du chantier Tucker Brown dessinée par l’architecte Alan Gurney participait aux régates classiques du circuit méditerranéen depuis de nombreuses années. Après un échouement, dans lequel une partie du bordage avait été détruite, il avait été transporté pour restauration aux Charpentiers Réunis Méditerranée, à la Ciotat, qui a en particulier restauré Mariska, 15 mJi Fife de 1908, et entretenu Velsheda, célèbre Plan Nicholson de 1933
Trumpeter est classé « d’intérêt patrimonial », enregistré officiellement, comme le sont les navires de tradition et les « vieux gréements ». Il est régulièrement convié dans les grandes réunions à la fois sportives et culturelles que sont les courses et régates des voiliers de tradition.

Source

Denis van den Brink

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