L’air de rien

© Alexis Courcoux

C’est parti pour une longue, voire très longue étape de Gijon à Roscoff, via l’île d’Yeu ! Car après un départ nettement plus venté que prévu où Vincent Biarnes (Prati’Bûches) a brillé par son audace en s’élançant bâbord amures devant toute la flotte, les 40 solitaires se sont tout de suite éclatés en éventail pour aborder une zone de vents faibles, voire absents en plein milieu du golfe de Gascogne. Un air de rien, ou presque…

Rien n’est plus difficile pour un météorologiste que de prévoir des calmes. Rien n’est plus compliqué pour un routeur que de définir une voie dans un marasme éolien. Rien n’est plus stressant pour un navigateur que d’élaborer une stratégie quand l’incertitude est totale. Rien n’est plus aléatoire qu’une pétole qui, comme une bulle de champagne, ne peut être prédite par un modèle mathématique. Et quand il n’y a rien de sûr, il n’y a pas grand-chose pour s’accrocher à des doutes. Or c’est la « maladie » du solitaire, le « pac-mac » qui grignote les neurones et fait tourner en rond quand il faut aller tout droit !

Rien ne va plus…

Déjà ce jeudi matin quand les coureurs faisaient tourner en boucle leurs logiciels et accumulaient les fichiers météo, les visages reflétaient une grosse appréhension quant à un cheminement cohérent pour rallier l’île vendéenne. A 230 milles de Gijon, Yeu semblait aussi invisible que la bruine qui se levait au dernier moment avant le départ de cette troisième étape, pour laisser place à une brise impromptue venue du Nord-Nord Ouest.

A midi pile, le canon tonnait pour un parcours préliminaire dans la baie asturienne, un aller-retour de trois petits milles largement dominé par un Vincent Biarnes audacieux qui croisait devant toute la flotte bâbord amures et enroulait en tête la bouée Géolink, puis la marque Radio France avec le jeune Julien Villion (Seixo Habitat) à ses trousses.

Derrière, c’était l’embouteillage ! La multiplication des spinnakers formait un mur sans vent qui stoppait net plusieurs solitaires à l’image de Michel Desjoyeaux (TBS) alors pointé troisième qui se faisait littéralement avaler par la meute… Le peloton était tellement compressé qu’il fallait faire son trou afin d’affaler la voile ballon et repartir au près dans cette brise d’une quinzaine de nœuds : Yann Eliès (Groupe Quéguiner-Leucémie espoir) dut même effectuer une pénalité de 360° (un tour de bateau sur lui-même) suite à un engagement tardif à la bouée. Quant à Claire Pruvot (Port de Caen Ouistreham), elle se faisait aborder sur son tableau arrière par Gilles le Baud (Carnac Thalasso & Spa) qui abîmait son étrave. Sans trop de gravité puisque les deux concurrents continuaient leur route vers Roscoff.

En fait, le front qui devait passer sur la côte asturienne ce jeudi matin a pris son temps et couvrait tout doucement la flotte trois heures après le coup de canon libérateur. Bilan : certains solitaires partaient franchement vers le Nord-Est à l’image de Gildas Morvan (Cercle Vert) ou de Yannig Livory (Thermacote France) quand Jean-Pierre Nicol (Bernard Controls) montait quasiment plein Nord ! A peine vingt milles plus tard, il y avait près de dix milles d’écart latéral…

Les jeux ne sont pas faits !

Cette dispersion incongrue n’est pas prête de se réduire puisque Jean-Pierre Nicol (encore lui !) virait de bord en milieu d’après-midi pour aller chercher au large un souffle qui tournait au soupir… et au Nord-Nord Est. Et pendant ce temps, le peloton s’enfonçait à 30° de la route directe dans le fond du golfe, cap sur Arcachon ! Et si Vincent Biarnes et Michel Desjoyeaux étaient déjà en pointe et Gildas Morvan le plus sous le vent, au Sud de la flotte, impossible d’établir une réelle hiérarchie quand certains filaient à plus de 6,5 nœuds et d’autres à moins de 3 nœuds…

Mais c’est à la tombée de la nuit que le grand vide sidéral va phagocyter la flotte : la faute à une dorsale (langue de hautes pressions) qui va se dédoubler par scissiparité. Et la route vers l’île d’Yeu traverse ce « no man’s land » entre le tentacule français qui se rétracte vendredi au lever du soleil et l’anticyclone qui se crispe sur les Açores. La nuit sera belle et étoilée (après dissipation des brumes qui ont envahi la zone ce jeudi après-midi) mais avec bien peu de lune, ce qui va rendre la lecture du plan d’eau encore plus délicate : bouffée d’air, calme, soupir évanescent, risée éphémère, voiles fasseyantes dans une longue et lancinante houle de Nord-Ouest…

Il faudra donc patienter jusqu’à vendredi matin pour savoir si cette insoutenable légèreté de l’air aura perduré durant tous les ténèbres ou si une respiration éolienne aura permis aux 40 solitaires de s’extraire de cette métastase atmosphérique dont personne ne connaît la migration. Il n’y a décidément rien d’acquis sur cette 44ème édition de La Solitaire du Figaro-Eric Bompard cachemire !

Ils ont dit…

Vincent Biarnes (Prati’Büches)

« Je suis parti bâbord amures devant toute la flotte : un peu gonflé de ma part, mais je suis super content de ce coup-là parce que je l’avais préparé deux minutes avant ! En plus avec la bascule du vent au Nord-Ouest, j’étais pratiquement en route directe sur la bouée avec seulement un petit contre-bord à faire : je suis passé en tête. Maintenant, on fait route vers l’île d’Yeu et ça attaque de tous les côtés… Il y a beaucoup d’écart latéral en très peu de temps : il faut s’attendre à des options très radicales dès cet après-midi. »

Jean-Pierre Nicol (Bernard Controls)

« J’ai une idée claire en tête : le vent n’était pas dans son secteur « normal » au moment du départ, ce qui signifie que la situation n’est pas la même que celle prévue. Je suis donc parti plus à l’Ouest que le reste de la flotte, mais les derniers fichiers météo me confortent dans mon choix. Je veux contourner la bulle par le Nord et j’ai mis un « way-point » pour ça : il ne faudra toutefois pas oublier de s’adapter en fonction des molles pour aller toujours vite. »

Gildas Morvan (Cercle Vert)

« On est dans un front qui reste scotché sur le Nord Espagne, alors on a un vent qui se balade dans tous les sens… Il y a du brouillard et il faut s’adapter avec une grosse houle qui rend difficile les réglages et multiplie les manœuvres. On a du vent de Nord-Ouest en ce moment et je vais chercher une brise de Nord-Est, soit une grosse bascule à droite de 90°. Le jeu est donc de glisser rapidement sous la route directe pour bénéficier de la rotation du vent le plus tôt possible. Cela devrait se stabiliser dans quelques heures… »

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RivaCom

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