Le coup du sombrero

© Alexis Courcoux

Le bilan de cette première étape de La Solitaire du Figaro-Eric Bompard cachemire est lourd pour les concurrents qui ne montent pas sur le podium : plus d’une heure d’écart et même plus de deux heures de delta à partir du douzième ! En s’imposant largement à Porto, Yann Eliès s’est préservé pour la suite, mais il reste tout de même trois autres manches qui peuvent renouveler le break et chambouler totalement la hiérarchie finale. Il faudra toutefois un moral d’acier pour rebondir dès samedi 13h00…

Les chiffres font toujours mal, surtout quand ils défilent ! Et lorsque Yann Eliès (Groupe Quéguiner-Leucémie espoir) franchissait la ligne d’arrivée à Porto mercredi à 16h03′, ses poursuivants commençaient à décompter les minutes, puis les dizaines, enfin les heures… Car le classement n’avait pas trop d’importance à ce stade de la course si ce n’est pour se rassurer quand à sa fraîcheur et à sa percussion tactique sur ce final extrêmement complexe depuis le passage du cap Finisterre. Le choix était cornélien mardi minuit entre partir à terre comme Jean-Pierre Nicol (Bernard Controls) qui finit troisième, ou au large comme les deux premiers Yann Eliès et Frédéric Duthil (Sepalumic) ? C’est à la latitude de Vigo que tout à basculé…

Hors jeu en milieu de terrain

En choisissant de prendre l’extérieur quand le peloton jouait le centre, Yann Eliès, Frédéric Duthil, Xavier Macaire (Skipper Hérault, quatrième) et Alexis Loison (Groupe Fiva, cinquième) réalisaient le « coup du sombrero » en débordant par le large le gros de la flotte collé dans une molle. Parallèlement au même moment, Jean-Pierre Nicol faisait de même mais par l’intérieur, comme une sorte de « petit pont » !

Et aux dires de nombre de concurrents, le suivi par l’AIS (positionnement de la flotte par identification du code radio VHF) a été un diabolique élément de choix. Quand on est totalement arrêté et qu’on voit un groupe démarrer par la droite ou par la gauche, on cherche à le rejoindre… Ce qui a été fatal pour certains solitaires qui ont changé plusieurs fois leur fusil d’épaule au gré des risées. A contrario du vainqueur qui, en panne d’ordinateur est revenu à la navigation à « l’ancienne » en privilégiant le sensitif et sa stratégie établie au départ de Pauillac. Une leçon pour les trois autres étapes ?

De fait, les spécialistes du circuit n’ont pas l’habitude d’écarts aussi conséquents, surtout sur une première étape : 44′ de delta entre le vainqueur et son dauphin, 56′ face au troisième et déjà 1h05′ pour le quatrième ! Deux heures et plus dès le douzième, Nicolas Lunven (Generali)… La sanction est lourde à avaler pour certains solitaires qui étaient à portée de lance-pierres d’Eliès quelques heures plus tôt ! Le vent n’est pas toujours juste.

Régénérer l’esprit

Les visages à l’arrivée à la Marina du Douro en disaient plus longs que tous les discours : lunettes noires malgré le temps automnal, tête baissée et petite voix, les commentaires étaient parfois si excessifs et si négatifs qu’il fallait faire le tri face à l’énorme déception de certains coureurs. D’autres tentaient de positiver en estimant avoir limité la casse. Mais peu d’entre eux relançaient le match en insistant sur le déroulé de La Solitaire du Figaro – Eric Bompard cachemire : il reste encore trois manches à courir et pas des moindres, en particulier la dernière entre Roscoff et Dieppe qui passe par la bouée Occidentale de Sein, Wolf Rock et devant l’île de Wight !

De fait, parmi les six anciens vainqueurs, seul Yann Eliès peut faire mentir les statistiques s’il remporte cette édition puisque personne n’a jamais rempilé d’affilée à l’ère de la monotypie… Pour les cinq autres, le résultat à Porto est difficile à digérer : Nicolas Lunven (Generali) finit 12ème à 2h du leader, Armel Le Cléac’h (Banque Populaire) 18ème à 2h05′, Jérémie Beyou (Maître CoQ) 19ème à 2h 06′, Michel Desjoyeaux (TBS) 21ème à 2h21′ et Gilles Le Baud (Carnac Thalasso & Spa) 37ème à 6h 36’…

L’objet de cette petite pause portugaise (deux jours pour récupérer) est donc bien de remotiver le mental sans imaginer jouer le coup du facteur (ou une « Troussel » pour les Figaristes) qui pourrait encore plus enfoncer le clou. Pourtant, dès la deuxième étape, il y a du match en perspective : une zone orageuse sur la pointe espagnole peut facilement redistribuer les cartes…

Ils ont dit

Michel Desjoyeaux (TBS)

« J’avais dit avant le départ que 20 bateaux pouvaient gagner La Solitaire. Je suis 21ème alors ça veut dire que je ne vais pas la gagner. Mais ça, c’est juste un décompte mathématique qui n’a rien à voir avec la réalité. La réalité, c’est qu’il y en a un qui a pris la poudre d’escampette. Du coup, il nous a tous énervés. Nous n’en sommes qu’à la première étape. Moi, ce que je retiens surtout, c’est que j’ai « montré le maillot », comme ils disent dans le cyclisme. Je vais essayer d’aller jusqu’au bout cette fois-ci. Parce que ça m’énerve ! »

Jean Paul Mouren (Groupe SNEF)

« C’est un peu la catastrophe cette étape. C’était bien parti mais comme dans chaque aventure, j’ai eu mon lot de « patatraqueries ». En tout cas, je n’ai pas eu beaucoup de chance. Mon spi léger tout neuf a éclaté tout de suite. Ensuite, nous étions dans le vent à batailler toute la nuit à fond les ballons et à la dernière rafale, mon spi lourd éclate sous mes yeux. Du coup, je me suis retrouvé sans cartouche pour la moitié du parcours. J’ai vu beaucoup de monde défiler autour de moi, mais je me souviens de Kipling qui disait : ‘Ne crains pas de perdre les gains de cent parties si tu veux devenir un homme’. »

Gilles Le Baud (Carnac Thalasso & Spa)

« Il y a plusieurs moments forts. Le premier, c’était le départ et la descente de la Gironde. J’appréhendais beaucoup et en fin de compte, ça s’est beaucoup mieux passé que ce que je croyais. J’ai réussir à tenir des très bons. Il y a eu des moments de grâce, mais ça n’a pas duré indéfiniment. Ensuite, la vie a suivi son cours. Mais le passage du cap Finisterre a été rugueux, c’est là que j’ai vu toute la différence avec ce bateau. Je m’imaginais avec nos half-tonner de l’époque, on aurait tout cassé. Là, le bateau est très stable. Je ne pensais pas qu’il était aussi facile à maîtriser. J’ai fait quelques départs au tapis et quelques beaux surfs. C’était magnifique ! »

Yann Eliès (Groupe Queguiner – Leucémie Espoir)

« Ce classement ? Il me rend assez fier et il donne encore un peu plus de relief à ma course. Mais j’essaye de ne pas trop me réjouir non plus. D’abord parce que j’ai déjà vécu ce genre de mésaventure (avoir pris de gros écarts) et je sais que c’est dur à digérer. Je compatis un peu avec les autres. Et puis je me dis que la deuxième étape peut réécrire l’histoire à l’envers. Mais bon, c’est la première fois que ça m’arrive d’avoir le deuxième à 44 minutes et le quatrième à plus d’une heure. Et surtout, des grands favoris comme Armel, Michel, Jérémie, Nicolas à deux heures. »

Xavier Macaire (Skipper Hérault)

« Je suis très content de ma place de 4e, même s’il y a une petite pointe d’amertume car j’ai raté le podium de peu. J’ai senti ce podium à quelques heures de l’arrivée mais il m’a glissé des doigts, au profit de Jean-Pierre Nicol. Mais je suis content d’avoir beaucoup d’avance sur de très bons concurrents. Ça me donne un petit ascendant psychologique. Mon programme à Porto : dodo, ostéo et m’occuper du bateau. Au final, il faudra vite se préparer pour repartir sur la deuxième étape qui approche très vite. »

Simon Troël (Les Recycleurs Bretons)

« Je suis arrivé et pas dernier, ça fait chaud au cœur. Ce n’est pas dur de faire des conneries, c’est de les assumer après qui est compliqué. J’ai essayé de les assumer en navigant tout seul pendant deux jours et après, j’avais dans l’idée que tout le monde s’arrête et qu’il n’y ait pas d’écart. Mais ça n’a pas été le cas. Le bateau n’a rien en fait. Fred, mon préparateur a plongé ce matin pour vérifier. Rien n’a changé pour moi. Le général c’est mort, mais il reste trois étapes, trois manches à gagner. »

Thomas Ruyant (Destination Dunkerque)

« Si on a le même genre d’étapes que l’année derrière, La Solitaire est pliée. Mais il reste encore trois étapes, avec trois arrivées. J’ai déjà regardé la météo de la deuxième étape, on va arriver avec du vent sur Gijón, donc je ne sais pas si on aura l’occasion de se rattraper… Mon programme ici ? Je vais aller voir les ostéo, parce que j’ai mal au dos. Et puis dormir, beaucoup, parce qu’on a tiré sur la machine, entre le vent fort et la pétole… Et bien regarder la météo pour la prochaine parce que vu le classement actuel, il va falloir que je m’arrache. »

Fabien Delahaye (Skipper Macif 2012)

« Enfin, c’est fini ! Il suffit d’un pépin pour que plus rien ne se passe (Fabien a perdu son grand spi, coupé la drisse, cassé le tangon). Le spi, c’était lui ou moi et je préférais que ce soit lui. Il a chaluté, je n’ai pas pu le tenir. Alors mon retard en temps au classement, je sais juste que c’est moins grave que ce qu’on aurait pu croire en sortant du vrac. Au passage au cap Finisterre, il y a eu un nouveau départ, après, je suis resté un peu trop à terre et on est tombé dans la molle. Deux heures de retard, ça commence à faire beaucoup, mais il ne faut pas être fataliste. »

Jackson Bouttell (Artemis 77) 23e et 1er bizuth

« Le moment fort de ma course, ça a été le coup de vent au cap Ortegal. On a eu 30/35 nœuds. J’ai déchiré mon grand spi juste avant le cap et c’était frustrant mais j’ai réussi à le réparer. J’ai pas mal dormi la première journée, après la sortie de la Gironde, donc, j’étais assez reposé. Mais la nuit dernière, impossible de dormir. Le vent était tellement changeant. Il ne fallait pas rater les bascules, au risque de perdre beaucoup. Qu’attendre des prochaines étapes ? Continuer à avancer et à apprendre toujours plus. Sur cette première étape, j’ai appris à réfléchir davantage à la stratégie générale, au tableau d’ensemble. »

Source

RivaCom

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