En avoir ou pas

Christophe Launay / www.sealaunay.com

C’est la hantise des navigateurs : ce qui arrive à Jean-Pierre Dick est comme une punition qui viendrait frapper l’élève qui vient de décrocher son tableau d’honneur. Alors que le podium semblait promis au navigateur niçois, il voit tous ses efforts anéantis par la rupture de sa quille. A quelques jours de l’arrivée, c’est un coup au moral porté à l’ensemble de la flotte et une incitation à la plus grande prudence.

Peu avant minuit, Jean-Pierre Dick a basculé dans un autre monde. La rupture brutale de sa quille va maintenant l’obliger à faire la part des choses, entre l’aiguillon de la compétition et ce que le bon sens marin exige. Continuer ballast remplis à ras bord est toujours possible. Il existe maintenant quelques précédents qui font, en quelque sorte, jurisprudence. En 2005, c’est Mike Golding qui avait bouclé les derniers milles de course ainsi. En 2009, Roland Jourdain ralliait les Açores après plus de 800 milles de navigation dans des mers confuses. Toujours en 2009, Marc Guillemot sauvait sa place sur le podium après cinq jours à naviguer sur le fil du rasoir. Il reste plus de 2000 milles au skipper de Virbac-Paprec 3 avant d’arriver aux Sables d’Olonne. Mais les Açores sont à 800 milles de son étrave. Alors pourquoi ne pas tenter de se diriger vers l’archipel et d’évaluer à proximité, si le jeu en vaut la chandelle ? Deux paramètres seront déterminants : l’état de fatigue du bonhomme et les conditions météorologiques à venir dans le golfe de Gascogne. Pour Jean-Pierre, c’est une autre aventure qui commence, mais sous ses airs parfois lunaires, il ne faut pas oublier que c’est un marin d’une incroyable ténacité, jamais aussi fort que dans l’adversité.

Dorsale devant l’étrave

En tête, les deux leaders vont aborder la partie la plus critique de cette remontée de l’Atlantique Nord, sur le plan stratégique. Armel le Cléac’h continue de gratter des milles sur François Gabart, mais le skipper de Banque Populaire doutait lui-même, lors du direct de ce midi, que ce soit suffisant. Logiquement MACIF devrait être le premier à toucher les vents perturbés de secteur ouest qui propulseraient les deux vers l’arrivée… une arrivée qui pourrait être compliquée par près de 40 nœuds de vent et une mer formée. Les trois derniers jours de course risquent donc d’être sous haute tension : la moindre erreur de manœuvre, le plus petit départ au tas peuvent se payer très cher et la marge dont dispose François Gabart ne l’autorise guère à faire des fantaisies. Les derniers routages tablent maintenant sur une arrivée samedi en début de nuit, vers 22 heures (heure française).

Le repos des guerriers

En Atlantique Sud, si la bagarre est toujours aussi intense entre Jean Le Cam (SynerCiel) et Mike Golding (Gamesa), du moins les conditions de navigation sont devenues plus paisibles. Le vent n’est pas exactement orienté comme il faudrait, mais la mer s’est calmée et la vie à bord devient nettement plus acceptable. Si la régate ne souffre pas de pause, tout au moins les deux skippers peuvent-ils se déplacer sur le bateau sans être ballotés d’un bord à l’autre. Derrière eux, Dominique Wavre (Mirabaud) contrôle Javier Sanso (ACCIONA 100% EcoPowered) qui est venu se caler dans son sillage, tandis qu’Arnaud Boissières (AKENA Vérandas) ne parvient décidément pas à s’extirper de la petite dépression orageuse qui le scotche le long des côtes du Brésil. Il ne possède plus aujourd’hui qu’un peu plus de 300 milles d’avance sur Bertrand de Broc (Votre Nom autour du Monde) qui continue de filer à belle allure. Au moment de son passage du cap Horn, Bertrand comptait plus de 1300 milles de retard. Tanguy de Lamotte (Initiatives-cœur) voit quant à lui, ses espoirs de recoller au tableau arrière de son prédécesseur s’amoindrir. Victime de la rupture d’une autre de ses drisses de tête, il ne peut plus envoyer de grande voile d’avant. Même punition pour Alessandro Di Benedetto qui ne dispose plus que du petit gennaker comme voile de portant. Au bout du compte, cette inactivité forcée, faute de changements de voile à faire, est peut-être le meilleur des remèdes pour que le skipper de Team Plastique recouvre ses moyens physiques mis à mal, suite à sa côte fracturée. Chi va piano, va sano ; chi va sano, va lontano.

Podium pour Hugo Boss ?

En Atlantique Nord, Alex Thomson devrait donc s’emparer de la troisième place d’ici quelques jours. Il rejoindrait ainsi Ellen Mac Arthur (2e en 2001) et Mike Golding (3e en 2005) au panthéon des navigateurs anglo-saxons venus tenir la dragée haute à l’armada française. On imagine qu’Alex doit être profondément partagé entre l’espoir d’accéder au podium et le regret que ce soit suite à la casse mécanique d’un de ses adversaires dans la dernière ligne droite. Le navigateur britannique a eu l’élégance de ne pas faire de triomphalisme, alors qu’un de ses concurrents est dans la difficulté. Il reste que la performance d’Alex est en tous points remarquable. Avec un bateau de la génération 2008, il s’est accroché au peloton de tête et devrait, selon toute vraisemblance, descendre, lui aussi, en dessous de la barre des 80 jours. Une manière de souligner à quel point ce Vendée Globe 2012-2013 est de haute volée.

Classement au 22/01 – 16h00

  1. François Gabart
    [ Macif ]
    à 1 639.6 milles de l’arrivée
  2. Armel Le Cléac’h
    [ Banque Populaire ]
    à 89.5 milles du leader
  3. Jean-Pierre Dick
    [ Virbac Paprec 3 ]
    à 454.7 milles du leader
  4. Alex Thomson
    [ Hugo Boss ]
    à 655 milles du leader
  5. Jean Le Cam
    [ SynerCiel ]
    à 2 266.5 milles du leader

Ils ont dit

Jean Le Cam (FRA, SynerCiel)

Là, c’est le changement du tout au tout. Tu passes du Mc Do au restau 4 étoiles. 15 nœuds de vent, mer correcte, il fait beau, on ne va pas s’en plaindre. Quand tu es dans la merde tu rêves de ces moments donc quand tu les as, il faut les apprécier. C’est comme l’année dernière, j’ai commandé une Ferrari à Noël et quand je l’ai eue je me suis dit : « Oh bah c’est une voiture comme tout le monde. » Il faut s’efforcer d’apprécier ces moments-là. (A propos de la perte de la quille de Jean-Pierre Dick) Ce n’est pas acceptable que ça arrive, ce n’est plus possible. Fort heureusement il n’a pas chaviré. Ça l’aurait mis dans une merde noire, je l’ai vécu. Quand tu es propriétaire du bateau comme l’est Jean-Pierre, tu te retrouves un peu tout seul.

Armel Le Cléac’h (FRA, Banque Populaire)

Les conditions : un peu de mer, un peu de vent. Ça avance encore à peu près. On a appris la mauvaise nouvelle pour Jean-Pierre. Je suis bien triste pour lui, il ne méritait pas ça. On arrive sur la dernière partie de la course. Les bateaux ont un peu souffert depuis les Sables. Ce sont des choses qui arrivent, il n’y a pas forcément d’explications. Nous arrivons dans une zone où il y a beaucoup de trafic et d’objets flottants, il va falloir être vigilant aussi. La fin est proche mais on n’est pas encore arrivé. On va avoir des conditions un peu plus viriles dans les prochains jours. Il ne faudra pas faire de bêtises dans les manœuvres. On veut arriver en un seul morceau. Pour l’accueil, je ne suis pas inquiet, peu importe le jour et l’heure, ce sera parfait. Je pense arriver dimanche dans la journée. Mais c’est sûr que les conditions seront un peu difficiles.

Tanguy de Lamotte (FRA, Initiatives-cœur)

Ça va bien. J’ai malheureusement eu une petite avarie. J’ai cassé une deuxième drisse, donc je n’en ai plus en tête de mât pour des voiles de portants. J’ai dû repêcher mon code zéro, c’était moins dur que le reacher mais c’était quand même une bonne partie de pêche. Pour la première fois depuis le début, je ne peux plus être à 100%. Je faisais des vérifications visuelles sur la drisse mais ça n’a pas suffit. Je regarde régulièrement le bateau avant la tombée de la nuit pour voir ce que je peux, mais je ne vois pas tout.

Alex Thomson (GBR, Hugo Boss)

Je suis stupéfait et dégouté d’apprendre que Jean-Pierre Dick a perdu sa quille. JP a, jusqu’ici, fait une course superbe. Il s’est battu pour conserver cette troisième place en dépit d’u fait d’avoir dû monter en tête de mât un nombre incroyable de fois. Heureusement que cela lui arrive ici et non dans les mers du Sud. Il va malgré tout affronter des conditions difficiles pour rejoindre les Açores avec peut-être 40 nœuds de vent dans la journée du 26.

Jean-Pierre Dick (FRA, Virbac-Paprec 3)

C’est arrivé un peu avant minuit. Il y avait déjà des bruits dans le bateau, assez forts, assez stridents. Je pensais que c’était des bruits de vérin de quille mais en fait c’était déjà la tête de quille qui était abîmée. Et tout d’un coup, il y a eu un bruit sec. Heureusement, j’étais entre l’extérieur et l’intérieur, il y avait eu plusieurs grains et un nouveau grain arrivait. Le bateau s’est couché. En une seconde, j’ai compris que la quille avait cédé. J’ai pu accéder vite au winch de grand-voile pour choquer. Le bateau s’est couché rapidement sur l’eau en partant au lof. Il a eu certainement un petit moment d’hésitation, heureusement il n’est pas parti de l’autre côté. Au bout de quelques minutes j’ai pu aller choquer l’écoute de solent pour rouler. Le bateau était sécurisé pour mettre plus de ballasts et prendre un ris puis réduire encore la toile. C’est dommage de perdre la quille à ce stade de la course. Quant à l’issue, je ne sais pas encore, on va voir ce qu’il va se passer, si je continue la course ou pas. Actuellement, je suis toujours en course, je n’ai pas abandonné. Le mât est bien là, les voiles aussi, le bateau flotte et j’ai pris un peu les conseils d’un spécialiste en la matière, j’ai nommé Marco (Guillemot). Je l’ai appelé et il m’a donné quelques tuyaux. Pour l’instant j’ai beaucoup de ballasts remplis dans mon bateau et je pense être dans de bonnes conditions. C’est « safe » pour ne pas me retourner au moindre souffle. C’est toujours impressionnant c’est vrai, mais le bateau avance toujours entre 11 et 12 nœuds. On fait route au moins vers les Açores dans un premier temps.

Source

Liliane Fretté Communication

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