Danse avec les Voiles !

© Rolex / Carlo Borlenghi

Tendre vers la perfection est une aspiration génétique chez les marins ; ils la traquent dans toutes les composantes techniques de leur métier, et dans toutes les configurations de navigation offertes par la nature. Les Voiles de Saint-Tropez, par l’expertise de ses trois comités de course dédiés à chaque catégorie en lice, a ciselé aujourd’hui les conditions d’une nouvelle journée idéale, avec dans l’ordre d’apparition au générique du grand spectacle multidimensionnel, le soleil, le vent fraîchissant de Sud Ouest, l’onde clapoteuse du golfe si clair, et les départs cadencés sous le Portalet de 6 classes plus éblouissantes les unes que les autres, et l’élan des Modernes devant Pampelonne. Passés les premiers bords certes lymphatiques mais ô combien stratégiques au fond du golfe, la grande sarabande des beaux classiques gîtés sur la houle pouvait débuter, pour trois heures et 14 milles de régate comme dans les rêves, parsemés de croisements de toutes formes de gréements et de longs bords à bords des coques les plus élancées créées voici plus d’un siècle par les Maîtres de l’architecture navale. Dans chaque classe, au lendemain d’une journée plus récréative consacrée aux Défis, on jouait son va-tout pour les accessits, et les empoignades entre Cambria et Mariquita chez les grands classiques, Mariska et The Lady Anne chez les 15 m JI ou Avel, Nan of Fife et Victory donnaient au spectacle purement visuel toute son intensité sportive.

The Lady Anne confirme
En l’absence de Tuiga toujours retenu à Cogolin par la réparation de sa ferrure de « top mast », et dont on espère le retour en course demain, la lutte au sein du groupe des 15 m JI s’est circonscrite à un mano a mano etre un Mariska revanchard et les Britanniques de The Lady Anne décidément très incisif depuis le début des Voiles. Hispania toujours en lice pour un accessit choisissait de partir vers Sainte-Maxime alors que le vent de Sud Ouest peinait à s’établir dans le golfe ; c’est du côté des Canoubiers que Mariska et The Lady Anne jouaient gagnant. Ils touchaient en premiers la pression et s’envolaient vers les Issambres, dans le sillage des grands Classiques partis quelques minutes auparavant. « On a eu un trou d’air à l’entrée du golfe » explique Louis Heckly, navigateur de Mariska ; « Et The lady Anne nous a irrémédiablement lâché ». A l’aise à toutes les allures, remarquablement efficace dans ses choix de roue, The Lady Anne ouvrait la marche tout au long des marques de passage en bordure du golfe, et déboulait en tête sous le Portalet. Le plan Fife de 1912 terminait bord à bord avec les inséparables Mariquita (Goélette aurique Fife 1911) et Cambria (Fife 1928), le grand cotre marconi, dominateurs dans leur groupe. The Lady Anne abordera demain la dernière journée avec un petit avantage sur Mariska qui devra non seulement l’emporter, mais espérer qu’un voilier s’intercale devant le 15 m JI Britannique pour espérer gagner le général.

Des Wally en appétit
Un parcours de type banane en apéritif, suivi d’un plat de résistance copieux, avec un beau parcours au large du golfe dans un bon flux de Sud Ouest idéal en force, entre 12 et 15 noeuds et en stabilité, pour permettre aux grands Wally d’allonger leurs majestueuses foulées au large de Pampelonne. Hamilton continue sa démonstration de force, aidé par un équipage inspiré qui ne fait pas d’erreurs. Et derrière, Génie ne lâche rien, signant une victoire et une seconde place aujourd’hui, pour revenir dans le sillage de Dark Shadow au général provisoire…

Les leaders confirment chez les Modernes
Après un départ dans un vent de secteur Sud pour une dizaine de nœuds, les voiliers Modernes ont eux aussi bénéficié d’un renforcement du vent, et c’est dans une quinzaine de nœuds que tous les protagonistes ont livré bataille. Dans chacun des 5 groupes IRC, cette quatrième journée de course a vu les leaders confirmer, et la hiérarchie, au terme de 4 manches déjà validées, s’affirmer. Ainsi chez les grands IRC A, le formidable Jethou de Peter Ogden enfonce-t’il le clou avec une nouvelle victoire, en temps réel comme en temps compensé. Il domine de nouveau le maxi italien My Song et relègue à 7 longueurs les américains de Stark Raving Mad. Si le Grand Soleil Marseillais Bella Donna l’emporte aujourd’hui dans la brise, c’est toujours le TP 52 Spirit of Malouen IV qui domine le général provisoire, 3 petites longueurs devant le GP 42 Team Vision Future. Le Sly 42 Tropézien Cachou règne en ses eaux en IRC C devant un autre local, le Swan 42 Genapi. Un petit point sépare ces deux « frères ennemis » qui devront se départager demain.

Ils ont dit : Robert Charlebois

Robert Charlebois est aux Voiles. Le célèbre chanteur Québécois sacrifie à sa nouvelle passion, le croirez-vous, la voile ! Lui qui a si souvent chanté les avions (Les Ailes d’un ange, Lindbergh…), découvre avec un plaisir non feint et non dissimulé les milles et uns plaisirs de la navigation. Et pas n’importe quelle navigation puisqu’à l’invitation des propriétaires italiens et québécois du yacht Emilia, le fin et racé 12 m JI signé Costaguta lancé en 1930, il effectue aux Voiles de Saint-Tropez sa quatrième sortie en tant qu’équipier. « Je suis fou de ça ! s’exclame-t’il à l’arrivée de la somptueuse régate du jour. « Je n’ai jamais vu un tel spectacle ! C’est éblouissant, et vu du bord, cela rend terriblement humble. J’apprends tout doucement. On m’a mis aux bastaques. Je dois être concentré au maximum pour ne pas faire de bêtise. Mais je prends un plaisir indicible, plein la vue, plein les poumons, plein d’émotions. Cela me donne des idées pour une prochaine chanson, « la femme du vent », tant j’emmagasine d’images… »

Alain Gautier, navigateur océanique, Vainqueur du Vendée Globe
Alain Gautier est de passage aux Voiles où il compte beaucoup d’amis. Il pourrait même naviguer demain à bord de Mariska, le 15 m JI Suisse.
« Je suis complètement acquis aux Voiles ; je connaissais la Nioulargue que j’ai « pratiqué » à 6 ou 7 reprises dans les années 80. On est venu ici en multicoques, sur des Swan 86… C’est toujours un bonheur! question spectacle, c’est un bonheur. Avec les conditions que l’on connait ces jours-ci, c’est vraiment fantastique! On retrouve les copains car il y a beaucoup de monde pour faire marcher toutes ces belles machines. J’adore tous les types de voiliers qu’on rencontre ici, des Wally aux Classiques. On prend ici une belle « tartine » de belles choses. Les Voiles, c’est un plaisir! J’aime naviguer vite, certes, mais j’aime naviguer sur tous les beaux bateaux. Je fais beaucoup de courses de voitures anciennes et on retrouve aussi beaucoup d’anglo-saxons qui ont cette culture de maintenir l’histoire en marche, comme dans la voile. Mais ils ne sont pas les seuls ; on retrouve en France bien sûr mais aussi chez nos amis Suisses ce souci de prolonger la vie de ces beaux bateaux. Le professionnalisme a un peu tué l’esprit festif dans la course au large. L’après course a un peu disparu depuis une dizaine d’années. C’est la rançon du professionnalisme. A Saint-Tropez, j’ai de grands souvenirs de fêtes, car dormant à bord des bateaux, il n’y avait jamais loin du Papagayo à la bannette… »

Yachts extraordinaires :

Baltic 50

Ils brillent aux Voiles, caracolant en tête des IRC D catégorie voiliers Modernes, les deux Baltic 50 Suisses Music (Huber Ruedi) et Gordon’s à Jurg Koenig ; A l’instar des Swan, les Baltics se positionnent à mi-chemin entre la plaisance et la course. Baltics fait pour cela appel à différents designers dont l’américain Bill Tripp pour ce 50 pieds très performant. Les voiliers sont construits en Finlande.

Ker contre TP

Le designer naval Britannique Jason Ker a dessiné deux superbes racers qui livrent aux Voiles une lutte acharnée aux TP52 dans la catégorie des grands IRC B. Aux mains des talentueux skippers allemands Jens Killinghusen et Pit Finis, Varuna, le KER 51 et Dralion le Ker 53 tiennent la dragée haute à Spirit of MalouenVI et Powerplay en tête du général provisoire. Dénouement samedi.

Arcadia, la marque d’Olin…

Arcadia, le joli sloop de moins de 13 mètres qui remporte quasiment toutes les courses auxquelles il participe, Cannes, Antibes. Et Saint-Tropez risque de ne pas faire exception puisqu’il domine de la tête et des franc-bords le groupe des Marconi A, avec déjà deux victoires. Un des secrets de sa réussite, son créateur de génie, Olin Stephens, auteur de tant de yachts à succès…

Olin Stephens se disait « chanceux d’avoir un but dans la vie ». Cet Américain, s’était tôt découvert une vocation d’architecte naval qui lui fit dessiner plus de 2 200 bateaux, de course ou de plaisance, à voile comme à moteur. « Aussi loin que je me souvienne, j’ai toujours voulu dessiner des bateaux rapides », expliquait-il. Né en 1908 à Harlem dans l’Etat de New York, le garçon, fasciné par la technologie, passait l’année à dévorer des revues de yachting et ses vacances à naviguer à Long Island ou à Cap Code dans le Massachusetts sur les bateaux de son père, un marchand de charbon, en compagnie de son frère Roderick.

Ce dernier opta pour le métier de constructeur de bateaux et intégra un chantier naval, tandis qu’Olin Stephens s’inscrivit au Massachusetts Institute of Technology (MIT) de Boston. Une jaunisse obligea le jeune homme à quitter le prestigieux établissement dès la première année. Mais s’il regretta toute sa vie la formation de haute qualité qu’il comptait y acquérir en matière de mathématiques et d’ingénierie, sa carrière n’eut jamais à en souffrir.

Cet intuitif surdoué n’avait que 19 ans lorsque ses premiers dessins de bateaux de régate de 6 mètres suscitèrent l’intérêt du milieu de la voile de la Côte est américaine. Il travaillait par ailleurs secrètement au plan d’un voilier susceptible de disputer un jour la Coupe de l’America. Son génie, une fois identifié par les magnats habitués de l’épreuve, fut durablement satisfait. Entre 1937 et 1980, les créations d’Olin Stephens remportèrent huit des neuf éditions de ce duel naval mettant en jeu le plus ancien trophée sportif au monde.

A l’âge de 21 ans, Olin et son frère s’étaient associés avec le courtier Drake Sparkman pour créer la société Sparkman and Stephens. Dans la foulée, ils avaient lancé Dorade, un voilier de course océanique de 52 pieds (environ 16 mètres) qui s’imposa d’entrée dans une course transatlantique ainsi que dans la classique du Fastnet en mer d’Irlande. La préférence de Stephens allait aux carènes étroites et aux quilles longues, plus performantes au louvoyage, et il navigua en course, sur ses créations, le plus souvent possible.

Convaincu que « dans la vie, tout est question d’équilibre », comme il l’a noté dans l’autobiographie qu’il publia à l’âge de 90 ans, Olin Stephens peignait et jouait du piano avec ferveur.

Durant les années de guerre, cet amoureux des belles lignes esthétiques remporta un marché lancé par l’armée américaine pour un véhicule amphibie ; ainsi naquit le DUKW, qui allait s’illustrer lors des grandes opérations amphibies de la seconde guerre mondiale

C’est aux Voiles, et nulle part ailleurs…

Défilé des équipages…

Une quinzaine d’équipages a littéralement mis le feu sur ls quai du port de Saint-Tropez à l’occasion du défilé des équipages. Les surprises étaient au rendez-vous et les marins ont fait preuve d’imagination et de créativité pour se grimer, qui sur les thèmes de Star Wars, qui en Bigoudennes, qui en WACs, d’autres encore en disciple de Bacchus grimpé sur un tracteur. Le Jury a choisi de récompense à la Ponche l’équipage de Saint Barth, pour sa fantaisie et son excentricité…

Edition…

Philippe Poupon et Géraldine Danon, « Sur la route des Pôles » éditions Gallimard

Les frères Poupon sont aux Voiles : Luc navigue avec ses amis de Sojana et prépare activement l’édition 2013 des Voiles de saint Barth, tandis que Philippe y présente son dernier livre, fruit de sa dernière expédition à la voile vers les pôles ; Désireux de mettre leur expérience et leur passion de la mer au service de la protection de la planète et des océans, Philippe Poupon et son épouse Géraldine Danon ont imaginé une expédition d’observation transocéanique à bord d’un voilier de 20 mètres, Fleur Australe. Après une première aventure en 2009 où ils ont réussi à franchir en famille (avec leurs quatre enfants et leur chien) le redouté « passage du Nord-Ouest » (de l’océan Atlantique à l’océan Pacifique par le nord du continent américain), ils sont repartis pour une nouvelle expédition de trois ans. Le voilier a quitté l’Alaska en juin 2010 pour rejoindre le pôle sud en longeant les côtes américaines, en rejoignant l’Australie par les Marquises, la Polynésie, la Nouvelle- Calédonie et la Nouvelle-Zélande. Tels des oiseaux migrateurs, bataillant avec la banquise, croisant des ours polaires, des baleines grises et des requins, surfant sur la houle du Pacifique, plongeant dans les lagons de la Polynésie, slalomant entre les icebergs de l’Antactique, la petite tribu découvre, émerveillée, les lumières du grand nord et les douceurs des tropiques avant d’affronter les redoutables tempêtes des quarantièmes rugissants.

Le saviez vous ?

Le premier des 15mJI construit est le plan Mylne (1907) Ma’oona et le dernier réalisé fut Isabel-Alexandra, un plan de Johan Anker (1913), le père du Dragon… Il n’y eu finalement que dix-neuf 15mJI mis à l’eau : Shinna (Fife 1908), Mariska (Fife 1908), Ostara (Mylne 1909), Vanity (Fife 1909), Tuiga (Fife 1909), Hispania (Fife 1909), Anémone II (Chevreux 1909), Encarnita (Guédon 1909), Jeano (Mylne 1910), Sophie-Elizabeth (Fife 1910), Paula II (Mylne 1910), Senta (Oertz 1911), The Lady Anne (Fife 1912), Istria (Nicholson 1912), Maudrey (Fife 1913), Paula III (Nicholson 1913), Pamela (Nicholson 1913). Mais il ne reste plus en état à ce jour que Mariska, Tuiga, Hispania et The Lady Anne…

Lexique…

Brigantine : voile aurique hissée sur le mat d’artimon des voiliers gréés carrés, et sur tous les mats des goélettes et des cotres anciens. De forme aurique (de trapèze irrégulier), elle est enverguée, en bas, sur la bôme et, en haut, sur la flèche ou corne de brigantine.

Foc : voile d’avant de forme triangulaire.

Ketch : voilier aurique à deux mâts. Le deuxième plus petit, est situé derrière le premier.

Mât d’artimon : mât le plus en arrière d’un voilier qui en comporte deux ou davantage. Son rôle principal est de porter une ou plusieurs voiles permettant au navire de lofer, c’est à dire de remonter au vent.

Mille nautique : Il vaut 1 852 mètres, soit la longueur moyenne d’une minute d’arc de grand cercle terrestre à n’importe quelle minute de latitude représentée par un méridien sur la carte marine. Le degré de latitude vaut donc 60 milles. A ne pas confondre avec le mile anglais, qui mesure 1 609 mètres.

Yawl : Le yawl est un voilier à deux mâts dont l’artimon (mât arrière) a l’emplanture en arrière de la mèche de safran. Autrement dit, l’implantation du mât d’artimon, de plus petite taille que le mât principal, se situe à l’extrême arrière du pont, derrière l’axe de rotation du safran (partie mobile immergée à l’arrière du bateau servant à le diriger et fautivement appelée gouvernail).

L’artimon du yawl est appelé tapecul.

Source

Maguelonne Turcat

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