Mer de contraste

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Du vent, de la mer, des nuages, des vagues, des bascules, des abandons : la quatrième journée des Régates Royales-Trophée Panerai était sous le signe de la brise. Une magnifique manche pour les yachts classiques qui s’en sont donnés à cœur joie sous spinnaker avec jusqu’à plus de 25 nœuds de vent tandis que les Dragon enchaînaient deux courses musclées…

Cannes, terre de contraste ! Mais sa baie de La Napoule aussi… Car c’est un temps breton qui caractérisait cette quatrième journée des Régates Royales-Trophée Panerai : un ciel chargé, une température estivale (pour un Breton !), une mer un peu mieux organisée mais bien agitée, un vent d’Ouest à Sud-Ouest d’une bonne vingtaine de nœuds, voire plus à l’approche des rives de Théoule… Les équipiers ont été sollicités sur ce parcours côtier d’une petite dizaine de milles et les gréements aussi : un ris dans la grand-voile, flèche dans la soute à voile et parfois même le spinnaker ne fut pas sorti de son sac. Alors voir débouler l’impressionnant Class J sous asymétrique à plus de quinze nœuds devant la marina du vieux port restera comme une des images fortes de cette 34ème édition !

Bis, bise, brise…

Il fallait déjà prendre un bon départ, ce qui n’était pas des plus aisés avec une belle houle du large et un clapot court, levé par ce « suroît » venu d’Atlantique… Choix du louvoyage pour les tacticiens et surtout virements de bord pour les manœuvriers étaient le premier challenge de cette troisième manche pour les yachts classiques. Il valait mieux avoir capelé le ciré et enfilé les bottes ! Et certains équipages préféraient retourner au port, soit parce que leur bateau avait subi une avarie mineure, soit parce que les conditions de navigation n’étaient pas adaptées à la structure ou au gréement de leur voilier. Il faut dire qu’au large de la pointe de l’Aiguille, houle, vagues et vent combinés mettaient à rude épreuve les membrures centenaires, les bordés d’acajou, les ponts de pin ou de teck, les mâts en spruce ou les pièces de quille en chêne…

Direction les îles de Lérins au louvoyage avant un long bord de débridé vers la pointe de l’Esquillon, largue vers La Napoule, retour devant Cannes au vent arrière et arrivée au près : ce parcours côtier avait de quoi faire grincer les poulies et étirer les cordages ! Et chez les Spirit of Tradition, Shamrock V filait vers la victoire en temps réel et en compensé devant Sea Lion et Nazgul of Fordell tandis que quatre équipages préféraient rentrer au port face à cette bise mauvaise. Et pour certains c’était bis repetita : Dainty parmi les Marconi de moins de 15 mètres, Leonore chez les plus de 15 mètres, Thendara au sein des Big Boats réitéraient leur victoire de la veille… alors que la brise était pourtant plus mollassonne ! Et le doyen Marigold (1892) remportait cette magique course des Auriques ! Enfin, White Dolphin était le plus prompt sur ce rectangle mouvementé parmi les Classiques…

Un nuage au sommet

Chez les Dragon, Annapurna grimpait en haut de l’affiche, pour redescendre d’un cran sous l’effet d’un nuage ! Car en remportant magistralement la sixième manche en baie du Golfe Juan, le Russe Anatoly Loginov a grappillé les points et la récolte fut fructueuse : son plus dangereux concurrent, ex-leader d’hier, l’Italien Guiseppe Duca (Cloud) réalisait sa plus mauvaise régate depuis lundi : 20ème dans la brise d’Ouest d’une bonne quinzaine de nœuds avec rafales et un clapot court… Et c’était pire pour le Danois Soren Pehrsson (Blue Lady) qui avait auparavant impressionné par sa régularité : 27ème ! Certes, ces mauvais résultats pouvaient désormais être effacés des tablettes puisque plus de cinq manches ont été validées, mais tout de même, le podium devenait plus ouvert alors qu’une nouvelle manche était lancée et qu’il restait une journée de course vendredi.

Car le Britannique Martin Payne (Bear) qui terminait deuxième ce jeudi matin et qui pointait parmi les prétendants au podium, faisait quant à lui une bonne opération : ça se bousculait donc au portillon avant la septième manche courue dans la foulée et dans une brise qui prenait du coffre au fil des heures. Surtout que ce sujet de Sa Majesté réitérait en remportant l’ultime manche du jour ! Devant son compatriote Yan Bradbury (Blue Haze) et l’Italien Guiseppe Duca (Cloud) tandis que le Russe Anatoly Loginov (Annapurna) terminait à la dixième place. Une belle redistribution des cartes au classement général puisque quatre équipages sont désormais en lice pour la victoire finale de vendredi. Côté français, Joseph Varoqui (Rusalka) pointe à la treizième place au classement général et semble plus à l’aise dans la brise : il peut encore espérer finir dans le « top ten » des Régates Royales de Cannes…

Classement provisoire des Dragon après sept manches

  1. Guiseppe Duca (Cloud) : 2, 8, 3, 5,7, 17, 3 = 28 points
  2. Anatoly Loginov (Annapurna) : 5, 1, 13, 13, 1, 1, 10 = 31 points
  3. Martin Payne (Bear) : 6, 14, 5, 30, 8, 2, 1 = 36 points
  4. Soren Pehrsson (Blue Lady) : 3, 7, 2, 10, 17, 24, 6 = 45 points
  5. Helmut Schmidt (Kleine Brise) : 7, 4, 9, 20, 44, 21, 4 = 65 points

Un prix à prendre…

Le Pyta, Prix du Yacht de Tradition créé en 2009 sous l’égide du magazine Les Echos-Série Limitée, sera décerné une nouvelle fois lors du salon nautique de Paris, mais le choix des vainqueurs par catégorie aura lieu le 9 novembre prochain. Deux pré-sélections ont déjà eu lieu et la troisième a débuté le 15 septembre et court jusqu’au 12 octobre : les propriétaires de yachts classiques peuvent donc encore s’inscrire auprès du Pyta et rejoindre les bateaux déjà sélectionnés dans les trois catégories retenues :
Vintage aurique : Nan of Fife, OWL, Javelin
Vintage Marconi : Chisando, Oiseau de feu
Classique Marconi : Sonda, Palynodie II, Hilaria

Un jour, un bateau

C’est un nom qui a marqué les esprits, non seulement en Italie mais dans tout le monde passionné de la voile. Certes le premier des Il Moro de Venezia n’est pas le plus connu, mais c’est celui qui entraîna le célèbre entrepreneur italien Raul Gardini à s’investir dans la Coupe de l’America en 1992 avec une magistrale victoire lors de la Louis Vuitton Cup ! Le premier du nom présent aux Régates Royales de Cannes, fut construit en 1976 au chantier Carlini de Rimini en strip planking : c’était l’un des premiers Maxi Yachts IOR. German Frers, l’architecte naval argentin, signait ainsi le premier d’une longue série ! Le troisième du nom fut en effet sacré Champion du monde en 1988… Il Moro de Venezia était un prototype assez innovant avec son mât de 27 mètres conçu par Ted Hood : il remporta la Channel Race en 1977 et vira en tête le Fastnet quelques semaines plus tard.
L’année suivante, il traversa l’Atlantique pour participer aux régates du SORC à Miami et fut l’un des grands animateurs de la classique vers Nassau. Le voilier italien s’adjugea nombre de trophées nationaux et internationaux sur le circuit IOR notamment lors de la dramatique Fastnet Race de 1979 et le record de la Barcolana à Trieste en 1987 qu’il conserva jusqu’en 2005…
Raul Gardini fit ensuite construire cinq Class America pour la Louis Vuitton Cup de 1992 (ITA-1, IT1-7, ITA-15, ITA-16, ITA-25), le dernier s’imposant face au prétendant néo-Zélandais par cinq victoires à quatre ! Mais le team italien dut s’incliner pour la Coupe de l’America face à America3 de Bill Koch… Un nouveau Maxi Yacht, Il Moro di Venezia IX prit la suite (ex-Windward Passage II), mais la mort de l’entrepreneur italien mit fin à la saga des « Maures de Venise ».

Caractéristiques de Il Moro de Venezia

  • Architecte : German Frers
  • Constructeur : Carlini (Rimini)
  • Mise à l’eau : 1976
  • Longueur : 21,41 m
  • Flottaison : 18,10 m
  • Largeur : 5,08 m
  • Surface GV : 65,2 m2
  • Surface génois : 116,8 m2

Une date, une classe

Les 5.5mJI, 6mJI, 8mJI comme les 12mJI (retenus pour la Coupe de l’America de 1958 à 1987), 15mJI et d’autres classes qui n’ont pas perduré, découlent tous de la jauge métrique imaginée en 1906 à Londres. À cette époque, le yachting se développe de plus en plus dans toutes les nations maritimes, des États-Unis à l’Allemagne, de l’Australie à l’Espagne, de la Suisse à la Scandinavie, de la France à l’Italie… Mais quasiment chaque nation, voir chaque région ou chaque club adopte une jauge spécifique qui génère des voiliers très typés pour leur plan d’eau d’origine. Peu de confrontations internationales existent si ce n’est sur le lac Léman ou sur la côte Sud de l’Angleterre.

Ces jauges sont dites à « restrictions » c’est-à-dire qu’elles limitent la valeur d’un certain nombre de paramètres pour garantir une similitude de performances, sans pour autant imposer de concevoir des bateaux identiques (monotypes). En 1901, le New York Yacht Club prend l’initiative de refondre la Jauge Universelle sous la houlette de l’architecte Nathanaël Herreshoff. Les Allemands, les Scandinaves, les Anglais et les Français répondent présents lors de la réunion de Londres de 1906 qui crée la Jauge Internationale (JI) à l’origine de dix classes, des 5mJI aux 23mJI au futur plus ou moins glorieux. Trois années plus tard, 195 unités de Jauge Internationale régatent en Europe, dont quatre-vingt-onze 6mJI, cinquante-neuf 8mJI, vingt-deux 10mJI, quatorze 12mJI et neuf 15mJI ! Les Américains ne tardent pas eux aussi à se rallier à cette jauge dite « métrique » qui prend en compte la longueur à la flottaison, la section immergée de la coque, le franc-bord et la surface de voile.

Dès 1907, les plus grands architectes se penchent sur cette jauge et en particulier sur les « Eights » qui, avec leurs quatorze mètres de long, leurs 80 m2 de voilure au près et leurs neuf tonnes, permettent de jouer sur nombre de paramètres pour trouver la bonne équation. Les Ecossais Alfred Mylne et William Fife, les Norvégiens Johan Anker (le père du Dragon) et Bjarne Aas, les Anglais Morgan Giles et Charles Nicholson, l’Américain Olin Stephens, les Français Thierry Guédon, François Camatte, André Mauric… s’essayent sur cette classe olympique de 1908 à 1936 ! À partir de 1958, ce sont les 12mJI qui font le spectacle grâce à leur adoption par la Coupe de l’America et le bois fait place à l’aluminium puis aux matériaux composites (à l’exclusion du carbone). Les autres Métriques suivent l’évolution qui induit la séparation du safran et de la quille, l’installation de trimmer (aileron mobile derrière la quille)…

À Cannes, les Régates Royales regroupent ainsi plusieurs « métriques » célèbres. Les plus renommés des architectes de cette jauge très particulière qui est encore très dynamique avec les 5.5MJI, 6mJI et 8mJI sont représentés à l’image de Mariska (Fife 1908), l’un des « survivants » sur les quatre encore en état parmi les 15mJI. Seven Seas of Porto (Clinton Crane 1935) est le plus ancien représentant des 12mJI venus dans les eaux cannoises tandis que chez les 8mJI, le célèbre Aile VI (Pierre Arbaut 1928) rappelle le talent et le caractère de Virginie Hériot qui l’emmena sur la plus haute marche du podium lors des Jeux Olympiques de 1928 en Hollande… Il doit faire face à Helen (Alfred Mylne 1936) et France (François Camatte 1937). Enfin, l’un des plus anciens 6mJI présent aux Régates Royales est Nada (William Fife-1929)… Tous les grands maîtres de l’architecture navale et de la voile au contact se sont testés sur la Jauge Métrique et briller dans ces classes reste toujours un challenge difficile !

Source

Soazig Guého

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