Douche… écossaise

© James Robinson Taylor

L’architecte naval et constructeur écossais serait heureux de cette deuxième journée des Régates Royales-Trophée Panerai : William Fife a en effet signé douze des yachts classiques répartis dans les six catégories par ce mercredi caractérisé d’une alternance de brise et de calmes, de soleil et de pluie diluvienne. Noyés sous le monumental grain, les équipages ont dû composer avec une brise à géométrie variable…

Nan of Fife (1896), Pen Duick (1898), Iona (1899), Moonbeam of Fife 3 (1903), Mariska (1908), Mariquita (1911), Moonbeam 4 (1914), Hallowe’en (1926), Cambria (1928), Eilean (1936), Vanity V (1936), et la réplique Sunshine (2003) sont tous des plans de la famille William Fife présents à Cannes. Et si Shamrock V s’imposait une nouvelle fois en temps réel, c’est encore le Dilong de Jacques Fauroux (Catleya) qui gagne chez les Spirit of Tradition. Et parmi les Classiques, Arcadia signe sa première victoire aux 34èmes Régates Royales de Cannes, le petit Dainty chez les Marconis de moins de 15m et Leonore parmi les plus de quinze mètres, Thendara chez les Big Boat et Bona Fide chez les Aurique.

Car la brise était pour le moins taquine : d’abord partie se dégourdir les jambes au grand large, elle s’installait sur les coups de midi sous forme d’un zéphire allégé venu d’Orient. La baie de La Napoule avait des allures de lac et le premier signe, fut une imposante boule de coton qui s’accrochait sur les reliefs de l’Estérel en virant à l’encre de Chine. Ainsi parties dans une brise de secteur Est à Sud-Est de cinq nœuds environ, les différentes séries s’élançaient chacune leur tour vers une bouée de dégagement avant d’enrouler le parcours rectangulaire de 9,2 milles. Mais voilà : Éole devait avoir oublié son ventilateur puisque quelques quarts d’heure plus tard, le souffle s’envolait dans les cieux. Flip-flop, les voiles battaient la chamade, les coques gigotaient bord sur bord, les étraves se rafraichissaient au gré de la houle sur une Grande Bleue qui basculait dans le noir.

La nuée de Noé

Un gigantesque cumulonimbus s’épandait alors telle une pieuvre sur la baie de La Napoule, déversant ses liquidités comme un canadair tentant de circoncire un feu de forêt de mât. Bref, le déluge aspirait tout brin d’air et sauçait plus qu’abondamment les équipages surpris par cette avalanche moite et humide : les cirés s’extrayaient des antres boisées pour instiller des touches de couleurs dans ce sombre tableau noir. Et quand le robinet céleste ferma ses vannes, un calme soudain remplit l’atmosphère chargée d’Ampères. Le vent tournicotait en s’emmêlant les quadrants, les yachts virevoltaient sur eux-mêmes comme piqués d’une dingue tropicale sur une houle épileptique, les équipages ahanaient sur le chanvre imbibé, les voiles dégoulinaient du jus nuageux et les skippers tentaient de reprendre leur fil d’Ariane : la prochaine bouée à virer…

La nuée de voiliers disséminés dans la baie sous l’effet du céleste déluge se devait désormais de composer avec un clapot dysharmonique et des miasmes souffreteux. Heureusement, le flux asthmatique se réorganisait en une brise de secteur Sud qui remit toute la flotte d’aplomb sous un soleil retrouvé : les marins séchaient dans les filières comme une brochette de cormorans exposant leurs plumes graisseuses car le vent proposait enfin une dizaine de nœuds pour en finir sur ce parcours réduit. Seul Milena ne pouvait conclure : sa ferrure de pataras s’étant désolidarisée sous l’effort, le mât s’écroulait en deux morceaux et l’équipage de Jacques Anderruthy rejoignait au moteur la marina pour éclaircir le capharnaüm.

Sur un nuage…

Cette quatrième manche pour les quarante-trois Dragon pourrait bien être le tournant du match ! Car à l’issue de cette première régate de mercredi courue en baie du Golfe Juan dans une brise de cinq nœuds (et moins) de secteur Nord-Est, les écarts commencent à se creuser entre les trois premiers et leurs poursuivants… En fait, les équipages ont dû composer d’abord avec un vent relativement stable pour le premier aller-retour de ce parcours banane, avec un bord privilégié à gauche du plan d’eau, mais surtout avec une brise évanescente et volage sur le deuxième près. La flotte se scindait alors en deux groupes et il devenait difficile de déterminer qui allait le mieux s’en sortir puisqu’une première bascule favorisait les partisans du bord à terre et une deuxième, les afficionados du large. Match nul au final ou presque mais les frères italiens Massimo et Tomaso Buzzi épaulé par Marco Borzone (Little Hook) franchissaient les premiers la ligne d’arrivée.

Ils étaient suivis par l’Américain Edward Simmons (Grendel) et par l’Allemand Timann Krackhardt (Hausdraken) alors que le Britannique Ivan Bradbury (Blue Haze) terminait troisième. L’Italien Guiseppe Duca avec comme équipiers les Français Jean-Sébastien Ponce et Guillaume Berenger (Cloud) prenait la cinquième place, ce qui le propulsait en tête au classement général provisoire. Car les autres favoris étaient à la peine dans le petit temps : le leader d’hier, le Danois Soren Pehrsson (Blue Lady), le Russe Anatoly Loginov (Annapurna) et l’Allemand Helmut Schmidt (Kleine Brise) terminaient respectivement 10e, 13e et 20e… Le Comité de Course renvoyait tout le monde au port suite à un énorme grain de pluie qui lessivait le plan d’eau et annihilait le vent.

Finalement, une légère brise de secteur Sud balayait la baie de La Napoule juste avant 16h et les Dragon reprenaient la mer pour une cinquième manche… Que le Russe Annapurna remportait (devant le Dragon britannique Jerboa et son compatriote Sunflower) pour rebondir à la deuxième place au général derrière l’indécrochable Italien Cloud qui finissait 7ème de cette manche plus musclée : une bonne quinzaine de nœuds de Sud. Mais il reste encore deux jours de régates avec normalement un beau jeudi sous le soleil et par une jolie brise, et les trois leaders actuels ne sont pas à l’abri d’une contre-performance à l’image des dix équipages qui ont dû s’abstenir de régater suite à un départ anticipé sous pavillon noir (BFD) ce mercredi matin…

Une date, une classe

Tout comme les Régates Royales organisées pour la première fois en 1929 en l’honneur du roi Christian X du Danemark, le Dragon fête ses quatre-vingt-trois ans d’existence ! Long de 8,90 mètres, large de 1,95 m, déplaçant 1 700 kg pour 27,7 m2 de voilure au près, ce monotype dessiné par Johan Anker en 1929 compte plus de 3 000 exemplaires dans le monde. Il fut même sélectionné pour les Jeux Olympiques de 1948 à 1972, le Norvégien Thor Thorvadlsen s’imposant à Londres (1948) et Helsinski (1952), le Suédois Folke Bohlin à Melbourne (1956), le Grec Constantin II à Rome (1960), le Danois Ole Berntsen à Tokyo (1964), l’Américain George Friedrichs à Mexico (1968) et l’Australien John Cuneo à Munich (1972).

C’est à la suite d’un concours organisé par le Royal Göteborg Yacht Club en 1927 afin de créer une classe monotype économiquement abordable pour trois équipiers, que l’architecte norvégien pourtant membre du jury, remporte la mise… Le premier 20m2 (le premier nom du Dragon) est construit en 1928, mais il est réellement diffusé en série en 1929. Il conquiert l’Ecosse en 1935, puis Cowes au point que la future reine Elizabeth reçut en cadeau le Dragon Bluebottle ! Modifié en 1945, le plan de voilure gagne en surface avec 27,7m2 au près et surtout un spinnaker. Les Français commencent à constituer une flotte après la seconde guerre mondiale, principalement à Deauville, en Bretagne et à Arcachon. Chasse gardée des Scandinaves pendant des décades, les régates de Dragon sont désormais souvent dominées par les équipages venus de l’Europe de l’Est : Russes, Ukrainiens, Slaves… Mais à 68 ans, c’est encore le Danois Poul Richard Hoj Jensen qui reste une référence dans cette série !

Le nom du bateau serait dû à une erreur de prononciation : lorsque Anker présenta son bateau à la Fédération Internationale de Voile (désormais ISAF) pour être reconnu série internationale, un traducteur mentionna son nom sous le terme « Draggen », et les Britanniques comprirent que les Norvégiens prononçaient mal la langue de Shakespeare… et traduisirent « Dragon » ! Le monotype devint classe olympique en 1948 à Londres jusqu’aux Jeux de Munich en 1972. En 1970, les mâts purent être extrudés en aluminium et grâce aux efforts de Borge Borresen, les coques en stratifié furent acceptées en 1973. 1 391 unités ont été recensées en 2012 qui participent à des courses dans le monde entier, soit au sein de vingt-neuf nations, la France étant le troisième pays d’accueil des Dragonistes (102) après l’Allemagne (432) et la Grande Bretagne (116) ! Une cinquantaine de nouvelles unités sont construites tous les ans essentiellement par les chantiers Vejle Yacht Service (Danemark), Borresen (Danemark), Doomernik Dragons (Pays-Bas), Markus Glas (Allemagne), Petticrows (Grande Bretagne) et Ridgeway Dragons (Australie).

Caractéristiques du Dragon :

  • Longueur de coque : 8,90 m
  • Largeur : 1,95 m
  • Tirant d’eau : 1,20 m
  • Déplacement : 1 670 kg
  • Lest : 1 000 kg
  • Surface GV : 16,00 m2
  • Surface génois : 11,70 m2
  • Surface spi : 23,60 m2

Un jour, un voilier

Le cotre aurique Bona Fide fut construit sur l’île de Wight au chantier Albert Yard en moins de deux mois ! Entièrement remis à neuf dès 1999 par son nouveau propriétaire, l’Italien Guiseppe Giordano, au chantier naval Dell’Argentario (Toscane) et après trois années de restauration, ce plan de Charles Sibbick fut conçu à l’origine selon la jauge des 5 Tonneaux pour J. Howard Taylor en 1899 : Bona Fide remportait d’ailleurs la médaille d’or des voiliers de 3 à 10 tonneaux (5ème série) lors des Jeux Olympiques de Paris en 1900. Quatre jours étaient consacrés à cette première épreuve internationale sur la rivière de Meulan pour les cinq premières séries, la sixième se déroulant au Havre à cause du tirant d’eau des voiliers de plus de 10 Tonneaux, mais sur une seule journée, une seule régate par série était lancée le 27 mai pour les 3 à 10 Tonneaux.

Tous les bateaux couraient selon la jauge dite Godinet de 1892 et onze bateaux étaient partants dans la série de Bona Fide mené par J. Howard Taylor, Edward Hore et H.N. Jefferson : le cotre s’imposait sur ce parcours de 19km bouclé en 3h35’12 devant le 10 Tonneaux Turquoise de Mr Michelet (3h44’27) qui fut disqualifié a posteriori pour un refus de tribord sur Mascaret, et les deux 3 Tonneaux Gitana de Mr Gufflet et Frimousse de Mr Mac Henry. Mr. Martin demandait la mise hors de course de Bona Fide pour ne pas avoir pris part à la course du 20 mai (obligatoire mais ne comptant pas pour le classement final). Mais le Jury écarta cette réclamation pour le motif suivant : « Si Bona Fide n’assistait pas à la course d’honneur, c’est uniquement par suite d’un retard survenu en cours de route, qui ne saurait être imputable à son propriétaire et doit être considéré comme un cas de force majeure. »

Caractéristiques de Bona Fide

  • Architecte : Charles Sibbick
  • Année-constructeur : 1899-Albert Yard (Cowes)
  • Armateur : Guiseppe Giordano
  • Longueur HT : 13,62 m
  • Longueur de coque : 9,69 m
  • Flottaison : 8,90 m
  • Largeur : 2,57 m
  • Tirant d’eau : 1,86 m
  • Déplacement : 11,4 t
  • Voilure au près : 144 m2

Source

Soazig Guého

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