Collés-serrés !

© Lloyds Images

En remportant la deuxième étape entre Dun Laoghaire et Cascais, Spindrift racing prend la tête au classement général devant FONCIA qu’il devance au Portugal de seulement deux milles ! Bonne opération aussi pour Musandam-Oman Sail qui, grâce à sa troisième place devant Groupe Edmond de Rothschild grimpe d’un cran au général. Raccourcie à 975 milles, cette étape a été caractérisée par sa variété météorologique et par son intensité sur l’eau : chaque équipage a été successivement leader…

Le fait de naviguer sur des monotypes laissait bien entendre que les courses du MOD70 European Tour allaient être fort disputées, mais de là à imaginer que les arrivées allaient être aussi compactes que pour une Solitaire du Figaro, il y avait un pas que peu d’observateurs anticipaient. Or si les manches des City Race avaient donné le ton avec parfois trois bateaux en quelques secondes sur la ligne d’arrivée comme à Kiel, les deux premières étapes hauturières ont été du même acabit ! Soixante-dix sept secondes à Dun Laoghaire entre FONCIA, Spindrift racing et Groupe Edmond de Rothschild, quelques centaines de mètres entre les quatre premiers à Cascais… Les visages émaciés des équipages à l’arrivée portugaise au petit matin ce mercredi, reflétaient bien la tension extrême qui a prévalu tout au long des 975 milles de cette deuxième étape.

A vue en permanence

L’arrivée à Cascais était de ce point de vue incroyable : alors que les trimarans déboulaient dans la dernière ligne droite à plus de trente nœuds de moyenne dans un nouveau flux de Nord vingt nœuds, le leader se plantait sous les reliefs de l’embouchure du Tage à moins de deux nœuds ! Ce différentiel énorme ramenait toute la flotte qui concédait quelques minutes auparavant une douzaine de milles de retard, en quelques centaines de mètres : quatre trimarans tentaient de trouver une bouffée d’air dans cette fin de nuit sans lune, et au fil des minutes, Spindrift racing voyait son leadership avaler par FONCIA, qui lui-même se faisait dépasser par Musandam-Oman Sail tandis que Groupe Edmond de Rothschild était en embuscade à quelques mètres !

Ce ballet final au gré des minces filets de vent qui caractérisaient cette brise thermique en voie de disparition mettait une tension incroyable sur le plan d’eau : Yann Guichard, Léo Lucet, Pascal Bidégorry, Jacques Guichard, Yann Eliès et Thierry Douillard arrivaient tout de même à en finir sous gennaker dans un souffle, à peine à deux nœuds… Et derrière à moins d’un mille, trois MOD70 se dépatouillaient sur une mer aussi lisse qu’un miroir alors que le soleil pointait à l’horizon : le Tage prenait des couleurs incandescentes et un coup de chaud montait dans les cockpits. Musandam-Oman Sail trop près de la digue de la marina de Cascais était contraint de virer de bord, mais avec ce vent presque nul, la manœuvre n’était pas aisée : FONCIA réussissait alors à coiffer le voilier omanais alors que Gitana glissait sous génois. Six minutes d’écart (mais seulement cent mètres de delta) entre le deuxième, Michel Desjoyeaux et le troisième, Sidney Gavignet, lui-même à peine cinq minutes (et cent mètres aussi de décalage) devant Sébastien Josse. Quant à Stève Ravussin, il fermait la marche un quart d’heure plus tard !

Resserrement en tête

Et si sur la première étape entre Kiel et Dun Laoghaire, Spindrift racing avait menait le bal presque toute la course, il n’en a pas été de même sur ce parcours raccourci à 975 milles : Race for Water prenait le commandement juste après le parcours préliminaire en baie de Dublin qui sacrait Groupe Edmond de Rothschild (3 points de bonus), mais un problème de blocage de grand-voile (hook) faisait perdre plus d’une heure à Stève Ravussin et ses hommes. Michel Desjoyeaux et son équipage prenait le relais en tête, puis Yann Guichard au passage du Fastnet, après 200 milles de louvoyage musclé dans vingt à trente nœuds de Sud-Ouest.

A suivre, la longue descente derrière un front en mer d’Irlande puis dans le golfe de Gascogne ne permettait pas d’options marquées : le leader creusait un peu l’écart (une dizaine de milles) sur ses quatre poursuivants dans un flux de secteur Sud-Ouest quinze nœuds qui tardait à basculer au Nord-Ouest. En abordant une dorsale anticyclonique venue des Açores, les trajectoires s’incurvaient en « aile de mouette » pour accélérer dès la pointe de Bretagne passée très au large. Et c’est en milieu de nuit lundi que les équipages déclenchaient leur premier empannage dans un vent qui tournait au Nord-Est en forcissant à l’approche du cap Finisterre. Sidney Gavignet en profitait pour prendre la direction des opérations en se décalant plus à l’Ouest avec Sébastien Josse.

Traverser la transition

Une dorsale au Nord, une dépression à l’Ouest et un marais barométrique collé à la péninsule ibérique : impossible de ne pas traverser cette zone de vents faibles au large de Porto ! Dans un cercle de dix milles, les cinq équipages des MOD70 savaient qu’une fois l’effet Venturi du cap Finisterre passé à trente nœuds de moyenne (!), tout le monde allait se retrouver dans une grosse molle programmée pour la fin de cet après-midi de lundi. Une zone de près de soixante milles de large que les fichiers météo n’arrivaient pas à cerner précisément. Les navigateurs appréhendaient légèrement différemment ce système météo éphémère et volage, Musandam-Oman Sail et Groupe Edmond de Rothschild plus au large, Spindrift racing et FONCIA au centre, Race for Water plus à terre. Mais avec seulement une vingtaine de milles de décalage latéral.

Et dès que le soleil commença à sombrer derrière l’horizon, le vent partit en quenouille : un premier empannage collectif au large de Figueira da Foz enclenchait une grande courbe de l’Est vers le Sud. Stève Ravussin était décroché, mais les quatre autres MOD70 étaient à touche-touche… Le vent de Nord attendu tardait à percer cette bulle et ce n’est qu’à 3h mercredi matin que Yann Guichard et ses hommes piquaient en premier vers le Tage : bonne pioche car la brise prévue à une dizaine de nœuds montait à plus de vingt nœuds ! L’accélération était au rendez-vous avec trente-deux nœuds au compteur alors qu’il ne restait plus que cinquante milles à parcourir. Et finalement, malgré les rebondissements de dernière minute dans les calmes de la baie de Cascais, la hiérarchie du moment se retrouvait la même à l’arrivée. Mais avec des écarts infimes…

Le tiers d’un tour

Le bilan est positif pour Yann Guichard et ses hommes qui s’adjugent ainsi la tête au classement général, mais avec un seul point d’avance sur Michel Desjoyeaux et son équipage. Les deux teams semblent un petit cran au-dessus de leurs concurrents, mais cette étape montre que le niveau se resserre par le haut. Sidney Gavignet peut aussi être content de cette deuxième étape qui lui permet de devancer Stève Ravussin au classement général.

L’escale de Cascais va distribuer pas mal de points puisque les MOD70 vont enchaîner trois jours de régate dans le Tage (vendredi, samedi, dimanche) puis s’élancer sur un parcours côtier le long du Portugal pour 24h de course lundi. Douze points pour le meilleur équipage sur la City Race, cinquante points pour le tour du Portugal… Il y a de quoi chambouler la hiérarchie !

Ils ont dit

Yann Guichard (Spindrift racing)

« Encore une arrivée sur le fil ! Incroyable : ça s’est resserré encore une fois… Cinquante milles avant l’arrivée, on a réussi s’échapper un peu du peloton et gagner cette deuxième étape qui fut vraiment dure. La première était exigeante physiquement, mais là, on a tiré sur les bonhommes, on a très peu dormi. Avec des conditions extrêmement variées, à l’image de l’arrivée où on passe de trente nœuds à deux nœuds en quelques minutes, à seulement cinq milles de la ligne ! Cela a été comme ça pendant presque toute la manche, des changements d’intensité qui sollicitent le bateau et surtout les hommes : nous n’avons pas arrêté de manœuvrer parce que nous avions un peu les nerfs…
On a fait une superbe première nuit le long des côtes irlandaises et on passe en tête au Fastnet, alors se faire dépasser comme cela nous est arrivé avant le cap Finisterre, ça nous a mis la pression. On a saisi notre chance sur la fin trois heures avant le dernier empannage au large de Péniche. Juste avant, FONCIA sous notre vent nous a déposé sur place et quelques heures plus tard, on s’est retrouvé sous son vent ! Et dès que le pointage de minuit et demi est tombé, on a empanné discrètement dans la nuit sans lune pour aller chercher les premiers le vent de Nord que nous espérions plus à terre.
Pas de problème technique à bord, mais physiquement on arrive rincé, épuisé et surtout nerveusement cramé : il y a tout le temps du stress parce qu’on voit en permanence un autre bateau, et il n’y a pas une seconde de répit. Et l’arrivée dans la pétole était le summum : on s’est dit que ça allait se terminer comme la première étape quand on a vu revenir nos concurrents derrière la pointe de Cascais ! On a réussi à tenir avec un peu de chance parce que nous sommes arrivés avec le dernier souffle de la légère brise thermique… »

Michel Desjoyeaux (FONCIA)

« Un final pointu dont on se serait bien passé ! On finissait à toute allure sur les côtes portugaises à près de trente nœuds de moyenne depuis plusieurs heures et alors que nous nous préparions à changer de voiles pour contourner les deux dernières marques de parcours, le vent s’est complétement cassé la figure… En pleine nuit, on ne savait pas si cela allait durer deux minutes ou deux heures et la brise a tourné dans tous les sens avec du courant de marée contraire. Nos poursuivants ont eu le temps de réagir et nous ont même dépassé. On a finalement réussi à les passer sur des choix de bord pas faciles à prendre ici, à Cascais : avec le jour qui se levait, le vent était mal distribué entre la brise nocturne qui disparaissait et le nouveau vent qui s’installait tout doucement.
Le mal était fait quand Spindrift racing a empanné en premier au milieu de la nuit dernière : nous étions en tête mais on a navigué un peu trop près du vent quand il a réussi à glisser. Il est arrivé par derrière et nous a dépassé : une fois en route directe vers Cascais, il n’y avait plus grand-chose à espérer, si ce n’est un coup de Jarnac sur la ligne.
Le rythme a été soutenu toute l’étape avec de belles pointes de vitesse après une grosse bataille le long de l’Irlande : nous avons dû faire vingt-six virements de bord sous trinquette et un ris dans la grand-voile ! Puis de grands bords vent de travers sous gennaker ou génois dans de la mer pas toujours plate, puis finir à trente… et trois nœuds. C’était mou du genou et on ne s’y attendait pas du tout.
On a galéré avec notre safran central qui s’est relevé, probablement sur un choc avec un objet flottant : le cordage s’est coincé et nous avons mis beaucoup de temps à réparer. Nerveusement, il y a eu des moments incertains : on ne savait vraiment pas comment on allait se sortir de la zone de calmes avec deux bateaux qui s’étaient légèrement échappés (Musandam-Oman Sail et Groupe Edmond de Rothschild). Mais si on a pu sortir en tête de cette pétole, ça n’a pas suffi puisque Spindrift racing s’est échappé : on s’est un peu endormi… »

Sidney Gavignet (Musandam-Oman Sail)

« Tout s’est joué à trois cents mètres de la ligne d’arrivée… Et je crois que se sera souvent le cas puisque nous arrivons à chaque fois tout près des côtes. Aller bien dans le petit temps comme Foncia, c’est un bon atout. Leur équipage a compris comment faire marcher un MOD70 dans la pétole : cela leur a servi la nuit dernière et sur cette arrivée. Mais nous sommes contents parce que nous avons appris encore et encore : on comble une partie de notre déficit au fil des manches.
On s’était bien décalé dans l’Ouest mardi après-midi pour avoir un meilleur angle pour le dernier sprint vers Cascais, mais tout le monde attendait dix nœuds de secteur Nord et il y a eu vingt nœuds ! Et en étant à l’extérieur du virage, on a eu un peu moins de vent que les autres quand la brise est rentrée. On s’est un peu trompé, mais ce n’était évident pour personne : il n’y a pas de regrets à avoir. Nous ne sommes pas encore aussi à l’aise dans le petit temps que les deux leaders : cela nous fait douter parfois et ce n’est pas bon.
C’était une belle étape, en particulier le long des côtes irlandaises, même si nous avons un peu moins bien négocié l’atterrissage sur le Fastnet. Nous avons trouvé la vitesse au près dans la brise.
On gagne tout de même une place au classement général : il y a de quoi remonter du terrain. Mais nous faisons encore trop de « boulettes », or la monotypie ne pardonne pas les erreurs si petites soient-elles ! Nous ne sommes pas encore au niveau pour les City Race mais nous avons eu aussi des « tuiles » avec notre équipage (malade, blessé). Mais c’est en voie d’amélioration au fil des manches : les deux leaders sont un cran au-dessus, mais le delta se réduit… »

Sébastien Josse (Groupe Edmond de Rothschild)

« Les conditions de navigation ont été très variées depuis le départ de Dun Laoghaire avec beaucoup de retournements hiérarchiques. On a commencé avec de la brise contraire dans le canal Saint-Georges et en mer Celtique jusqu’au Fastnet, puis nous avons rattrapé le front et sommes entrés dans une dorsale anticyclonique. Et à la fin, il a fallu traverser une zone sans vent au large du Portugal, pour finir avec du vent soutenu jusqu’au Tage. Il y a donc eu de tout côté météo et cela ne s’est pas joué seulement à la fin : il fallait en permanence être au contact et cela demande beaucoup de concentration et d’efforts. Les tout derniers milles n’ont finalement pas changé grand-chose.
On s’était judicieusement décalé mardi après-midi pour réaliser notre trajectoire en « aile de mouette » dans l’anticyclone : c’était plutôt propice à une bonne option, mais la zone de transition avec des calmes au large de Porto a totalement redistribué les cartes. Les modèles n’étaient pas d’accord et il y a eu une part de malchance sur ce coup. On essaye de se raccrocher à une donnée numérique, mais elle ne correspond pas toujours à la réalité du terrain. Or une fois dans les calmes, on a vu Spindrift racing toucher un peu plus de pression plus dans l’Est : il était trop tard pour recoller… Il y a toujours une part de risque dans une option !
Nous n’avons eu aucun problème technique à bord, à part un petit plantage électronique en Manche, sans conséquence. »

Stève Ravussin (Race for Water)

« C’est forcément décevant d’être cinquième sur cinq ! Mais c’est un petit manque de qualités de notre équipe parce que nous n’avons pas encore assez de rigueur suisse. En fait, on perd une bonne heure avant le Fastnet avec notre histoire de hook qui ne marchait plus quand nous voulions renvoyer la toile. Avec des monotypes et des équipages de ce niveau, il n’y a pas le droit à l’erreur… On a tout de même réussi à revenir au contact le long des côtes du Portugal et nous avons essayé une option qui n’a pas marché : c’était trop tôt. Mais quand on est leader, on prend certaines décisions qui ne sont pas les mêmes que celles des poursuivants, a fortiori celles du dernier. Le but est de gagner, pas de terminer quatrième… Cela n’a pas payé. Tant pis.
Après le départ de Dun Laoghaire, on avait creusé l’écart avec une bonne vitesse au près dans la brise. Notre navigateur Franck Cammas avait bien négocié ce début d’étape. Mais on a aussi des progrès à faire au niveau manœuvres : nous n’avons pas eu autant de temps pour nous entraîner que les autres teams. On voit tout de même que ces MOD70 vont très vite : en moins de six jours, nous avons fait Kiel-Dun Laoghaire-Cascais ! Ce sont vraiment de belles régates. »

Arrivées à Cascais (heure française)

  1. Spindrift racing (Yann Guichard) le 12 septembre à 7h 37’ 36 : 2j 15h 37’ 36 à 15,5 nœuds de moyenne
  2. FONCIA (Michel Desjoyeaux) à 8h 26’ 49 : 2j 16h 26’ 49
  3. Musandam-Oman Sail (Sidney Gavignet) à 8h 33’ 22 : 2j 16h 33’ 22
  4. Groupe Edmond de Rothschild (Sébastien Josse) à 8h 37’ 36 : 2j 16h 37’ 36
  5. Race for Water (Stève Ravussin) à 8h 53’ 30 : 2j 16h 53’ 30

Classement du MOD70 European Tour

(Kiel City Race + 1ère étape avec bonus + Dun Laoghaire City Race + 2ème étape avec bonus)

  1. Spindrift racing (Yann Guichard) 11+47+12+52 = 122 points
  2. FONCIA (Michel Desjoyeaux) 12+53+10+46 = 121 points
  3. Groupe Edmond de Rothschild (Sébastien Josse) 10+44+11+41 = 106 points
  4. Musandam-Oman Sail (Sidney Gavignet) 9+34+8+42 = 93 points
  5. Race for Water (Stève Ravussin) 8+38+9+35 = 90 points

Source

Caroline Muller

Liens

Informations diverses

Sous le vent

Au vent

Les vidéos associées : European Tour

Les vidéos associées : MOD70