Et les derniers seront les premiers…

  • © Alexis Courcoux
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Il y a souvent des grands moments de bonheur sur une Solitaire du Figaro. Des instants inoubliables pour le vainqueur, des énormes satisfactions quand sur une étape un marin termine sur le podium, et des états de grâce quand le résultat paie après avoir tout donné. Mais, il y a parfois des larmes, des coups de gueule, de gros moments de doute, un moral qui dégringole, une immense déception quand après avoir bataillé, on se retrouve « lanterne rouge »… Sur cette deuxième étape de la 45e édition de La Solitaire du Figaro – Eric Bompard cachemire, les marins du bas du classement se sont confiés à terre. Des champions déçus, mais doublement méritants….

Participer à cette course difficile parce qu’elle est en solitaire et sur des bateaux identiques, n’est pas anodin. Peu d’amateurs s’y sont frottés. Dans le jargon, on parle du plateau de coureurs comme étant « le gratin de la course au large ». Sur cette épreuve d’endurance, personne n’accède à la victoire en claquant des doigts. Yann Eliès (Groupe Quéguiner-Leucémie Espoir) n’a t’il pas mis 7 ans (7 participations) avant de remporter une manche ? Gildas Morvan (Cercle Vert) qui a fait ses débuts en 1993 sur La Solitaire, n’a t’il pas gagné sa toute première étape qu’en 1999 ?

Une école de patience et de gestion de soi

« C’était dur, j’ai trouvé que c’était ingrat, je n’ai pas l’impression d’avoir fait de grosses erreurs, et mes petites erreurs je les ai payées très cher. Parfois, on est désespéré, mais j’ai une règle d’or, c’est de limiter la perte » racontait Isabelle Joschke (Generali Horizon Mixité) quelques heures après son arrivée à Roscoff. Sur la Solitaire du Figaro-Eric Bompard cachemire, il y a des manches où rien ne se passe comme on veut. Les premiers sont les premiers à toucher du vent, les premiers sont les premiers à glisser avec le courant… Bref, en queue de flotte rien ne va plus ! « Derrière, il faut s’accrocher et donner tout ce qu’on a… En plus, bien souvent, les coups que tu tentes ne marchent pas et tu ne fais que perdre » avouait Frédéric Rivet (DFDS Seaways) à son arrivée. « J’ai eu des opportunités, mais je ne les ai pas prises, je ne sais pas pourquoi. Pourtant, j’ai la sensation d’aller mieux que l’an dernier, donc c’est vraiment énervant… Mais au final, j’aime cette course parce qu’on va au plus loin de soi-même » expliquait l’anglais Sam Goodchild, qui l’an dernier avait plutôt réussi sa course en terminant 11e au classement final.

A 200% pour réduire l’écart

Usant… C’est le terme employé par certains d’entre eux qui probablement dorment moins, s’alimentent peu, se donnent à 200% pour réduire l’écart avec le paquet de tête. Henry Bomby (Red), 23 ans, a vécu son chemin de croix entre Plymouth et le Fastnet : « Cette manche était très dure mentalement. Parfois je crie sur mon bateau, je m’énerve. Parce que je vois les autres partir. Mais, c’est le jeu, je me dis que quelqu’un de très bon peut se retrouver dans une situation pareille. ». Que dire de Gwen Gbick (Made in Midi), dernier arrivé au pays du Léon après une approche plus qu’approximative, voir dangereuse sur l’île de Batz : « J’étais cramé et je n’avais plus d’électronique depuis les Scilly. Je faisais le point sur mes cartes papier. Je n’étais plus du tout lucide. » Chaque année, La Solitaire du Figaro met en concurrence des skippers de haute voltige, mais avant tout des hommes et des femmes au caractère bien trempé qui puisent au fond d’eux même pour tenter de l’emporter. Un mois d’introspection, de gestion de soi, de dépassement de soi, voilà pourquoi la course est belle… quel que soit le résultat.

Les mots des marins sur les pontons de Roscoff.

Gwen Gbick (Made in Midi), 34e au Général à 7h14 :

J’ai eu des soucis d‘informatique à partir des Scilly. J’avais le point GPS, je me positionnais sur les cartes papiers. Je me suis retrouvé décalé à l’Ouest de l’île de Batz avec le courant dans le nez et j’étalais juste contre le courant. La raison de mon erreur, c’est que j’étais cramé. J’ai appris à connaître sur moi, quand j’ai l’impression d‘être lucide, c’est que je ne le suis pas. Je n’ai pas les paupières lourdes, au contraire je me sens bien. Les décisions que j’ai prises, je n’étais pas lucide. La preuve, c’est que je n’ai pas du tout pensé au courant ! Je mets trop d’énergie à tenter de remonter des places et je m’use, je rage sur moi-même, je suis du coup impatient. Je découvre la gestion de soi avec beaucoup de paramètres. Mais je progresse !

Isabelle Joschke (Generali – Horizon Mixité), 24e au général à 4h36 :

Toute la course a été difficile pour moi. J’ai raté ma première nuit, et je pense que beaucoup de choses se sont jouées dès le début : 3 milles de retard se sont transformés en plus 15 milles ; c’était dur, j’ai trouvé que c’était ingrat, je n’ai pas l’impression d’avoir fait de grosses erreurs, et mes petites erreurs je les ai payées très cher. Parfois, on est désespéré, mais j’ai une règle d’or, c’est de limiter la perte. Comme c’est une course au temps, ça impose de rester cohérent où que l’on soit pour ne pas perdre encore plus. Avant, j’aurais peut-être tenté des choses, maintenant j’accepte. C’est une leçon de patience.

Frédéric Rivet (DFDS Seaways), 20e au général à 4h17 :

Ce fut une étape compliquée, où je me suis retrouvé derrière au début et c’est un schéma de parcours où il n’y pas énormément d’options. Il faut pouvoir revenir, mais sur des bords plutôt obligatoires ; les options, ce sont des petits décalages pour attendre le bon phénomène météo et le courant. Quand tu es d’emblée devant ça aide… Je m’étais pourtant mis ça en tête au départ, et puis j’ai été embêté avec Vincent Biarnes (Guyot Environnement) qui m’a bloqué, ça m’a mis de mauvaise humeur. J’ai eu du mal à me remettre dedans du coup. Il faut s’accrocher et donner tout ce qu’on a… En plus, bien souvent les coups que tu tentes ne marchent pas et tu ne fais que perdre. Je savais que les écarts allaient être énormes à l’arrivée. Mentalement c’était dur. Il faut que je joue le podium d’étape maintenant, je n’ai pas le choix !

Sam Goodchild (Team Plymouth), 28e au général à 5h17 :

C’était dur mentalement. Horrible. J’ai pris un bon départ, et à Lizard j’ai fait des bêtises, en remontant le mer Celtique aussi. Parfois je me disais « mais pourquoi je fais ça, qu’est-ce que je fais là ? ». Tu passes tout l’hiver à te préparer pour ça, et tu n’y arrives pas… J’essaye d’enlever ça de ma tête pendant la course sinon je suis super énervé. L‘année dernière comme maintenant j’étais 11e au général, cette année je n’y arrive pas. J’ai la sensation de rien pouvoir faire. Il faut que j’oublie, que je prenne étape par étape. Mon point faible c’est la vitesse. J’ai eu des opportunités, mais je ne les ai pas prises, je ne sais pas pourquoi. Pourtant, J’ai la sensation d’aller mieux que l’an dernier, donc c’est vraiment énervant… Mais au final, j’aime cette course parce qu’on va au plus loin de soi-même.

Henry Bomby (Red), 29e au général à 5h20 :

Il faut que sois patient. Je veux être bon, mais bon maintenant. Je veux faire partie du Top 10, en découdre avec les meilleurs dans le monde. Cette deuxième étape m’a fait me rendre compte que cette régate à armes égales demande du temps pour accéder au top. J’ai parlé avec de nombreux skippers et les entraîneurs à propos de mes frustrations, combien la course est dure, trop dure, comment elle vous détruit mentalement, et combien je suis déçu. Ils me disent que suis jeune (23 ans) et qu’il ne faut pas s’inquiéter, surtout continuer à travailler dur, et ça va venir. Mais je ne vois pas mon âge comme une excuse, Corentin (Horeau), 25 ans, a commencé la voile Figaro la même année que moi et il se classe 2e dans cette manche, donc c’est possible.

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RivaCom

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