Le Spi par Didier Ravon

© Mouchel Vincent - Ouest France

En 1979, Roger Lavialle, directeur général de Ouest-France – dont le fils Pierre dirige Voiles et Voiliers – et Gilles Le Baud, fondateur du chantier Kelt, décidèrent de lancer une grande régate de voiliers habitables à La Trinité-Sur-Mer, chaque week-end de Pâques en baie de Quiberon. 34 ans plus tard, le Spi Ouest-France Intermarché, organisé par Ouest-France – premier quotidien de France – et la Société Nautique de La Trinité-Sur-Mer, reste la plus grande épreuve de voiliers habitables en Europe, mêlant amateurs avertis et professionnels, monotypes et voiliers de série IRC. C’est une institution au même titre que les 24 heures du Mans, les Internationaux de France de tennis à Roland Garros ou la Coupe de France de foot. On y croise aussi bien des régatiers anonymes que les « stars » de la voile française, tous séduits par ce grand rendez-vous de printemps. Comme chaque année, et malgré une conjoncture peu favorable, ils seront près de 450 bateaux et plus de 2 500 régatiers, issus d’une dizaine de nations à converger vers la baie de Quiberon, pour quatre journées intenses de compétition, du 28 mars au 1er avril.

Calendrier grégorien et forts courants
Le Spi Ouest-France Intermarché se dispute toujours lors du long week-end de Pâques, et est calé sur le calendrier lunaire et la liturgie catholique – soit le dimanche qui suit la première lune de printemps. Le calendrier grégorien fixe Pâques entre le 22 mars et le 25 avril. Il a été conçu à la fin du XVI ème siècle, et porte le nom de son investigateur, le Pape Grégoire XIII. Bref, cette année, le « Spi » est tôt en saison. De plus, ce sera une grande marée, et les navigateurs vont devoir intégrer dans leur stratégie de très forts coefficients – jusqu’à 105 – dès le vendredi 29 mars. Bref, il y aura du courant – du jus dans le jargon régatier !

Un quatrième rond de course
Les habitués de l’épreuve trinitaine ont l’habitude d’être dirigés vers trois ronds de régates distincts (les zones de course : ndlr) mouillés en baie de Quiberon. Le rond A, réservé aux plus petits voiliers se situe au cœur de la baie, face à la sortie du chenal du port de la Trinité, le rond B – celui des monotypes – à proximité de la presqu’île de Quiberon, proche de l’École Nationale de Voile et des Sports Nautiques, et le rond C pour les plus grandes unités, un peu plus éloigné, et à vue des îles de Houat et Hoëdic. L’une des particularités de cette merveilleuse baie étant d’être bien abritée des vents d’Ouest dominants, les comités de course peuvent lancer des départs en toute sécurité dans pratiquement toutes les conditions météo, même si une vilaine dépression aborde la Bretagne… ce qui statistiquement est possible quand Pâques est fin mars.
Trois types de parcours sont proposés selon la force et la direction des vents : la « banane » la « super banane » et le « côtier ». Les « bananes » sont des allers-retours entre deux bouées mouillées dans l’axe du vent, et les « côtiers » sont des parcours balisés par des marques et bouées de navigation (cardinales), îles ou cailloux. Mais nouveauté cette année ! Il y aura quatre ronds de course, afin de permettre aux J 80 – la série la plus nombreuse – de régater sur son propre rond (le A). Chacun d’eux est dirigé par un président du Comité de course réputé. Christophe Gaumont qui a notamment officié lors des derniers Jeux Olympiques et Tony O’Gorman seront rejoints cette année par Gilles Bricout et Anne Mallédant-Vadré.

Le grand retour de Gilles Le Baud !
Les régatiers qui n’étaient pas nés dans les années 70 ne savent pas forcément que Gilles le Baud est non seulement l’un des rares double vainqueur de la Solitaire du Figaro… mais aussi l’un des créateurs du Spi Ouest- France Intermarché. Ce marin charismatique au parcours brillant (Louis Le Grand puis HEC) a aussi créé le célèbre chantier Kelt Marine dans les années 80. À 65 ans, il se lance dans un nouveau défi ; celui de disputer à nouveau la Solitaire du Figaro, quarante ans après sa première victoire en 1973. Et pour parfaire sa préparation, et bien que fidèle de l’épreuve, Gilles Le Baud vient courir le « Spi » sur son Figaro Carnac Thalasso & Spa Resort (qui est l’un des partenaires de l’épreuve) accompagné de deux de ses filles, et de Gwenolé Gahinet, fils de Gilles, lui aussi double vainqueur de la Solitaire en 1977 et 1980, disparu des suites d’un cancer en 1984. S’il reconnaît volontiers qu’il a la vitesse mais souffre un peu lors des manœuvres en solo, nul doute qu’en équipage et dans cette classe, il sera dans le match, face aux jeunes loups de la série.

Desjoyeaux sur un First 30 S Bénéteau
En IRC 3, face aux JPK J Boats et autres Sun Fast 3200, un équipage sera à suivre tout particulièrement, celui du chantier Bénéteau emmené par un certain Michel Desjoyeaux. A la barre du First 30 S, une version sport lancée par le premier constructeur mondial de voiliers, le double vainqueur du Vendée Globe sera épaulé par Bruno Dubois, coureur au large et patron de North Sails Europe, de Eric Ingouf le chef de projet des First… et peut-être de Juan Kouyoumdjian, l’architecte Franco-argentin du bateau, s’il peut rentrer de San Francisco où il travaille actuellement à la mise au point de Artemis pour la prochaine Coupe de l’America. Après une sérieuse cure d’allègement, ce First 30 S dans la pure lignée du First Evolution, un fameux half-ton construit par Bénéteau dans les années 80, visera tout simplement une place sur le podium !

Cammas revient… pour gagner !
Après sa victoire historique dans la dernière Volvo Ocean Race à la barre de Groupama 4, le marin de l’année 2012, a cette année encore un programme sportif plus que chargé, comprenant la préparation olympique en Nacra 17, la petite Coupe de l’America… et le Tour de France à la voile. Il y a deux ans, il avait remporté le « Spi » à la barre du nouveau monotype M 34, après seulement quelques jours d’entraînement. Cette année, entouré d’un équipage de haut vol – Tanguy Cariou, Erwan Israël, Charles Caudrelier, Fabien Henry – et de jeunes talents spécialistes du TFV, le skipper aixois visera comme à son habitude la victoire. Mais il lui faudra devancer les meilleurs de la série que sont Courrier Dunkerque mené par Daniel Souben, Bretagne Crédit Mutuel skippé par Nicolas Troussel, Nantes Saint-Nazaire E. Leclerc de Corentin Douguet qui embarque plusieurs membres de l’équipe de France de 470… ou enfin Région Ile de France de Jimmy Pahun, qui verra pour le Tour de France le renfort de Vincent Riou.
A noter qu’en guise de prologue, la flotte des M 34 partira le jeudi 28 mars pour une grande course entre 75 et 125 milles… avant d’attaquer le vendredi 29 le programme habituel en baie de Quiberon.

125 monotypes J 80 sur la ligne !
Ce n’est pas une surprise… mais une confirmation. Les J 80 vont à nouveau constituer la flotte record de ce 35 ème Spi Ouest France Intermarché. Ce sera le véritable lancement de la saison – la première épreuve comptant pour la Coupe de France – pour le monotype américain (mais construit en Vendée) qui pour ses 20 ans, connaît un succès retentissant, attirant nombre d’équipages de purs amateurs, séduits par la simplicité de ce bateau de 8 mètres. Et comme cette année, la France accueille aussi le

championnat du monde (en juillet à Marseille), le Spi sera l’occasion pour les ténors de la série de se jauger. Si une quinzaine d’équipages étrangers – Danois, Espagnols, Allemands, Anglais, Italiens… – sont attendus, les favoris sont plutôt à chercher du côté des skippers de l’Ouest, avec notamment Eric Brezellec, tenant du titre, vainqueur aussi en 2012 de la Course de l’Edhec, du Grand Prix de l’Ecole Navale et de la Coupe de France… Laurent Sambron et Jean-Yves Jaffrezic, double vainqueurs du Spi en 2009 et 2010… Sylvain Pélissier vainqueur en 2011, Hervé Leduc, Pierre Follenfant, Christine Briand ou Nicolas Lunven, un ancien vainqueur de la Solitaire du Figaro.

J 70, Open 5,70 et 7,50, Longtze : les bombes !
Ce sera la première apparition en course du J 70, joli petit sport boat appelé à remplacer le célèbre J 24 quarante ans après, et qui a fait les belles heures du Spi Ouest France à ses débuts. Le succès est tel que 100 unités ont déjà été commandées, et qu’il faut attendre septembre prochain pour être livré ! L’Open 5,70 poursuit sa belle carrière, et permet aux jeunes régatiers issus du dériveur de régater à armes égales. Dans cette série très relevée, se trouvent certainement des futurs François Gabart ! On suivra également les Longtze – superbes monotypes franco-chinois – de plus en plus en vogue, et dont le « Spi » constitue la seconde épreuve comptant pour le classement de la Groupe Atlantic Longtze Student Cup. Enfin, le Spi Ouest France ne serait pas ce qu’il est sans les Open 7,50, – luges en carbone issues des 60 pieds du Vendée Globe. Ce n’est donc pas un hasard si on y retrouve des coureurs au large, comme Marc Guillemot sur Safran ou Lionel Lemonchois sur Prince de Bretagne… et dont le nouveau maxi trimaran sera amarré au quai Loïc Caradec.

Les IRC fleurons des chantiers
Les rois de l’IRC – les bateaux de course-croisière – dans les classes 1 à 4 sont toujours très attendus à La Trinité. Half-tonners des années 80, croiseurs de série qui ont fait les beaux jours de la plaisance et voiliers dernier cri régatent ensemble en temps réel mais sont classés en temps compensé selon leur taille, leur équipement et aussi leur âge. Si la conjoncture a éloigné certains propriétaires de grands bateaux à la course à l’armement, pour se tourner vers des monotypes moins gourmands en équipiers, cela reste pour les chantiers une incomparable vitrine. Bénéteau, Jeanneau, Dufour, J Composites, JPK, Grand Soleil, X Yachts, Elan… sont donc largement représentés, même si cette année, il y aura assez peu de nouveaux modèles tels que le XP 33 de X Yachts ou le First 30 S de Bénéteau.

Le 12 Mètre JI France en vedette
Il ne régatera pas, mais sera l’un des fleurons de ce 35 ème Spi. Le 12 M JI France, construit par le chantier Egger sur plans André Mauric pour disputer avec le baron Marcel Bich, les trois éditions des éliminatoires de la Coupe de l’America à Newport en 1970, 1974 et 1977, a été entièrement restauré cet hiver, grâce entre autres à la Marine Nationale (le bateau stationnait à l’Ecole Navale) à l’association « AFCA 12 M JI France » et au Conseil Général du Morbihan. Ce bijou barré à l’époque notamment par Bruno Troublé – lequel a largement contribué à sa renaissance, et courra cette année à bord d’un Chance 37 en IRC ! – fera ses grands débuts lors de la Semaine du Golfe à quelques milles de La Trinité-Sur-Mer, mais sera sur place pour le week-end Pascal. Il ne faudra pas manquer d’aller admirer cette « véritable œuvre d’art » de 21 mètres, construite en trois plis d’acajou, et dont les lignes sublimes et le bouchain évolutif étaient d’une surprenante modernité il y a près de 45 ans.

Source

Didier Ravon

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