Pros et amateurs : savant mélange à cultiver

2015, ERIC BOMPARD, ETAPE 2, ETAPE 3, FIGARO, SOLITAIRE DU FIGARO 2015, VOILE

© Alexis Courcoux

Un bon joueur de club ne tapera jamais la balle contre Roger Federer et les jeunes footballers n’ont aucune chance d’accrocher les Messi et autres Ibra autrement qu’aux murs de leur chambre. C’est une des magies de la course au large que de mélanger les genres. Pros-Amateurs, au bar du Royal Torbay Yacht Club, Yannick Evenou (Loi et Vin) ou Marc Pouydebat (France AVC) peuvent trinquer avec Yann Eliès (Groupe Quéguiner-Leucémie Espoir) ou Jérémie Beyou (Maître CoQ) … et pourquoi pas leur faire un tribord sur la ligne de départ cet après-midi où avait lieu la Pro-Am Torbay Race !

Si la voile dans son ensemble s’est professionnalisée, La Solitaire du Figaro – Eric Bompard cachemire conserve dans son ADN une ouverture certaine aux amateurs. Quatre coureurs le sont totalement au sens où il exercent à l’année une autre profession – Yannick Evenou est œnologue, Yannig Livory (Lorient’Entreprendre) patron d’une pépinière d’entreprises, Marc Pouydebat kinésithérapeute et Tolga Ekrem Pamir (Un jour, un homme, un arbre) assure la promotion de la voile en Turquie. A côté de ce quatuor, de nombreux statuts intermédiaires existent. Mais on peut dire que sur les 39 marins, 30 environ sont des pros, en comptant les plus jeunes recrues qui n’ont pas encore eu le temps de faire autre chose de leurs études.

Moins d’amateurs, plus de niveau

Un partage qui a sensiblement évolué avec le temps. « Pour ma première participation en 1980 se souvient Alain Gautier (Generali 40), il n’y avait que 4 ou 5 pros et Gilles Gahinet qui gagne La Solitaire cette année-là était prof de maths. » Le Lorientais qui signe sa 16ème participation, vit totalement de la voile mais ne se considère plus comme un professionnel de la course, « une des clés de l’évolution a été le passage au monotype. Les skippers ont pu acheter leurs bateaux avec de la visibilité ce qui était impossible à l’époque de Half Tonners et se sont donc totalement investis. La programmation de la course du mois d’août au mois de juin a aussi limité le nombre d’amateurs candidats »
Pour Yannig Livory (Lorient’Entreprendre), « le niveau de la flotte qui n’a cessé d’augmenter et qui est devenue très homogène est aussi un frein. Les amateurs n’ont pas assez de temps pour s’entraîner et rester au contact. Un pro passe environ 250 jours par an sur l’eau, un amateur 50… Et pour les budgets, ça va de 250 000 euros à 50 000, voire moins »
Voilà pour la théorie, car certains pros avouent être arrivés au départ ric-rac. C’est le cas de Gildas Mahé ( Qualiconfort-The beautiful watch) « C’est vrai que j’ai le statut de pro mais que concrètement cette année, je suis amateur ! J’ai 30 000 euros de budget en comptant une opération de crowdfunding qui termine bientôt. Une fois le bateau loué 18 000 euros, ça veut dire que tu pars sans voiles neuves, sans salaire et que tu paies juste les frais de course ».

Cultiver le mélange

Ce qui ne change pas fondamentalement la façon de Gildas de naviguer, lui qui pointe à la 12ème place au général : « Globalement, ça met plus de niaque, tu as envie de montrer que ta situation est injuste, mais à la fois tu manques d’entraînement. Sur l’eau, c’est certain aussi qu’on fait plus gaffe. Dans les cailloux de l’île de Batz, j’étais ceinture-bretelles. J’avais 3 cartographies. Dès que j’avais un doute sur un caillou, je virais. La franchise de l’assurance, c’est pas pour moi cette année ! »
Professionnel lui aussi Vincent Biarnès (Guyot Environnement) qui profite d’un budget intermédiaire confirme que « ça joue quand même sur ton niveau de préparation. C’est quand même différent quand tu as juste à monter sur ton bateau préparé au top ! Tu es plus serein pour attaquer la régate. »
Des différences de confort qui n’altèrent pas la joie de vivre du turc Tolga Ekrem Pamir : « Sur l’eau, nous sommes tous égaux, nous partons pour la même aventure… Et cela me rend très heureux. » clame l’ enthousiaste bizuth.
Faire La Solitaire du Figaro-Eric Bompard cachemire, c’est entrer en religion pour les uns et dans une famille pour les autres. Une famille qui sait se renouveler et conserve une importante part de jeunes pros dont l’ambition est bien de le rester. Sur cette Solitaire, un tiers exactement des marins (13 skippers) a moins de 26 ans. Et Yannig Livory de conclure : « En tant que président de la Classe Figaro Bénéteau, je crois que c’est essentiel de continuer à attirer des jeunes. Maintenant que le Tour de France est passé en mode « tournée des plages », le circuit Figaro est presque la seule école de course au large encore accessible »

Ils ont dit :

Yannig Livory (Lorient’Entreprendre)

« Je suis pur amateur parce que je passe énormément de temps à mon boulot, je m’occupe d’une pépinière d’entreprises où j’aide les gens à monter leur projet, donc j’essaie de me dégage un peu de temps pour préparer le bateau, naviguer l’hiver et trouver des financements. Il y a de moins en moins d’amateurs sur le circuit Figaro Bénéteau, notamment sur La Solitaire, à cause surtout de la date retenue. Dégager du temps depuis mi mai, c’est pas évident. Et le deuxième point, c’est le niveau de la flotte très homogène et les amateurs n’ont pas assez de temps pour s’entraîner et rester au contact.
J’ai fait un calcul assez simple : les pros tournent environ à 250 jours de nav. Un amateur tourne en moyenne à une cinquantaine, Solitaire comprise. Si tu dis qu’une journée c’est 1000 euros. Un pro tourne à 250 000 euros et un amateur à 50 000.
En tant que président de classe, je crois qu’il faut garder comme objectif de conserver un plateau très conséquent. Il ne faut pas perdre les amateurs et aussi les jeunes. Vu que le Tour de France est passé en mode « tournée des plages », le circuit Figaro Bénéteau est presque la seule école de course au large encore accessible »

Alain Gautier (Generali 40)

« Le monde de la voile dans son ensemble s’est professionnalisé, pas que La Solitaire. En 1980 pour ma première, il y avait très peu de pros. Gilles Gahinet qui gagne était prof de maths. Les autres faisaient ça pour le fun, au mois d’Aout pendant les vacances.
Le professionnalisme amène des bonnes choses et des moins bonnes aussi. Côté positif, du niveau sportif très élevé, de plus en plus homogène et c’est très net cette année, de la rigueur et de la rémunération pour les skippers, c’est bien de pouvoir vivre de sa passion. Mais ça amène aussi un état d’esprit et une situation qui devient plus difficile pour les amateurs. Le passage au mois de juin n’a pas amélioré les choses.
Je me situe plus entre pro et amateur parce que je ne vis plus que de la course. Cette année, j’ai navigué en novembre, en mars, j’ai fait tous mes convoyages en solo. 80/90 jours de navigation environ.
La monotypie a amené cette professionnalisation. Les skippers se sont acheté leur bateau, ce qui n’était pas le cas avec les half qui devenaient vite obsolètes. A partir du moment où tu achètes ton bateau, tu deviens pro dans la série. La classe est bien organisée et ça a poussé aussi, de même que les organisateurs de course. Mais ils pensent que tout le monde à un préparateur, ce qui n’est pas le cas. Quand tu as des journées très séquencées comme à Bordeaux, c’est très dur. Tu ne peux pas être partout en même temps, au briefing et à la jauge par exemple… C’est sans doute à réfléchir si on veut conserver un bon mélange pro-am. »

Gildas Mahé (Qualiconfort-The Beautiful watch)

« Je suis pro depuis 85. Depuis, l’Optimist, je n’ai jamais arrêté, j’ai fait toute la filière fédérale, en quelques sortes, je suis un professionnel. Cette année, je n’en vis pas. Les autres années, ponctuellement. J’ai le statut, mais concrètement amateur. J’ai 25 000 de budget et j’attends 5000 de plus de crowdfunding. Je loue le bateau 18 000, donc pas de possibilité d’acheter des voiles. J’ai de quoi payer les frais, entretenir le bateau et le rendre le plus propre possible. Dans les cailloux à Batz, on navigue autrement. Je n’ai pris aucun risque. J’avais trois cartos différentes, c’était ceinture bretelle, au moindre doute sur un caillou, je virais. La franchise, c’est pas pour moi !
Tu as la motivation de montrer que ta situation n’est pas méritée. Donc c’est un moteur. Mais le fait de ne pas pouvoir s’entrainer, c’est la contrepartie. Je prends souvent l’exemple de Fred Duthil qui faisait de super Figaros alors qu’il travaillait chez son sponsor. Il avait un emploi du temps aménagé mais il montrait qu’on pouvait bien faire »

Tolga Ekrem Pamir (Un jour, un homme, un arbre)

« Sur l’eau, entre pro et amateur, nous sommes tous égaux, nous partons pour la même aventure. Le professionnel navigue à plein temps, c’est son métier, il doit réaliser des objectifs pour aider la communication de son sponsor. Mais au final, moi je fais la même chose, même si j’ai un métier à côté ! Je travaille surtout avec mon pays d’origine, la Turquie, pour montrer que la course au large est un domaine super riche. C’est aussi ce qui m’intéresse, il y a le plaisir personnel, mais surtout le partage. C’est assez sympa sur La Solitaire d’avoir des amateurs. Cette course donne cette chance aux jeunes ou au moins jeunes de progresser, de tenter l’aventure de la course au large. La seule différence entre pro et amateur, c’est que l’amateur doit gagner sa vie à côté. Je suis à mon compte et j’essaye de me faire un planning pour naviguer. Et cela me rend très heureux. »

Vincent Biarnès (Guyot Environnement)

« La course au large, c’est mon métier, c’est ce qui me fait vivre. Avec le financement de mon partenaire, j’arrive à me mettre un salaire. En gros, je navigue 150 jours par an. Le bateau reste en chantier l’hiver, et je travaille dessus, car je n’ai pas non plus un budget très élevé. J’ai connu des années plus difficiles, je suis content car j’ai un contrat sur trois ans avec Guyot Environnement. Le métier de marin professionnel est assez précaire. C’est moi qui ais fait des démarches pour trouver un sponsor grâce à un club d’entrepreneurs. Je reste dans le créneau des petites PME. Mon sponsor m’envoie des encouragements, ils étaient 150 à venir à Concarneau. Je n’ai pas un préparateur à l’année. Le budget joue quand même sur ton niveau de préparation. C’est quand même différent quand tu as juste à monter sur ton bateau préparé au top ! Tu es plus serein pour attaquer la régate. »

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RivaCom

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