Seuls au milieu de nulle part

© Manuel Medir

La mer s’est rangée, les régimes dépressionnaires se succèdent et Cheminées Poujoulat est revenu aujourd’hui à ses affaires, alignant à nouveau des hautes vitesses, 19 nœuds cet après-midi. Bernard Stamm et Jean Le Cam carburent au milieu de l’océan Pacifique, à mi-distance des premières terres habitées, soit à quelque 2000 milles de la Nouvelle-Zélande dans leur ouest et du Chili dans leur est. Dans leur aspiration vers le cap Horn, ils mettent toujours plus de distance, 1130 milles, avec leurs poursuivants, Neutrogena et GAES Centros Auditivos.

La succession des dépressions australes ne laisse guère le temps aux skippers de s’interroger sur leur isolement. Voilà cinquante jours qu’ils bataillent contre les éléments, les autres, eux-mêmes pour avancer toujours plus vers le prochain hémisphère, le prochain océan, le prochain cap. Voilà 25 jours que Cheminées Poujoulat a ouvert en éclaireur les po rtes des mers du Sud avec leur cortège de vents soutenus à tempétueux. Gagner un pouième de vitesse est un labeur incessant, d’autant plus quand les vagues s’en mêlent parfois récalcitrantes. « Nous sommes conscients d’être loin de tout », a confié hier Bernard Stamm avant de s’en retourner à la marche délicate de son bateau.

Retour au monde civilisé

Des concurrents esseulés dans ces territoires hostiles seraient en droit de vouloir les fuir au plus vite. En plein océan Pacifique, en cas de nécessité, les premières organisations de secours (MRCC) se trouvent à quelque 2000 milles nautiques. Dès la longitude 130°W franchie, ce qui est le cas de Cheminées Poujoulat, l’armée chilienne prend en charge les éventuels secours. Avoir un bateau concurrent dans les parages rassure. Le match race que se disputent Neutrogena et GAES Centros Auditivos est somptueux, avec un écart qui oscille toujours entr e 40 et 50 milles; il offre aussi l’assurance d’une aide rapide en cas de problème.

Renault Captur turbinait il y a deux jours dans leur sillage. Depuis hier, Jörg Riechers et Sébastien Audigane se déroutent vers Wellington, la capitale de la Nouvelle-Zélande située au sud de l’île du Nord. Poursuivre avec un safran défectueux dans le Pacifique était trop risqué. Dans des vents mollissant, la route vers leur point de chute s’annonce longue, jusqu’à samedi estiment-ils. Le réseau de copains est en train de se mobiliser pour leur venir en aide et leur permettre de repartir au plus vite, lundi espèrent-ils. Comme Guillermo Altadill et José Muñoz avant eux, ils vont revenir un temps au monde civilisé.

Internet et téléphone

A l’exception de Neutrogena et GAES, les autres avancent isolés dans leur propre course. Quelque 4000 milles séparent Cheminées Poujoulat et Spirit of Hungary. Entre les deux extrémités, les duos sont séparés de plusieurs centaines de milles. Bien sûr, les aléas de la météo tendent et détendent l’élastique des écarts. One Planet One Ocean & Pharmaton a ainsi divisé par deux la distance qui le séparait de We Are Water, gagnant plus de 415 milles depuis le 16 février.

A bord du bateau espagnol qui joue actuellement dans le même registre de vitesse que les leaders, le duo Gelabert/Costa découvre ce monde particulier déjà bien arpenté par Bernard Stamm et Jean Le Cam. « Je me sens isolé du monde, de la vie trépidante quotidienne », a écrit Aleix Gelabert. « Ici, les jours sont différents et similaires, mais je ne me sens pas seul, je me sens accompagné. Accompagné par Didac, par One Planet One Ocean, par les pensées de tous ceux qui nous suivent et nous encouragent. »

Par l’envoi de messages, nombreux, les nouveaux moyens de communication ont enterré la légende des pionniers du tour du monde. « Comment pourrions-nous nous sentir seuls en étant connectés par internet et par téléphone ? » souligne Bruno Garcia qui reconnaît l’importance de ce lien avec la vie sociale à terre. Ces outils assurent également l’échange d’informations avec la direction de course et les équipes techniques. Mais à l’heure des difficultés, il reste que les marins ne pourront compter que sur eux-mêmes.

Classement à 14h00 TU :

  1. Cheminées Poujoulat (B Stamm – J Le Cam) à 8870,3 milles de l’arrivée
  2. Neutrogena (G Altadill – J Muñoz) à 1129,9 milles
  3. GAES Centros Auditivos (A Corbella – G Marin) à 1167,6 milles
  4. Renault Captur (J Riechers – S Audigane) à 2135,0 milles
  5. We Are Water (B Garcia – W Garcia) à 2778,8 milles
  6. One Planet One Ocean & Pharmaton (A Gelabert – D Costa) à 3205,9 milles
  7. Spirit of Hungary (N Fa – C Colman) à 4054,3 milles

Ils ont dit :

Sébastien Audigane (Renault Captur) :

On fait route vers Wellington que nous pensons atteindre dans une cinquantaine d’heures. Nous préparons la réparation du safran et on va en profiter pour réparer quelques petits trucs. Nous sommes encore en course. Nous sommes toujours à fond. Pour aller le plus vite possible à Wellington, qui n’est pas vraiment sur la route de Barcelone. Et quand nous aurons réparé, nous serons à fond vers Barcelone. On a des contacts qui viennent de l’île du Nord et c’est plus facile d’aller là-bas qu’à Invercargill où Neutrogena s’est arrêté. Le safran a été sécurisé grâce à une chaussette, une espèce de peau qui permet de récupérer un profil mais ce profil est trop épais. Quant à la quille, on a eu un problème de moteur au moment du demi-tour mais c’est résolu depuis. Nous espérons pouvoir repartir lundi matin ou dans la journée. Nous avons en vie de rattraper nos copains, même si nous ne pourrons pas rattraper tout le monde. Nous visons la cinquième place et si les conditions sont bonnes, pourquoi ne pas se rapprocher des deux frangins (Bruno et Willy Garcia, sur We are Water, Ndlr)?

Jorg Riechers (Renault Captur):

Le bateau va bien, nous avons de bonnes conditions et le safran ne pose aucun problème. Le vent a molli, 9 nœuds et nous progressons à 6-7 nœuds, ce va être une longue route jusqu’à Wellington. C’est l’endroit le plus rapide où aller et nous y trouverons les meilleures facilités pour réparer et des bons chantiers. Maintenant, c’est une course contre le temps et il nous faut sauver ce qui peut l’être, mais cela constitue un nouveau challenge. Boucler une course autour du monde est un objectif en soi. Si nous parvenons à réparer dans une fourchette de 24 à 30 heures, nous avons encore une chance de reprendre notre quatri ème place et nous en serions très heureux. Et si nous repartons de Wellington lundi matin à 8h, heure française, nous avons une chance de rester cinquième. C’est notre nouvel objectif, notre seule motivation à rester dans la course. Sinon, vous êtes en croisière et ce n’est pas notre intention.

Guillermo Altadill (Neutrogena):

Quand nous avons dû nous dérouter vers la Nouvelle-Zélande pour réparer le générateur, c’était dur de revenir et de voir que nous avions perdu autant de milles, surtout que ce n’était pas si simple de revenir puisque nous avions un anticyclone sur notre route. C’est pourquoi nous ne voulons pas nous préoccuper du reste de la flotte. Nous ne regardons pas les classements, je ne regarde pas où les autres sont. J’en ai une certaine idée. Je sais que Renault Captur est sorti de la course pour le moment afin de réparer leur safran mais nous ne nous soucions pas des autres bateaux, pas de con trôle des positions. Nous sommes concentrés sur notre vitesse et tentons de faire de notre mieux avec le vent et la course.

Source

Barcelona World Race

Liens

Informations diverses

Sous le vent

Au vent

Les vidéos associées : IMOCA