Le grand saut

© Pen Duick

Novices et amateurs, ils se sont investis durant des mois pour trouver un bateau, pour le préparer le plus souvent seul ou épaulé par quelques proches, pour récolter quelques subsides afin de couvrir au minimum les frais de course : pour cette Route du Rhum, ils ne sont pas si nombreux et certains ont réalisé de superbes parcours, parfois en tenant tête à des skippers chevronnés. Etienne Hochedé en Multi50, Jean Galfione et Juliette Pétrès en Class40, Wilfrid Clerton et Jean-Paul Froc en Classe Rhum…, font partie de cette tribu passionnée et passionnante…

Presque deux semaines que le vainqueur toutes catégories confondues est arrivé à Pointe-à-Pitre : Loïck Peyron peut retrouver ses collègues du défi suédois pour la Coupe de l’America à San Diego pendant que vingt-cinq solitaires se débattent encore dans des alizés à grains, pas très agréables à négocier… Le dernier concurrent Vincent Lantin (Vanetys-Le Slip Français), est en effet à 1 400 milles de la Guadeloupe et ne devrait couper la ligne d’arrivée qu’en fin de semaine prochaine ! Mais à Pointe-à-Pitre, autour de la Guadeloupe ou en approche de l’arc antillais, les amateurs n’ont pas démérité : sur les 91 partants à Saint-Malo, 65 solitaires ont ou sont en passe de réaliser leur rêve.

Des amateurs éclairés

Au sein de ce plateau de haut vol, les professionnels ont fait parler la poudre en améliorant dans toutes les catégories les temps de référence entre Saint-Malo et Pointe-à-Pitre : Loïck Peyron (Maxi Solo Banque Populaire VII) en 7j 15h 08’ 32 en Ultime ; Erwan Le Roux (FenêtréA-Cardinal) en 11j 05h 13’ 55 en Multi50 ; François Gabart (Macif) en 12j 04h 38’ 55 en IMOCA ; Alex Pella (Tales 2 Santander) en 16j 17h 47’ 08 en Class40 ; Anne Caseneuve (Aneo) en 17j 07h 06’ 03 en Classe Rhum. Mais à leurs côtés, les amateurs formaient le gros des pelotons en Class40 et en Classe Rhum avec un représentant particulièrement attachant en Multi50, Etienne Hochedé (PiR2-CCI Fécamp Bolbec) qui terminait cinquième…

Car ils ont fait le grand saut : en Class40, Jean Galfione (Serenis Consulting) et Juliette Pétrès (Eau & Patrimoine) finissent respectivement 18ème et 19ème en Guadeloupe ! Et les deux amateurs novices seront la nuit prochaine suivis par Emmanuel Hamez (Teranga), Brieuc Maisonneuve (Groupement Flo), Dominique Rivard (Marie-Galante), puis par Patrice Bougard (Kogane)… tous attendus ce week-end. Et du côté des Classe Rhum, il faut saluer la performance de Wilfrid Clerton (Cap au Cap Location) sur l’ex-Kriter VIII qui a longtemps tenu la dragée haute à ses deux prédécesseurs étrangers, l’Italien Andrea Mura (Vento di Sardegna) et le Britannique Robin Knox-Johnston (Grey Power).

Un Italien sur le podium

Andrea Mura conclut en effet avec panache sa deuxième Route du Rhum en Classe Rhum : le tenant du titre a pourtant eu bien du mal sur cette édition particulière. A bord de son 50 pieds monocoque dessiné par l’architecte italien Felci, le Sarde avait choisi de suivre la trace des IMOCA dès le passage de Ouessant qu’il débordait en tête de sa classe. Suivant l’orthodromie (route directe), il affrontait le mauvais temps des premiers jours au près quand ses poursuivants débridaient les écoutes pour plonger au Sud. L’option semblait logique et efficace puisqu’il cumulait 70 milles d’avance lorsque Anne Caseneuve (Aneo) et son trimaran de 50 pieds passait au large du cap Finisterre, mais au bout de six jours l’anticyclone des Açores changeait de position…

Et alors que ses prédécesseurs IMOCA arrivaient à se glisser sous les hautes pressions, le skipper italien se faisait phagocyter par une bulle anticyclonique qui descendait en même temps que lui ! Au large des Açores, les vitesses de Vento di Sardegna chutaient à moins de trois nœuds… Le Sarde reprenait le fil de la course en retrouvant ses congénères monocoques trois jours plus tard, et plongeait encore plus au Sud pour les déborder avant l’atterrissage sur l’arc antillais : il s’adjugeait la deuxième place de la Classe Rhum et finissait premier monocoque dans cette catégorie, une quinzaine de milles devant le doyen britannique qui devait couper la ligne d’arrivée en fin d’après-midi tropicale…

A noter que Paul Hignard (Bruneau) a démâté vendredi vers 20h00 à 450 milles de l’arrivée en Guadeloupe : le jeune skipper n’est pas blessé et dressait un gréement de fortune pour rejoindre Pointe-à-Pitre sans assistance. Il devrait atteindre les Antilles d’ici quatre à cinq jours.

Ils ont dit

Andrea Mura-Vento di Sardegna (Classe Rhum)
C’était plus difficile que ma première Route du Rhum-Destination Guadeloupe de 2010 : les conditions météo ont été plus dures, surtout sur la première partie de la course. Après, je suis resté coincé dans la bulle anticyclonique pendant trois jours ! Heureusement, j’ai terminé avec un bon vent portant… Je suis allé au Nord parce que c’était le meilleur routage au départ de Saint-Malo, mais si les IMOCA sont passés tout juste, moi l’anticyclone il m’est retombé dessus en grossissant et en descendant vers le Sud : il m’a poursuivi et m’a fait prisonnier ! Pas de chance… J’ai mis trois jours à revenir sur les monocoques de la Classe Rhum : on a fait un nouveau départ au milieu de l’Atlantique. C’est un bon test pour le projet IMOCA que j’ai mis en route avec la Transat Jacques Vabre l’an prochain et le Vendée Globe dans deux ans. C’est bon de pousser le bateau dans ses retranchements : j’ai barré beaucoup dans les alizés, jusqu’à 12 à 16 heures par jour… Le bateau est en très bon état, je n’ai pas eu de problèmes particuliers : je peux repartir dès ce soir ! »

Jean Galfione-Serenis Consulting (Class40)
« Je suis très ému, c’est beaucoup dû à la fatigue. Mais il y a aussi beaucoup d’émotions d’avoir réussi à le faire, parce que c’était quand même mal barré mon histoire. J’ai eu tout le temps des galères qui nécessitaient de trouver des solutions. Je sais que beaucoup de monde en a bavé, mais j’ai trouvé que les conditions étaient très difficiles. C’était une transat avec beaucoup d’épreuves… C’était comme s’il fallait que ça se mérite tout du long. J’ai eu cette phrase malheureuse au départ : ça va être l’aventure et j’y vais pour ça aussi… C’est une énorme satisfaction de venir au bout de cette première transat en solitaire. L’objectif, c’était de la finir, ensuite c’était d’arriver dans les vingt premiers. Et j’y arrive alors que je me suis arrêté 24 heures… Je suis super content ! »

Juliette Pétrès-Eau & Patrimoine (Class40)
« Je suis heureuse, vraiment. Les dernières heures ont été très intenses avec beaucoup de grains. Je suis trop contente d’autant plus qu’il y a beaucoup de monde venu m’accueillir, dont Bertrand de Broc, le parrain de bateau. C’est à cause de lui que j’ai fait tout ça… Sur ce Rhum, je retiens surtout le départ et l’arrivée qui m’ont appris beaucoup de choses. Même si j’en ai bavé, c’était énorme de faire le tour de la Guadeloupe, hyper intéressant. Il y a toujours eu un peu de peur, les premiers jours bien sûr, mais j’ai eu encore peur jusqu’à hier. Il a fallu que je me fasse violence pour connaître le bateau : il est puissant et il a fallu aller chercher toujours plus pour en tirer la quintessence parce qu’autour de moi, ça bataillait quand même. Mais le bateau est nickel, j’ai déchiré une voile que j’ai réparée, je le ramène en bon état. Et moi aussi, à part quelques bleus. Plus de 19 jours en mer, ça passe lentement, mais paradoxalement quand ça c’est fini, j’avais envie de continuer, de rester encore un peu avec mon bateau… »

Paul Hignard-Bruneau (Class40)
« Physiquement, cela va bien, mais le bateau va moins bien.
C’était vendredi vers 20h : pas beaucoup de vent, 22-23 nœuds, 1,50m de mer. J’étais à l’intérieur, j’entends un bruit, mon Code 5 qui tombe sous mini grain : je vais à l’avant du bateau pour attraper une drisse mais je n’ai pas eu le temps. Le reste du mât est tombé !
Le truc qui n’arrive jamais…
Mon emploi du temps en ce moment :
quand le mât est tombé, je n’ai pas pu récupérer la grand-voile,
la mer s’est formée, j’ai gardé la partie basse 8-9 mètres de mât et la bôme.
J’ai passé une bonne nuit.
Depuis trois heures je range le bateau, j’enlève radar, les bouts du mât…
Dès que le mât et la bôme, ce sera ok, je vais monter une chèvre, mettre la bôme à la verticale, mettre le mât dans l’axe sur l’arrière.
Je pense que ce samedi soir la bôme sera debout ce qui me permettra d’envoyer un peu de toile. Là j’avance à deux nœuds. C’est compliqué car il y a beaucoup de mer.
J’ai tout coupé au niveau énergie – je n’ai plus que 22 litres de gasoil -, sauf le pilote : pas de VHF, plus rien ne fonctionne à bord. En terme de nourriture, je suis en restriction, et il me reste 15 litres d’eau. »

Source

Rivacom

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